"Le dialogue véritable consiste à s'appuyer sur l'idée de son interlocuteur, non à la démolir".
Edward Bulwer-Lytton naît le 25 mai 1803 à Londres, au 31 Baker Street. Il est le troisième fils d’Elysabeth Barbara Lytton et du general Wiliam Earle Bulwer. L’année suivante, ce dernier obtient le commandement militaire de la région du Lancashire, dont il prépare la défense en prévision d’une éventuelle invasion par les troupes françaises. Après avoir été élevé à la pairie, Lord Bulwer décède le 7 juillet 1807. Son fils Edward entre en 1812 à la Hooker’s school de Rottingdean, avant d’être confié aux bons soins du révérend Charles Waddington, à Ealing, en 1819. Cette éducation classique lui permet d’entrer au prestigieux Trinity College de Cambridge en 1822.
Initié très tôt par sa mère à la littérature, l’enfant est considéré comme un génie précoce au sein de sa famille. Pendant son adolescence, il rédige des poèmes aux accents byroniens, suivant la mode du temps. "Ismael", an oriental Tale, with others Poems" est d’ailleurs publié en 1820. Ce premier volume, qui lui vaut les éloges de Walter Scott, est suivi trois années plus tard par "Delmour, a Tale of a Sylphid, and other Poems". Au mois de juillet 1825, Bulwer-Lytton obtient également le prix du Chancelier pour son recueil intitulé "Sculptures". Ce dernier est cependant sévèrement critiqué dans les colonnes du très influent Fraser’s Magazine.
Le jeune homme a une liaison avec Lady Caroline Lamb, mais c’est avec une amie de celle-ci, Rosina Doyle Wheeler, qu’il se marie le 30 août 1827 à l’église St James de Londres. Cette union cependant s’est faite sans l’assentiment de la mère d’Edward Bulwer-Lytton, qui refuse l’idée d’une belle-fille de confession catholique. Elle supprime d’ailleurs la pension jusque là versée à son fils. Pendant les deux années qui suivent, celui-ci vit en compagnie de son épouse à Woodcot House, près de Pangbourne. A partir de 1829, le jeune couple s’installe ensuite au 36, Herford Street, à Londres. Un fils naît le 8 novembre 1831, qui est prénommé Robert.
Au cours de ces années, Bulwer-Lytton s’essaie à la prose avec "Rupert de Lindsay"en 1825, puis "Falkland" en 1827. Il rédige également un roman historique, "Devereux", publié au mois de juin 1829 et dont l’intrigue se déroule au temps de la reine Anne. Avec "Paul Clifford", qui lui a été inspiré par un fait divers, l’écrivain milite pour la réforme du système judiciaire anglais au mois d’août 1830. L’année suivante, alors que le New Monthly Magazine s’attache sa plume, celui qui se donne des allures de dandy entre en politique, étant élu au Parlement grâce au soutien du parti Whig.
Poursuivant son travail d’écriture, Bulwer Lytton publie en 1832 "Eugene Aram". Une controverse naît à propos de ce dernier roman psychologique, dont le personnage principal est un meurtrier. Il s’occupe également à quelques travaux d’érudition. Une "Histoire de l’Angleterre" paraît en 1833, suivi par "Athens, Its Rise and Fall" en 1837. L’écrivain voue en effet une grande passion a ces deux périodes de l’histoire : le Moyen Age et ses mystères suivant la mode romantique, ainsi que l’Antiquité gréco-romaine à laquelle le prédispose son éducation classique. En 1834 d’ailleurs, c’est la ville ensevelie de Pompéi, dont les fouilles se poursuivent, qu’il fait revivre dans "The Last Days of Pompeii".
Comme ses œuvres précédentes, celle-ci connaît le succès. Mais cette réussite littéraire ne permet tout de même pas à Edward Bulwer-Lytton de vivre de son art et de sa production. S’il s’intéresse au passé, lui, qui siège au Parlement, ne s’investit pas moins dans les querelles et les controverses de son temps. En 1838, peu après l’avènement de la reine Victoria, sont ainsi adoptées par les représentants des Communes les dernières modalités de l’abolition de l’esclavage et de la traite dans les colonies britanniques. Ceci clôt un long débat dans lequel l’écrivain s’était beaucoup impliqué. En 1841 cependant, s’achève son deuxième mandat.
Bulwer Lytton s’est séparé de son épouse en 1836, ce qui lui permet de revenir au château familial de Knebworth. A la mort de sa mère, il devient baron. Au cours de ces dernières années, l’écrivain s’est essayé avec succès à la comédie dramatique, grâce notamment au soutien dispensé par William Charles Macready, le directeur du Covent Garden. "The Lady of Lyons" triomphe ainsi sur la scène du théâtre, à partir du 15 février 1838. C’est ensuite "Richelieu", une pièce en cinq actes, que le public anglais acclame le 7 mars 1839. Au mois d’octobre suivant, au théâtre d’Haymarket, est également présenté "The Sea Captain, or The Bvirthright".
Cette dernière œuvre lui vaut les moqueries de William Thackeray dans The Yellow Plush Papers. Aussi l’écrivain prolixe revient alors au roman avec "Night and Morning" en 1841, "Zanoni" l’année suivante ou "Lucretia, the Children of the Night" en 1846. En 1848, "Harold" conte l’histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands. Le très réputé Blackwood’s Edinburgh Magazine publie également certains de ces textes en feuilletons : "The Caxtons, a family picture"à partir du mois d’avril 1848 ou "My Novel by Pisistratus Caxton, or Variety in English life" du mois de septembre 1850 au mois de janvier 1853.
Après avoir rejoint les rangs du parti conservateur, Edward Buwer-Lytton est réélu au Parlement à Hertfordshire en 1852, un mandat qu’il conservera jusqu’en 1866. L’année suivante, il publie une autobiographie en quatre volumes, sous le titre de "My Novel". Entre 1858 et 1859, sous le gouvernement de Lord Derby, aux cotés de Benjamin Disraeli, Bulwer-Lytton se voit confier le poste de Secrétariat aux colonies. A ce titre, il nomme New Caledonia, le nouveau territoire situé dans l’Océan Pacifique et rattaché à la couronne, où viennent d’être découverts des gisements aurifères. Sous son mandat, le 19 novembre 1858, est également aboli le privilège de l'E.I.C., la Compagnie des Indes britanniques.
Au moment où il achève son mandat, Edward Bulwer-Lytton, tout comme son père au début du siècle, est élevé à la pairie. Il fait alors son entrée à la Chambre des Lords. Devenu l’ami du romancier Charles Dickens, il publie dans le journal de celui-ci, All the Year around, son nouveau roman d’épouvante, "A Strange Story". Le 15 janvier 1870, l’écrivain est admis dans l’ordre de St Michael et St Georges. Insigne honneur pour un anglais. Lord Buwer-Lytton rédige encore "Caxtoniana" en 1863, "The lost Tales of Miletus"en 1866. En 1871, "The Coming Race" (La Race futuriste) est un roman d’anticipation, un genre, le seul peut être, auquel il ne s’était pas encore essayé. La santé de l’écrivain décline à cette époque, ce qui l’oblige à prendre chaque année les eaux à Spa, sur le continent.
Lord Buwer-Lytton décède le 18 janvier 1873 à Torquay, dans sa soixante-dixième année.
Knebworth House sa demeure.
Knebworth House est située dans le Hertfordshire en Angleterre. Cette demeure appartient aux Lytton depuis plus de 500 ans. Robert Lytton a combattu aux côtés de Henry Tudor à la bataille de Bosworth en 1485, et quand celui-ci devint Henri VII, il resta un de ses fidèles compagnons. Les bonnes grâces du Roi lui permirent d'acheter Knebworth House en 1490.
De nos jours, Knebworth House est connue dans le monde entier grâce à son festival de rock qui a lieu chaque année en été et où les plus grandes vedettes viennent chanter, mais peu connaissent sa véritable histoire.
Ce chateau est unique. A l'origine un manoir de briques rouges de style Tudor, qui a été transformé en 1843 en la demeure gothique que nous pouvons admirer aujourd'hui, avec ses tourelles, ses griffons et ses gargouilles. A l'intérieur, on y retrouve l'atmosphère de son origine médiévale.
L'extérieur romantique de la demeure ne prépare guère le visiteur à la découverte de l'intérieur, en effet cette façade du 19ème siècle ne laisse pas présager la découverte de 500 ans d'histoire britannique. Chaque génération de Lytton a laissé une trace de son époque, un salon Edwardien que suit un bureau victorien, une chambre à coucher géorgienne que précède un hall jacobéen...
La disposition actuelle des jardins date des époques victorienne et edwardienne, avec quelques rajouts et améliorations plus récentes. A leur apogée victorienne, ces jardins étaient réputés par leur disposition à l'italienne. En 1911, Edwin Lutyens, architecte edwardien, a simplifié la partie centrale. Depuis 1980, un vaste programme de réhabilitation a été mis en ouvre afin de retrouver la splendeur d'antan et le plaisir de parcourir en flânant ces magnifiques jardins. Enfin, dans le parc de 250 acres, plus de mille cerfs vivent en liberté.
"Notre grand tourment dansl'existence vient decequenous sommes éternellement seuls, et tous nos efforts, tous nos actes ne tendent qu'à fuir cette solitude".
Guy de Maupassant naît le 5 août 1850 à Fécamp, au sein d’une famille aisée qui vit de ses rentes. Gustave et Laure de Maupassant s’installent en 1854 au château de Grainville-Ymauville, près du Havre. C’est là que vient au monde au mois d’avril 1856 le deuxième enfant du couple prénommé Hervé. Cependant, quelques années plus tard, les difficultés financières du ménage obligent Gustave à chercher un emploi. Celui-ci devient alors employé de banque à Paris où la famille Maupassant s’est fixée en 1859. Guy entre alors au Lycée Napoléon (futur Lycée Henri IV). Après quelques années de cette vie conjugale houleuse, le ménage Maupassant se sépare. Les enfants sont alors confiés aux soins de Laure. Celle-ci choisit de revenir en Normandie et s’installe ainsi à Étretat, dans la propriété des Verguies.
En 1863, Maupassant fait son entrée au petit séminaire d’Yvetot. L’adolescent y demeure scolarisé depuis la sixième jusqu’à la seconde. Ce séjour au sein de l’institution religieuse est pour lui une période d’ennui profond. Renvoyé de l’établissement à cause de vers jugés licencieux, il est ensuite admis en 1868 au Collège impérial de Rouen. A cette époque, Maupassant entame alors une correspondance avec le poète Louis Bouilhet. Celui-ci le présente bientôt à Gustave Flaubert. L’année suivante, il obtient son baccalauréat puis décide de faire son droit à la faculté de Paris. Mais l’étudiant appartenant à la classe 70 est mobilisé pendant le conflit franco-prussien. Il est ainsi versé dans l’intendance, à Rouen.
Après la signature du traité de Francfort qui met un terme au conflit, Maupassant est rendu à la vie civile, au mois de novembre 1871. L’année suivante, il entre au ministère de la Marine et des Colonies mais déteste bien vite ce métier de gratte-papier. Se faisant à la vie parisienne, Maupassant fréquente alors les guinguettes et canote sur la Seine. Il fait également ses premiers essais en littérature grâce aux conseils et avec la bénédiction de Flaubert. En 1875 paraît ainsi un premier conte, "La Main écorchée", dans l’Almanach lorrain de Pont-à-Mousson. Le "reclus de Croisset" lui permet ensuite de faire la rencontre des grands écrivains de l’époque. Tandis qu’il s’installe à Paris, au 17 de la rue de Clauzel, Maupassant est également invité à participer en 1876 au groupe de Médan qui se constitue autour d’Émile Zola.
En 1878, il entre ensuite au Ministère de l’Instruction publique. L’année suivante voit enfin la publication d’un de ses poèmes intitulé "Une Fille" dans La Revue moderne et naturaliste. Cependant, celle-ci est poursuivie pour "outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs". L’affaire se termine néanmoins par un non-lieu. Pendant ces premières années de création littéraire, Maupassant connaît des problèmes de santé. Il souffre ainsi de troubles cardiaques puis de névralgies du cerveau et des yeux contre lesquelles il lutte par l’usage et bientôt l’abus des drogues. Le "rond-de-cuir" se fait alors mettre en disponibilité avant de quitter définitivement le ministère auquel il est affecté, au mois de juin 1880. C’est alors que Guy de Maupassant publie le 16 avril de la même année "Boule de Suif"dans le recueil Les Soirées de Médan.
L’écrivain collabore maintenant de manière régulière à plusieurs périodiques parisiens parmi lesquels Le Figaro ou L’Écho de Paris. Il donne alors de nombreux articles et contes. En 1881, Maupassant effectue ainsi un reportage pour Le Gaulois en Algérie. Cette expérience au-delà de la Méditerranée sera par la suite matière à quelques écrits. Maupassant fait d’ailleurs paraître la même année un recueil de contes, "La Maison Tellier". Du 27 février au 6 avril 1883 est ensuite publié en feuilleton dans le Gil Blas son premier roman, "Une Vie". L’écrivain séjourne alors à Menton puis en Bretagne. Il se fait également construire une résidence, La Guillette, à Étretat mais se fixe à Paris dans un appartement cossu de la rue de Montchanin (aujourd’hui rue Jacques-Bingen), dans le quartier de la plaine Monceau. Maupassant ne quittera les lieux qu’en 1890 pour la rue du Boccador et les environs des Champs-Élysées.
L’écrivain à succés mène désormais une existence mondaine. Auprès de la comtesse Potocka, il joue à l’artiste décadent. Pour soigner ses troubles oculaires, Maupassant se rend de nouveau en cure à Chatel-Guyon et fait la rencontre de Joséphine Litzermann, une donneuse d’eau de la station thermale. Trois enfants naturels naîtront de leur liaison. C’est aussi une période de travail frénétique pour l’écrivain. Il multiplie les écrits. Des recueils de contes paraissent sous sa plume, comme "Les Contes de la Bécasse"en 1883, "Miss Harriett" et "Les Sœurs Rondoli" l’année suivante ou "Les Contes du jour et de la nuit" en 1885 ; des romans également parmi lesquels il faut citer "Bel-ami"en 1885 ou "Mont-Oriol" en 1887.
Maupassant partage à présent son temps entre Paris, Étretat et la Côte d’Azur. Son frère Hervé connaît alors ses premiers troubles psychiatriques. Interné à l’hôpital de Lyon-Bron sur l’initiative de son frère, il décède au mois de novembre 1889. Désormais, l’écrivain est lui aussi de plus en plus diminué par la maladie. Il est en effet atteint de la syphilis et l’infection arrive en 1890 dans sa phase terminale. L’écrivain cesse alors d’écrire, après avoir publié dans les années précédentes un nouveau recueil de contes intitulé "Le Horla"en 1887 puis "Le Rosier de Madame Husson"en 1888. Paraissent également au cours de ces années deux romans, "Fort comme la mort"en 1889 et auparavant "Pierre et Jean"en 1887. Pour l’occasion, Maupassant l’écrivain rédige une préface dans laquelle il expose ses idées littéraires. Il s’attache ainsi à distinguer les romans d’intrigue des romans réalistes.
Maupassant multiplie maintenant les séjours en cure à Divonne ou Aix-les-Bains ainsi que les consultations auprès des médecins. Après une tentative de suicide dans la nuit du 1er au 2 janvier 1892, il sombre dans la folie et entre à la clinique du docteur Blanche, à Passy, le 6 janvier 1892. Dans cette maison de santé alternent alors pour Maupassant les périodes de conscience et de folie, les moments de délire et d’accalmie. Après dix-huit mois d’agonie, il décède le 6 juillet à l’âge de quarante-trois ans. Quelques jours plus tard, l’écrivain est inhumé selon son vœu à même la terre et au cimetière Montparnasse. A cette occasion, Émile Zola prononce l’oraison funèbre du défunt.
La Guillette à Etretat sa maison.
Laure de Maupassant, mère du Guy, habitait Etretat et possédait un verger dans le grand Val. A 33 ans, Guy de Maupassant a eu un de ses premiers succès littéraire avec sa nouvelle "La maison Tellier" et a prévu en 1883 de se faire construire une maison dans le Grand Val (actuellement rue Guy de Maupassant).
Sa mère lui donna son verger et il acheta le terrain mitoyen où il y avait vraisemblablement un cabanon en bois. A cet emplacement il fit construire une petite maison entourée d’un balcon au premier étage.
Une partie de la maison brûla, il fit alors construire une maison plus grande en ajoutant une salle de billard et en couvrant le balcon au nord tout en conservant les volets d’origine Le couloir ainsi créé possède de remarquables boiseries et placards d’époque construits par le menuisier Monsieur de Peyrant.
C’est à la Guillette qu’il achève l’écriture de "Bel ami" en octobre 1884. Nostalgique du midi où il passait souvent l’hiver, Guy de Maupassant fit construire une maison de style méditerranéen en crépi et le toit recouvert de tuiles. La maison est construite loin de la route ce qui est actuellement très appréciable.
Le jardin a été dessiné par Monsieur Cramoizan et a gardé sa forme originale : couloir d’arbres, vergers, espace de tir. Guy de Maupassant fit installer une caloge, bateau qui ne naviguait plus et qui servait de logement pour son valet François Tassart. Elle servait également de salle d’eau pour Maupassant. Il n’en existe plus que deux à Etretat datant du 19 ème siècle et celle-ci est la plus ancienne.
Guy de Maupassant aimait recevoir. 6 chambres sont situées au 1er étage.Toutes les cheminées de la maison sont d’époque ainsi que celle du salon au rez de Chaussée en céramique bleu rapportée par Guy de Vallauris. De l’époque également 2 peintures de son cousin sur les portes du bureau ainsi qu’un vitrail signé Oudinot.
Cette maison est située à quelques centaines de mètres de la mer.
Actuellement cette maison a été mise en vente par l'actuel propriétaire, l'asssociation l'Arche propose que l'occasion soit saisie par les collectivités publiques pour investir dans cette propriété et créer un espace ouvert au grand public, avec comme premiers objectifs:
- de créer un point d'ancrage de la mémoire de Guy de Maupassant avec valorisation et promotion de son oeuvre littéraire. - de sauvegarder et enrichir le patrimoine culturel de la région et ainsi favoriser une dynamique "Maupassant" au niveau touristique.
Jean-Pierre Thomas, responsable de l’atelier patrimoine de l’Arche estime que cette maison doit devenir un petit musée, à l’image de la maison de Victor Hugo à Villequier, dans le même département.
" Le bonheur est une recherche. Il faut y employer l’expérience et son imagination."
Jean Giono naît à Manosque, le 30 mars 1895 dans une famille modeste. Son père, Jean-Antoine Giono, est un cordonnier, libertaire, autodidacte, généreux, que son fils évoquera dans Jean le Bleu. La famille paternelle restera d'ailleurs entourée d'une aura un peu mythologique, en particulier le grand-père Giono, dont l'image qu'il s'en fait à travers les récits de son père inspirera l'épopée d'Angelo,le hussard sur le toit.
Sa mère, Pauline Pourcin, dirige fermement son atelier de repassage. C'est elle qui tient les cordons de la bourse.
Mis à part pour quelques voyages, Giono ne quittera que très rarement sa ville natale. Elle sera évoquée dans plusieurs textes (Manosque-des-Plateaux en particulier).
En 1911, Giono doit quitter le collège, en seconde, pour travailler et contribuer à la vie de la famille. Il devient employé de banque à Manosque. La banque sera son cadre de travail jusqu'à la fin de 1929, année de la publication deColline et de Un de Baumugnes.
Ces années à la banque lui permettent d'abord de s'offrir quelques livres, les moins chers, ceux de la collection Classique Garnier. Il découvre ainsi L'Iliade, les tragiques grecs.
Fin 1914, Giono est mobilisé. En 1916, il participe aux combats, batailles de Verdun, du Chemin des Dames, du Mont Kemmel où il est légèrement gazé aux yeux. Il découvre l'horreur de la guerre, les massacres, un choc qui le marque pour le reste de sa vie. Il évoquera cette douloureuse expérience dansLe Grand troupeau, ainsi que dans ses écrits pacifistes des années 30.
De retour de la guerre, en 1919, Giono retrouve Manosque et son emploi à la banque.
Il perd son père en avril 1920; épouse Elise Maurin en juin.
Durant les années qui suivent, Giono écrit inlassablement. En 1923, il travaille sur Angélique, roman médiéval resté inachevé; il publie des poèmes en prose dans la revue marseillaise La Criée. En 1924, son ami Lucien Jacques publieAccompagnés de la flûte, des poèmes en prose, aux Cahiers de l'artisan. Dix exemplaires sont vendus. Plusieurs textes paraissent dans des revues (Les Larmes de Byblis, Le Voyageur immobile...). En 1927, Giono écritNaissance de l'Odyssée. C'est le roman fondateur, dans lequel on retrouve les éléments qui seront les thèmes de l'oeuvre à venir: l'angoisse et la fascination devant la nature, l'inquiétude panique de l'homme au contact du monde, la veine dionysiaque. Naissance de l'Odyssée est refusé par Grasset qui le qualifie de jeu littéraire.
Grasset accepte cependant de publier Colline, en 1929. Le succès est immédiat tant chez le public que chez la critique. Gide salue ce livre avec enthousiasme et va rendre visite à Giono à Manosque.
La même année, Grasset publieUn de Baumugnes, qui connaît également le succès. Giono se décide à vivre de sa plume et abandonne son emploi à la banque. Il fait l'acquisition de la maison du Paraïs, petite maison qu'il agrandira au cours des années et qu'il habitera jusqu'à sa mort.
Regain paraît l'année suivante. Il sera porté à l'écran quelques années plus tard par Marcel Pagnol.
Colline, Un de baumugnes et Regainseront réunis après coup par Giono sous le titre de Pan.
Ces trois romans commencent à dessiner une image de Giono poète, conteur, chantre d'une vie accordée à la nature, image qui se confirmera avec les écrits des années suivantes. Certains décèleront chez Giono les signes d'une prédication sociale (autarcie de la communauté vivant en relative harmonie avec la nature) en train de se construire, et qui prendra forme dans les livres suivants.
Le serpent d'étoile, description totalement inventée d'une grande fête des bergers, participe de cette vision du monde, avec une dimension cosmique de la situation de l'homme partagé entre les lois de l'univers, de la nature, et ses pulsions, ses désirs.Le serpent d'étoile provoquera quelques incidents; certains lecteurs prendront le texte au pied de la lettre et s'estimeront floués en apprenant qu'il ne s'agit que d'une invention littéraire.
Solitude de la pitiéparaît la même année que Regain. C'est le premier des recueils de récits et essais brefs, déjà parus en revue, qui paraîtront sous sa signature au long de sa carrière.
L'année suivante, Le grand troupeauaborde l'expérience de la guerre vécue par Giono. L'idée de troupeau renvoie à la fois à la troupe militaire et au troupeau de moutons, les deux étant mis en parallèle dans le livre. L'histoire de ce livre met en lumière la naïveté, l'insouciance dont faisait parfois preuve Giono en certaines circonstances, et qui auront plus tard des conséquences plus néfastes pour lui. Giono signe en effet deux contrats avec deux maisons d'éditions différentes, Grasset et Gallimard. La situation finira par s'arranger, Giono donnera alternativement un texte à l'une puis à l'autre maison d'édition, mais cet incident met bien en relief ce trait de la personnalité de Giono, la difficulté à dire non, le désir de satisfaire tout le monde, un engagement parfois spontané, irréfléchi.
En 1932, paraît Jean le bleu, un récit largement autobiographique, qui fait une grande place à la figure paternelle et témoigne de l'admiration de Giono pour son père, sa sérénité, sa générosité. Mais l'invention, le romanesque, se mêlent intimement aux éléments autobiographiques dans ce récit lyrique.
AvecLe chant du monde, Giono revient au roman pur, roman d'aventure, roman épique, dans lequel les éléments naturels ont encore une grande place (le fleuve, la faune).
On peut voir dansLe chant du mondela fin d'une période, celle des romans aux dénouements heureux. Celle, également, où Giono se veut avant tout écrivain, sans engagement social ou politique. En cette période où l'on commence à sentir poindre la menace d'une guerre, Giono commence à agir, à s'engager. Il participe à des réunions en faveur de la paix, puis adhère à l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires, proche des communistes, écrit dans Vendredi, journal dirigé par Jean Guéhenno. Mais bien qu'homme de gauche, à tendance libertaire, voire anarchisante, souvenir de son père, Giono reste avant tout pacifiste. L'évolution des communistes en faveur du réarmement le rebute, et en 1935 il s'éloignera d'eux.
Que ma joie demeure, qui paraît en 1935, est une étape marquante dans le cheminement de l'auteur. Le bonheur, la vie communautaire heureuse, se heurtent ici aux désirs de l'homme, à ses passions. Le pessimisme fait son entrée dans l'oeuvre. Le roman est cependant très bien reçu par le public et aura un impact profond, en particulier chez la jeunesse; c'est un livre qui consolidera l'image d'un Giono sorte de prophète, et qui contribuera au développement de ce que certains appelleront ensuite le gionisme, phénomène qui va prendre de l'ampleur dans les années qui suivent, jusqu'à l'irruption de la deuxième Guerre mondiale.
Giono se défendra toujours de prêcher; chacun doit faire son propre compte, dit-il. Cependant, il tente, à cette époque, de faire passer des messages. Dans ses livres, dans sa vie quotidienne, avec l'aventure du Contadour en particulier.
C'est le premier septembre 1935 qu'a lieu le premier séjour au Contadour. Dans les collines de Haute Provence, une quarantaine de jeunes gens suivent Giono pendant une quinzaine de jours. Vie simple, discussions, lectures, vent de liberté. Giono, qui à l'origine ne voulait que faire connaître la nature, se retrouve, plus ou moins malgré lui, considéré comme l'animateur de ces séjours. Il y en aura neuf jusqu'en 1939. Giono et Lucien Jacques fondent les Cahiers du Contadour. Sept numéros paraissent, peu diffusés.
En 1936, l'essaiLes vraies richesses, qui suit et prolonge en quelque sorteQue ma joie demeure, réaffirme l'idéal de la communauté rurale et appelle à une révolte contre la société industrielle capitaliste, contre la ville et la machinisme qui détruisent les "vraies richesses".
Le poids du ciel (1938) est également un plaidoyer pour la nature et contre la guerre et les dictatures.
D'autres "messages" (regroupés par la suite dans le recueil Écrits pacifistes) paraîtront sous la plume de Giono durant ces années qui précèdent la guerre:Refus d'obéissance, Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, Précisions, Recherche de la pureté.
Dans ces années d'avant-guerre, Giono milite activement pour la paix. Sa position est intransigeante: ni guerre, ni fascisme, ni communisme. Il s'engage à refuser d'obéir en cas de conflit, une position personnelle, qu'il n'appelle pas à imiter. Cependant, lorsque l'avis de mobilisation lui parvient, Giono se rend à l'appel. Une famille à faire vivre et une oeuvre à poursuivre ont eu plus de poids que sa conscience. Giono est alors arrêté pour cause de pacifisme, et détenu pendant deux mois avant de bénéficier d'un non-lieu.
A sa sortie de prison, il finit la traduction de Moby Dick, d'Herman Melville, qu'il avait entamée avec Lucien Jacques et Joan Smith et qui avait commencé à paraître dans les Cahiers du Contadour. Il écrit également l'ouvrage Pour saluer Melville, une biographie largement imaginaire de l'auteur américain.
Les livres se vendent mal et les revenus s'en ressentent. Quant au comportement de Giono pendant cette période, il sera source de bien des ennuis. On reprochera longtemps à Giono la publication deDeux cavaliers de l'orage dans La Gerbe, deDescription de Marseillele 16 octobre 1939 dans La Nouvelle revue française de Drieu La Rochelle, et d'un reportage photographique sur lui dans Signal (édition française d'un périodique allemand). On lui reprochera également une certaine proximité d'idée avec le régime de Vichy (retour à la terre, à l'artisanat), des "idées" que Giono véhicule depuis bien des années sans pour autant en tirer les conclusions politiques qui seront celles de Vichy. Les idées de Giono se trouvent à nouveau imprimées en 1941 dans Triomphe de la vie. On parlera moins par contre du fait que Giono a hébergé des réfractaires, des Juifs, des communistes. Ou de l'esprit de résistance qui inspire sa pièce Le voyage en calèche, interdite par la censure allemande.
En 1943, Giono publie L'eau vive, du théâtre. Il écrit Fragments d'un paradis.
A la libération, Giono est arrêté, le 8 septembre 44, et incarcéré. Le Comité national des écrivains l'inscrit sur sa liste noire. Il est libéré cinq mois plus tard sans avoir été inculpé.
Au sortir de la guerre, Giono est un homme désabusé, victime de l'ostracisme de l'intelligentsia de l'édition. Son oeuvre reflète les changements provoqués par cette période troublée et trouve un second souffle, une nouvelle inspiration. Retranché dans le silence et le travail, Giono se consacre tout entier à ses livres. De 1945 à 1951, il écrit huit romans et des récits. Angélo, écrit en 1945, publié en 1948, inaugure le cycle du hussard. Mort d'un personnage lui fait suite et précède Le hussard sur le toit commencé en 1946 et achevé en 1951.
Parallèlement au cycle du hussard, Giono inaugure ce qu'il appellera les Chroniques, un ensemble plus ou moins homogène et délimité, qui commence parUn roi sans divertissement(1946). Puis viennentNoé, un roman sur l'écrivain où Giono s'exprime à la première personne, Les âmes fortes, Le moulin de Pologne, Les grands chemins. Les chroniques, écrites sur des modes narratifs variés, plus courtes que les romans d'avant-guerre, avaient été pensées à l'origine comme une série plus ou moins homogène. En fin de compte, chaque titre est tout à fait indépendant des autres. Le cycle du hussard, quant à lui, possède une unité centrée autour du personnage d'Angélo.
Le Hussard, et son succès, marque la fin de l'ostracisme dont Giono a été victime depuis la fin de la guerre de la part du monde littéraire français. Jusqu'à sa mort, Giono se consacrera uniquement à l'écriture. Une écriture qui prendra d'ailleurs des formes de plus en plus variées. Giono donne des textes pour des journaux et des revues (certains de ces textes seront par la suite réunis en volumes: Les terrasses de l'île d'Elbe, Les trois arbres de Palzem, Les Héraclides, La chasse au bonheur). Il voyage en Italie, le pays de ses origines (Voyage en Italie), en Écosse, en Espagne. En 1954, il assiste au procès Dominici, vieux paysan accusé du meurtre de trois touristes anglais. Il publiera ses notes d'audiences dans la revue Arts, puis, à la demande de Gaston Gallimard, en volume, accompagnées d'un essai: Notes sur l'affaire Dominici suivies de Essai sur le caractère des personnages. Il revient au théâtre avecJoseph à Dothan et Domitien. Il travaille également à une adaptation du Chant du monde qui restera inachevée: Le cheval fou. Giono aborde également un nouveau domaine, l'histoire.Le désastre de Pavietraite de la bataille de Pavie et de la captivité de François 1er. Mais Giono n'est pas historien, et le style du romancier reste présent dans cet ouvrage un peu particulier dans son oeuvre.
Enfin, Giono continue à écrire des romans et des textes de fictions. Entre 1953 et 1957, il écrit le dernier volume du cycle du hussard, Le bonheur fou, un roman historique, mais d'une histoire avec laquelle Giono sait prendre des libertés. Il retrouve la fiction pure pour L'homme qui plantait des arbres, Les récits de la demi-brigade , Ennemonde et autres caractères, Le déserteur.
En 1965, il met en oeuvreDragoon, puis, en 1967, Olympe. Il n'achèvera aucun des deux textes. C'estL'iris de Suse qui sera sa dernière oeuvre.
Parallèlement à ses écrits, Giono s'intéresse au cinéma et réalise quelques films.
Au cours de ces dernières années, son travail est ralenti par des faiblesses cardiaques. Il doit se ménager, renoncer à la pipe, aux déplacements. En 1970, ses forces diminuent; il doit être opéré d'une embolie artérielle.
Dans la nuit du 8 au 9 0ctobre 1970, Giono meurt d'une crise cardiaque.
Lou Paraïs sa maison
La maison Lou Paraïs, est une maison du XVIIIe siècle de Manosque dans les Alpes-de-Haute-Provence. La maison, son jardin et le chemin qui y mène sont inscrits aux monuments historiques depuis le 1er mars 1996. La maison est labellisée "Maisons des Illustres" par le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand et label "Patrimoine du XXe siècle".
En 1929 grâce au grand succès de son premier roman "Colline", Jean Giono achète cette maison et son jardin, l'adresse est à elle seule un manifeste : "Montée des vraies richesses". Située au pied du Mont d'Or, à flanc de coteau, elle livre à la vue les toits et le clocher de Manosque (comment ne pas penser au "Hussard") mais sa position en retrait ne doit rien au hasard. La maison va grandir au fil des ans , sa dernière métamorphose, que n'a pas connue Giono, a permis de relier deux nouvelles pièces par une grande baie vitrée ouverte sur un paysage plus méditerranéen que provençal. Ces deux pièces sont le siège de l'Association des amis de Giono. Le reste de la maison, où vivait encore il y a peu, son épouse centenaire, n'a pas changé. C'est à la fois une maison familiale où ont grandi ses filles, Aline et Sylvie, et une maison d'écrivain, au sens plein du terme. Dans la cuisine toute simple et la salle à manger, on imagine les parfums de daube ou de pieds paquets. L'escalier étroit, qu'à la fin de sa vie le romancier ne pourra plus emprunter (on descendra sa table dans la bibliothèque du rez-de-chaussée), est jalonné de toiles de peintres amis, dont Lucien Jacques, Bernard Buffet, Yves Brayer.
Au deuxième étage veille un ange gris et bleu. A ses doigts, on suspendait les cadeaux des fillètes le jour de Noël. Il est cerné de livres déposés là au gré des envois et des lectures. Libertaire jusqu'au plus intime, Giono ne classe pas ses livres par collection, genre ou thème. Ils sont des milliers, dans un désordre vivant que déplorent les archivistes chargés de l'inventaire de la bibliothèque. Il reçoit tous les polars de la Série Noire, quatre volumes par trimestre, et les lit d'affilée, allongé sur son divan. C'est son "lavage de cerveau". Trois fenêtres, une cheminée, où le poêle ronfle, de bons gros fauteuils de cuir, des objets exotiques rapportés par les amis, du brun, du grenat, de l'ocre, il fait bon vivre dans cette pièce. Quelque chose de masculin aussi, les volutes du tabac de sa pipe se sont dissipées, l'encre d'ébène, jamais trop noire, a séché, mais les dizaines de porte-plume en bois, la page soigneusement calligraphiée, le marteau du père cordonnier, reposent toujours sur la table de repasseuse de sa mère qui lui servait de bureau.
Ses oeuvres, sont toutes présentes au Centre Jean Giono, grâce à l'exposition permanente, la bibliothèque et la vidéothèque, les classes du patrimoine et les randonnées littéraires. Le Centre Jean Giono, installé dans un bel hôtel particulier du XVIIIe siècle, est à la fois un conservatoire de l’œuvre, et un lieu d’animations et de créations. Il a été créé en 1992, sur l’impulsion de l’Association des Amis de Jean Giono et de la famille Giono.
La villa est aujourd'hui habitée par Sylvie Giono et est le siège de l'association les "amis de Jean Giono" (fondée en 1972 par Henri Fluchère et Aline Giono).
Pour aller plus loin je vous conseille le livre de Sylvie Giono, fille cadette de Jean : "Jean Giono à Manosque - Le Parais, la maison d'un rêveur"
Jean Giono, ce voyageur immobile, a vécu de 1930 jusqu'à sa mort en 1970 au Paraïs, dont il détestait s'éloigner. C'est l'une des rares, peut-être même la seule maison, où fut écrite toute l’œuvre d'un écrivain. Sa fille Sylvie retrace la vie littéraire et familiale qu'abritèrent ces murs, en nous faisant déambuler de pièce en pièce au rythme des mutations de la maison comme de son père. Anecdotes et extraits littéraires, s'entremêlent pour tracer le portrait d'un homme contrasté et l'atmosphère d'une maison haute en couleurs, où cohabitaient plusieurs générations. Car Giono avait besoin de calme autant que de la rumeur familiale. Il avait surtout besoin du soutien permanent d’Élise, son épouse, dont Sylvie Giono nous livre ici quelques écrits inédits. Dans le regard de cette fille aimante mais lucide, le Paraïs portait bien son nom car l'âme de ce lieu résidait dans la personnalité de son père " toujours attentif, en même temps que dans ses rêves, ailleurs.
"La poésie est la surabondance spontanée de sentiments puissants; son origine se trouve dans l'émotion dont on a souvenance dans la tranquillité".
Deuxième d'une famille de cinq enfants, William Wordsworth est le fils de John Wordsworth et d'Ann Cookson. Il naît à Cockermouth, dans l'ancien comté du Cumberland, aujourd'hui le comté de Cumbria.
Sa sœur est la poétesse Dorothy Wordsworth. Son frère aîné, Richard, fut homme de loi, le quatrième, John, veut également devenir poète quand il meurt lors d'un naufrage en 1805, Christopher, le puîné, devient un savant. Leur père est le représentant légal de James Lowther, premier comte de Lonsdale.
À la mort de sa mère en 1778, son père l’envoie à la Hawkshead Grammar School. Son père décède en 1783, laissant un maigre héritage à ses descendants.
Wordsworth entre au St John's College de Cambridge en 1787. En 1790, il se rend en France et soutient les républicains de la Révolution française. Il obtient son diplôme l’année suivante, sans mention, puis part pour un tour d’Europe incluant les Alpes et l’Italie. Il s'éprend d’une Française, Annette Vallon, avec qui il a un enfant, Caroline, née le 15 décembre 1792 à Orléans. La même année, le manque d’argent le contraint à retourner, seul, en Grande-Bretagne.
Accusé d’être girondin sous la Terreur, il prend ses distances avec le mouvement républicain français ; de plus, la guerre entre la France et la Grande-Bretagne l’empêche de revoir sa femme et sa fille.
C’est en 1793 qu’il publie ses premiers poèmes dans les recueils "An Evening Walk"et "Descriptive Sketches". Il reçoit un don de £900 de Raisley Calvert en 1795, ce qui lui permet de continuer à écrire et de s’installer avec sa sœur à Racedown. Il rencontre Samuel Taylor Coleridge à Somerset cette même année. Les deux poètes deviennent rapidement des amis proches.
En 1797, Wordsworth et sa sœur Dorothy déménagent pour Somerset, à quelques kilomètres de la maison de Coleridge, à Nether Stowey. Ensemble, ils publient "Lyrical Ballads"(1798), qui s'avère d'importance capitale pour le mouvement romantique en Grande-Bretagne. L’un des poèmes les plus connus de Wordsworth, Tintern Abbey est publié dans ce recueil ainsi que The Rhyme of The Ancient Mariner (Le dit du vieux marin) de Coleridge.
Wordsworth, Dorothy et Coleridge se rendent en Allemagne. Durant l’hiver 1798-1799, Wordsworth vit à Goslar et commence à écrire un poème autobiographique, "The Prelude". Sa sœur et lui reviennent en Angleterre et s'installent à Grasmere, dans le Lake District, non loin du lieu de résidence de Robert Southey. Wordsworth, Southey et Coleridge deviennent alors les " poètes du Lac" (Lake district poets).
En 1802, Wordsworth se rend en France avec Dorothy pour revoir Annette et Caroline. Il se marie ensuite avec son amie d’enfance, Mary Hutchinson. Dorothy n’apprécie pas ce mariage mais continue à vivre avec le couple. L’année suivante, Mary donne naissance au premier de leurs cinq enfants, John.
Lorsque Napoléon devient Empereur des Français en 1804, les derniers rêves de libéralisme de Wordsworth s’écroulent et il se décrit alors comme conservateur. Il travaille beaucoup cette année-là, ce qui lui permet de terminer "The Prelude" en 1805, mais il n'aura de cesse de l’améliorer et le recueil ne sera publié qu’à titre posthume. Il sera, cette même année, profondément affecté par le décès de son frère John.
En 1807, ses "Poems in Two Volumes" sont publiés, incluant "Ode: Intimations of Immortality from Recollections of Early Childhood". Pour un temps, Wordsworth et Coleridge se sont éloignés l’un de l’autre en raison de l’addiction de ce dernier à l’opium.
Deux de ses enfants, John et Catherine, meurent en 1812. L’année suivante, il emménage à Rydal Mount, Ambleside, non loin de la propriété de Harriet Martineau, essayiste engagée et militante qui vit seule au milieu de ses moutons et de ses chèvres, c'est là qu"il passera le reste de sa vie. Il publie "The Excursion" en 1814, prévue comme deuxième partie d’une trilogie. La critique moderne souligne que ses œuvres, plus particulièrement celles qu’il écrit au milieu des années 1810, ont perdu en qualité.
Dorothy tombe gravement malade en 1829, ce qui la laisse invalide. En 1835, Wordsworth verse une pension à Annette et Caroline. Le gouvernement lui accorde une pension civile d’un montant de 3 000£ par an en 1842.
À la mort de Robert Southey en 1843, Wordsworth devient le "Poet Laureate". Lorsque sa fille, Dora, meurt en 1847, il arrête d’écrire momentanément.
Wordsworth meurt en 1850 à Rydal Mount et est enterré à St Oswald’s Church, Grasmere. Mary publie son long poème autobiographique, "The Prelude", plusieurs mois après sa mort.
Wordsworth est le fondateur de la "Literary Society".
La vie de Wordsworth et de Coleridge, et, en particulier, leur collaboration pour les "Lyrical Ballads", sont au cœur du film Pandaemonium (2000).
Cockermouth sa maison natale.
William Wordsworth est né le 7 avril 1770 dans une superbe maison géorgienne à Cockermouth, maison aujourd'hui appellée "Wordsworth House".
Construite en 1745 pour le shérif de Cumberland Joshua Lucock, elle fut rachetée en 1761 par Sir James Lowther, le fils de Sir John Lowther qui fut l'architecte de Whitehaven et son port.
John Wordsworth, le père du poète, alors au service de Sir James, fut muté à Cockermouth en 1764 ; en tant qu'agent immobilier, il était logé gratuitement dans cette demeure. En 1766 il épouse Anne Cookson et 5 enfants viennent au monde : Richard (19 Aout 1768), William (7 Avril 1770), Dorothy (25 Decembre 1771), John (4 Decembre 1772) and Christopher (9 Juin 1774). Leur mère décède en 1778 alors que William est âgé de huit ans, c'est à cette période qu'il passe la majeure partie de son temps à Penrith dans la famille de sa mère. Cinq ans plus tard son père meurt à son tour dans cette maison, le 30 décembre 1783, et c'est en 1784 que tous les enfants la quittent pour aller vivre chez des parents.
La maison est restée un logement privé jusque dans les années 1930. En 1937, la bibliothèque de Cockermouth a essayé de réunir la somme nécessaire à l'achat de la maison, mais la compagnie locale de bus l'a doublé, avec l'intention de la démolir et d'ériger à sa place une gare routière. La presse et la radio ont alerté l'opinion publique et de nombreux dons ont permis à la ville de racheter la maison. Celle-ci a été inscrite au National Trust en 1938. Le 3 juin 1939 elle a ouvert ses portes en tant que mémorial de Worsdworth.
En 2003, une dotation de plus d'un million de livres sterling a permis des travaux de grande envergure et de redonner à la maison un cachet 18ème siècle. Le 22 juin 2004 la demeure a réouvert ses portes, elle représente la maison familliale des Wordsworth dans les années 1770. Elle offre une visite animée et participative avec des activités manuelles et costumées. On peut y voir une cuisine du 18ème siècle, les chambres des enfants, le bureau de monsieur Wordsworth ainsi que bien d'autres pièces. Le jardin et sa terrasse surplombant le fleuve Derwent, terrain de jeu favori des enfants Wordsworth, a retrouvé lui aussi sa splendeur du 18ème siècle.
Dove Cottage (1799 - 1808)
Dove Cottage situé à Grasmere fut la maison de William Wordsworth et de sa soeur Dorothy de 1799 à 1808, c'est là qu'il écrivit la plupart de ses poèmes et que sa soeur tint son fameux journal.
Dove Cottage a été construit au tout début du 17ème siècle et pendant près de 170 ans il abrita une auberge appelé "'Dove and Olive" (la colombe et l'olive). Cette auberge ferma ses portes en 1793, William et sa soeur y emménagèrent en 1799. En 1802 le poète se maria avec avec Mary Hutchinson, leur trois premiers enfants naquirent dans cette maison : John en 1803, Dora en 1804 et Thomas en 1806. Sara Hutchinson, soeur de Mary ainsi que Thomas de Quincey, grand ami de William y vécurent aussi.
La famille recevait beaucoup de monde, parmi les visiteurs on peut nommer : Walter Scott, Charles et Mary Lamb, Robert Southey et bien évidemment Samuel Taylor Coleridge.
Les nombreuses visites, la famille grandissante, autant de raisons qui firent que la maison devint vite trop petite et en 1808 la famille déménagea pour Allan Bank, toujours à Grasmere.
Comme beaucoup de maisons à Lake District, Dove Cottage est faite de pierres locales avec les murs extérieurs blanchis à la chaux afin d'empêcher l'humidité de s'infiltrer. Le toit est recouvert d'ardoises et les cheminées ont des dispositifs empêchant la fumée de refouler. Toutes les pièces à l'étage ont un plancher d'ardoise, les pièces du rez de chaussée sont la salle de séjour, la cuisine et les dépendances. A l'étage se trouvent la chambre de Dorothy, le bureau de William, les chambres des enfants ainsi qu'une chambre d'invités.
Le jardin et le verger prenaient une grande place dans la vie familiale, ils ont retrouvé toute leur splendeur.
En 1891 fut créé le Wordsworth Trust afin de préserver Dove Cottage. En 1981 un musée ouvre ses portes ainsi qu'une bibliothèque qui peut s'enorgueillir de posséder, encore de nos jours, la plus importante collection de manuscrits, livres et peintures, consacrée au Romantisme Britannique.
En 2004 pour remplacer l'ancienne bibliothèque, Jerwood Center fut créé. Il est doté d'équipements modernes facilitant la conservation des oeuvres ainsi qu'un département recherche.
Rydal Mount (1813 - 1850)
Rydal Mount, au coeur de Lake District, surplombant le lac Windermere et la rivière Rydal, fut la dernière demeure de William Wordsworth, il y vécut de 1813 à 1850.
La maison qui appartient encore de nos jours aux descendants du poète a su conserver son atmosphère de maison familiale et a très peu changé depuis l'époque où William et sa famille y vécurent.
Ils louaient cette demeure à Lady Le Fleming qui habitait la maison voisine Rydal Hall.
On peut visiter les chambres de William et Mary, Dorothy, et Dora, ainsi que le bureau de William situé dans le grenier. La maison possède de nombreux portraits de famille, des objets personnels et de nombreuses premières éditions des recueils du poète.
La salle à manger située dans une partie de la maison datant de l'époque Tudor date de 1574 et contraste avec les grandes pièces que sont les salons et la bibliothèque, qui ont été rajoutées en 1750.
Wordsworth aimait la nature, il passait des heures à façonner son jardin. Les quatres acres sont restés tels qu'il les avait conçus. On y trouve des arbustes rares, des cultures en terrasse , de la pelouse, des bassins et un tertre antique. Ce tertre date du 9ème sicèle, c'est là que l'on érigeait un feu qui servait de balise frontière.
A la belle saison, les jonquilles, les jacinthes et les rhododendrons éclatent en une palette de couleur spectaculaire. De la maison la vue sur la rivière Rydal est splendide.
A la mort de sa fille Dora, en 1847, William et sa femme plantèrent dans un champ des milliers de jonquilles à sa mémoire. Le Dora's Field, appartient de nos jours au National Trust. Aux jonquilles, succèdent en avril les jacinthes.
"Je ne suis jamais allée à l'école, quelle chance ! Cela aurait enlevé une partie de mon originalité".
Beatrix Potter est née à Londres, le 28 juillet 1866, dans une famille de la grande bourgeoisie enrichie par le commerce du coton. En cette fin de XIXème siècle, les enfants de la bonne société n'ont que peu de contacts avec leurs parents. Ils sont élevés à l'écart du monde par des gouvernantes et les garçons rapidement envoyés en pension. La petite Helen Beatrix souffre d'une profonde solitude, à peine comblée par un environnement propice aux activités artistiques. Lorsque son frère, Bertram, qui avait six ans de moins qu’elle, était à l’école, les seuls compagnons de la petite fille étaient ses animaux, hébergés dans sa salle d’étude (des lapins, des grenouilles et même une chauve-souris). Elle aimait les observer et les dessiner.
Son père est un photographe amateur, féru d'art, qui emmène sa fille et son fils Bertram aux expositions de la Royal Academy. Le peintre préraphaélite John Millais est un ami de la famille. Beatrix est littéralement en adoration devant son tableau Ophelia qui est à ses yeux " la plus merveilleuse peinture du monde ".
Les mois d'été, la famille s'installe à Wray Castle, près d'Ambleside, le pays des lacs, au nord de l'Angleterre. C’est un véritable paradis pour la jeune fille qui trompe son ennui grâce à l'étude frénétique de la nature : herbier, collection de fossiles ou d'insectes. Tout lui est bon pour approfondir ses connaissances scientifiques. C'est également à Wray Castle qu'elle fait la rencontre, déterminante, du vicaire Hardwicke Rawnsley. Ce grand amoureux des lacs milite pour la protection de l'environnement et fondera en 1895 le National Trust. Il encourage son goût du dessin naturaliste et la pousse à fréquenter le British Museum.
Beatrix se passionne pour la mycologie. Pendant des années, elle récolte des spécimens, les dissèque, les dessine dans les moindres détails et développe bientôt une théorie sur la propagation des lichens. Soutenue par son oncle, le chimiste Sir Henry Enfield Roscoe, elle présente ses recherches aux botanistes des Jardins botaniques royaux de Kew. En pure perte. Elle est victime de l'ostracisme d'une communauté scientifique qui ne lui pardonne pas d'être une femme et la relègue au rang d'amateur. Maigre consolation : la Linnaean Society of London accepte de dévoiler ses travaux lors d'une conférence à laquelle, comble de l'ironie, elle n'aura pas, en tant que femme, le droit d'assister.
En 1890, sur le conseil d'un de ses amis, Canon Rawnsley, elle crée à partir de ses dessins d'animaux et de plantes ses premières cartes de vœux qui, à sa grande surprise, sont achetées par Hildesheimer & Faulkner en Allemagne. À la même époque, le fils de sa gouvernante attrappe la scarlatine. Pour accompagner sa convalescence, Beatrix lui compose l'histoire de quatre petits lapins nommés Flopsy, Mopsy, Cottontail, et Peter.
Il faudra attendre sept ans pour que cette histoire originale soit étoffée et devienne un véritable ouvrage illustré en noir et blanc. Aucun éditeur ne semble intéressé. Devant des refus successifs et parfois méprisants, Beatrix Potter choisit de publier elle-même un recueil qu'elle souhaite différent des livres d'enfants de l'époque, peu maniables. Elle opte pour un petit format (15 cm), un papier résistant et, surtout, des illustrations sur chaque page. Deux atouts les différencient des publications traditionnelles :
L'anthropomorphisme de ses personnages est contrebalancé par la précision anatomique de son trait. Ses lapins ressemblent à des lapins au poil près et se conduisent comme tels. Leurs rapports avec les humains ne sont jamais édulcorés. Ainsi, le père de Peter Rabbit finit ses jours dans une tourte cuisinée par Madame McGregor.
Son exigence du mot juste : convaincue que les enfants sont sensibles aux mots qu'ils apprennent, elle s'est toujours refusée à remplacer un terme, si difficile soit-il, par un autre, plus simple mais moins précis.
Ce premier tirage de 250 exemplaires est un véritable succès. Conan Doyle lui-même en achète pour ses enfants. Trois mois plus tard, Peter Rabbit est réédité à 250 exemplaires. Frederick Warne & Co., l’un des éditeurs qui l'avaient précédemment refusé, accepte de publier Peter Rabbitavec des illustrations en couleurs. En 1902, le livre paraît et, dans l'été de la même année, les premières copies "pirates" circulent aux États-Unis.
Beatrix Potter a 36 ans, vit toujours chez ses parents, mais gagne sa vie pour la première fois. C'est en 1905 qu'elle fait l'acquisition de sa première propriété située dans la région des lacs, la ferme de Hill Top, dans le village de Near Sawrey. Les bâtiments et la campagne alentour sont décrits dans ses histoires et quelques-unes de ses illustrations montrent des scènes de cette contrée, pratiquement inchangée de nos jours.
Norman Warne fut son premier amour. Un des motifs qui va sceller leur amour est l’admiration sans borne que lui voue Norman. En parlant de ses animaux, il confie qu’ils sont "extraordinaires, charmants, magiques, magnifiquement dessinés". Les jeunes gens vont, ensemble, être les créateurs des livres pour enfants que nous connaissons. Et leur amour sera placé sous le signe des animaux : lorsqu’elle lui enverra des lettres, les animaux seront toujours présents, témoins de cet amour. Norman et Beatrix se ressemblent beaucoup : ils doivent tous les deux faire leurs preuves vis-à-vis de leur famille. Beatrix doit faire admettre à sa mère "qu’une célibataire de 32 ans à mieux à faire que prendre le thé et sourire à des propos stupides", tandis que Norman doit montrer à ses frères aînés qu’il peut travailler. À son contact, Beatrix va apprendre à danser ou plutôt apprendre à aimer un homme, et ce dernier va se libérer de l’emprise de ses frères en devenant un éditeur à part entière. Ils se fiancent en secret, mais malheureusement Norman décède quelques semaines plus tard.
Les dix années qui suivent verront la naissance de 23 albums. La famille de Peter Rabbit s'agrandit : Jeremy Fisher le Crapaud, Cecily Parsley, Miss Moppet et bien d'autres évoluent dans un univers souvent cruel, alors que leur auteur, reconnue, se délivre peu à peu de la tutelle pesante de ses parents.
En 1913, son mariage avec William Heelis signe l'arrêt de sa carrière littéraire. Madame Heelis est une femme différente de la jeune Potter. À 47 ans, aimée, accompagnée par un homme qui partage son amour de la nature, elle n'a plus besoin de son univers de papier pour meubler sa solitude. Elle abandonne progressivement Peter Rabbit pour se consacrer, avec son mari, à la vie rurale et à l'élevage des moutons.
À sa mort, le 22 décembre 1943, elle laisse au National Trust 14 fermes, 4 000 acres (16 km²) de terre, ses troupeaux de moutons Herdwick et, bien sûr, ses lapins, qui, affirmait-elle, étaient les descendants du véritable Peter Rabbit.
Hill Top sa maison.
Beatrix a toujours aimé la Région des Lacs (Lake District) et ce depuis les vacances de son enfance et c'est grâce à l'argent obtenu avec le succès de son livre Pierre Lapin, qu'elle a pu s'offrir la ferme Hill Top dans le village de Sawrey.
Elle garda John Cannon, l'intendant agricole, et acheta tout de suite un troupeau de mouton Herdwick. Elle ne pouvait pas résider à plein temps dans sa nouvelle maison qu'elle aimait tant, car elle devait s'occuper de ses parents à Londres, mais c'était son premier pas vers l'indépendance et elle s'y rendait dès qu'elle le pouvait.
Depuis toujours Beatrix Potter été passionnée par les animaux, après son mariage avec William Heelis elle put s'installer à Lake District de manière permanente et se consacrer entièrement à l'agriculture.
Beatrix prit une part très active dans la conservation des fermes de la région du Lake District. Parée de ses sabots, de son châle et de sa vieille jupe de tweed, elle participait à la récolte du foin, pataugeait dans la boue pour dégager des évacuations et partait à la recherche des moutons perdus dans les landes. Elle se disait la plus heureuse des femmes quand elle était avec ses animaux dans sa ferme.
Avec Tom Storey, son berger, elle éleva des moutons Herdwick, une race rare et menacée, originaire de la région. Elle encouragea la relance de l'élevage de ce mouton dans toutes ses fermes et ses moutons gagnèrent la plupart des prix dans les expositions locales. En 1943, Beatrix est devenue la première femme élue Président de l'Association des Sélectionneurs de Mouton Herdwick, ce qui était un très grand honneur et un signe du haut respect dans la communauté agricole locale.
Beatrix Potter a utilisé sa ferme Hill Top comme décor pour plusieurs de ses contes. Le premier était le conte de Samuel le Moustachu, qu'elle écrivit en 1906 après avoir acheté la ferme. Ses vues préférées de sa nouvelle maison se trouvaient dans les contes de Sophie Canétang et Rebondi cochonnet; tandis que Tom Chaton et ses soeurs montaient sur le mur rocailleux au fond du jardin de Hill Top, alors que Gingembre et son épicerie se situaient dans le village de Sawrey. En 1947, le National Trust ouvrit sa maison au public et, depuis, la ferme Hill Top reçoit des milliers de visiteurs chaque années.
"Je veux vivre inhumain, puissant et orgueilleux,puisque je fus créé à l'image de Dieu".
Guglielmo Alberto Kostrowitzky naît à Rome, le 26 août 1880. Sa famille cependant est d’origine polonaise. Son grand-père, Apollinaire Kostrowitzky, d’illustre ascendance aristocratique, quitte le domaine familial, aux environs de Minsk, pour participer à la guerre de Crimée. Blessé en 1855 lors du siège de Sébastopol, l’officier, pensionné désormais par le tsar, se marie à une jeune italienne, Julia Floriani. Celle-ci lui donne une fille prénommée Angelina Alexandrina, en 1858. Commence à cette époque pour les Kostrowitzky une longue période d’errance, de dénuement, de mésentente conjugale, en Europe.
Apollinaire Kostrowitzky échoue dans la ville des Papes, avec sa fille, en 1866. Celle-ci entre au couvent des Dames françaises du Sacré-Cœur. Après y avoir reçu une éducation religieuse, la jeune femme quitte l’institution en 1874, à l’âge de vingt ans, pour indiscipline. Quelques années plus tard, en 1880, un enfant lui naît, fruit d’une liaison avec un officier, Francesco Flugi d’Aspermont. Le petit Guglielmo aura un frère, prénommé Alberto, en 1882. Ensemble, ils passent leur petite enfance en Italie.
En 1887 cependant, Angelina Kostrowitzky et ses deux fils s’installent à Monaco. Guillaume effectue ses études au collège Saint-Charles, de 1887 à 1895, année de sa fermeture, puis au collège Stanislas de Cannes au cours des deux années qui suivent, et enfin au lycée de Nice en 1897. Pieux – il effectue sa première communion en 1892 - et studieux, l’étudiant montre des dispositions pour la littérature et les arts. Cependant, il n’obtiendra pas le Baccalauréat.
Au printemps 1899, les Kostrowitzky, couverts de dettes, arrivent à Paris. Angelina, qui se fait appeler Olga à présent, ne bénéficie plus des subsides que lui versait son père, devenu Camérier - Officier de la Chambre - du Pape. Dans la capitale, Guillaume Kostrowitzky mène une vie laborieuse, prêtant sa plume à divers écrivaillons, avant de faire ses débuts journalistiques à Tabarin, une feuille politico-satyrique. A partir du mois d’août 1901, il effectue un long voyage en Allemagne, qui le mène jusqu'à Berlin. Le jeune homme a en effet été engagé par Madame de Milhau, pour être le précepteur de sa jeune fille. Le périple se poursuit au cours du printemps 1902, époque pendant laquelle le jeune homme découvre Prague, Munich, Vienne.
Son contrat achevé, Guillaume Kostrowitzky est de retour en France. Quelques-uns de ses contes sont alors publiés par La Revue blanche : "L’Hérésiarque" en mars, "Le Passant de Prague" en juin. Celui qui prend à cette époque le pseudonyme de Guillaume Apollinaire collabore également à La Grande France, à L'Européen, une revue de politique internationale, ainsi qu’à La Revue d'art dramatique. Dans cette dernière feuille, il assure une chronique des publications périodiques. Au mois de novembre 1902, Apollinaire fonde sa propre revue, LeFestin d'Ésope, toute entière consacrée à la poésie. Celle-ci aura neuf livraisons. Grâce à Max Jacob, il fait à cette époque la connaissance de Picasso, Vlaminck, Derain. En ces années 1903 et 1904, Apollinaire rejoint aussi fréquemment à Londres Annie Playden, une jeune anglaise rencontrée alors qu’il était auprès de Madame de Milhau. Sans grand succès amoureux cependant.
Résidant au Vésinet, le poète fréquente de plus en plus Montmartre, où il s’installe en 1907, abandonnant au passage son emploi dans une banque pour vivre de sa plume. La même année, Guillaume Apollinaire fait la rencontre de Marie Laurencin, à qui l’unira au cours des cinq années suivantes une liaison orageuse et discontinue. Le poète publie beaucoup à présent, dans diverses revues, et en particulier dans les pages de La Phalange, dédiée au mouvement néo-symboliste, en 1908. Son premier livre, "L'Enchanteur pourrissant", parait l’année suivante, qui fait néanmoins suite aux "Onze Mille Verges", un roman érotique qui circule sous le manteau dans Paris. Vient ensuite "L'Hérésiarque et Cie", un recueil de contes, en 1910, le "Bestiaire ou cortège d'Orphée"en 1911.
Celui, qui a servi de modèle au Douanier Rousseau en 1910, se fait critique d'art dans L'Intransigeant, ce qui lui assure quelques revenus réguliers. Dès le 1er avril 1911, Apollinaire anime également la rubrique "La Vie anecdotique" dans le Mercure de France. A l’automne cependant le poète est incarcéré une semaine durant à la Santé. Il est en effet accusé de complicité de vol pour avoir restitué des statuettes dérobées au Louvre par Géry Pieret, qu’il hébergeait jusque là. Après la disparition de La Joconde dans le même musée, l’opinion cherchait en effet un coupable. Au mois de février 1912, paraît le premier numéro des Soirées de Paris, consacrées à l’art moderne. Seize autres suivront jusqu’au mois de juin 1913, année où paraît "Alcools", le premier grand recueil du poète.
Guillaume Apollinaire effectue quelques séjours en Normandie, à La Baule puis à Deauville. Il est de retour à Paris à l'annonce de l'imminence d'une mobilisation générale, et y rencontre Louise de Coligny-Chatillon, "Lou". Désireux de s’engager, Guglielmo Kostrowitzky passe le conseil de révision à fin du mois de novembre. Le 5 décembre 1914, le poète est incorporé au 38ème régiment d'artillerie de campagne à Nîmes. Deuxième cannonier-conducteur, il est admis à un peloton d’élève-officiers créé à l’intérieur du régiment. Le 2 janvier 1915, de retour d'une permission passée à Nice, le poète rencontre dans le train Madeleine Pagès, une nouvelle liaison commence pour le poète. Au mois d’août 1915, la jeune femme deviendra sa fiancée.
Le 4 avril 1915 enfin, c’est le grand départ pour le front. Deux jours plus tard, il est à Mourmelon-le-Grand. Brigadier, Apollinaire est désigné comme agent de liaison. Son régiment est ensuite transféré aux Hurlus, puis près de Perthes. Nommé maréchal des logis, il occupe à présent les fonctions de chef de pièce. Le 1er novembre 1915 cependant, pour pallier au manque d’officiers dû aux pertes, Apollinaire est transféré dans l'infanterie comme sous-lieutenant et est affecté, le 20 novembre, au 96ème Régiment de ligne. En première ligne, il connaît à présent la vie des Poilus, dans la tranchée, face à l’ennemi. Ayant obtenu une permission, l’officier est à Oran, chez Madeleine Pagès depuis le 26 décembre jusqu'au 11 janvier 1916. De retour sur le front, Apollinaire est à Damery, en seconde ligne, quand, le 9 mars, il prend connaissance de la publication de son décret de naturalisation.
Quelques jours plus tard, le 14 mars 1916, l’officier monte en ligne avec son unité au Bois-des-Buttes, dans le secteur de la vallée de l'Aisne, au nord-ouest de Reims. Le 17, il est blessé à la tête d’un éclat d’obus qui perce son casque. Alors qu’il est évacué vers le Val-de-Grâce, un abcès provoque des paralysies partielles, son état nécessitant une trépanation. L’opération est un succès, mais suit une longue convalescence à l'hôpital du Gouvernement italien du quai d'Orsay. Au cours de cette période difficile, Apollinaire s'éloigne de Madeleine Pagès. Au mois d’octobre 1916, le "Poète assassiné"est publié, Avec ce recueil de nouvelles, le poète fait sa rentrée littéraire, ses amis profitant de l’évènement pour organiser un banquet en son honneur, le 31 décembre suivant.
L’année 1917 est particulièrement féconde. Les "Mamelles de Tirésias" paraissent le 24 juin, puis, en novembre, "Vitam impendere amori". Apollinaire prépare également une édition de ses "Calligrammes", auxquels il travaillait déjà avant la déclaration de guerre, et qui parait au mois d’avril 1918. Toujours tenu par ses obligations militaires, le poète est affecté au Bureau de Censure, jusqu’en avril 1918, moment où le ministre des Colonies Henri Simon le prend à son service dans son cabinet. Le 1er janvier 1918, Apollinaire est atteint d’une congestion pulmonaire. Hospitalisé à la villa Molière, transformé en hôpital, le poète y demeurera deux mois. Quelques temps plus tard, le 2 mai, il se marie à Louise Emma Kolb.
Atteint par la grippe espagnole, le poète décède le 9 novembre 1918. Il est inhumé le 13, au Père-Lachaise, alors que dans les rues de la capitale, les Parisiens fêtent l’armistice et la victoire sur l’Allemagne de Guillaume II.
Sa maison au Vesinet.
La commune du Vésinet se trouve au milieu d'un méandre de la Seine, sans accès au fleuve, à 19 kilomètres à l'ouest de Paris et à quatre kilomètres à l'est de Saint-Germain-en-Laye. Guillaume Apollinaire y a résidé, de 1904 à 1907, au 8, boulevard Carnot. Né à Rome en mai 1880, il avait alors vingt-quatre ans.
En fait, il était hébergé par sa mère, la comtesse polonaise de Kostrowitzky, qui avait loué au début de l'été 1904 une villa appartenant à un artiste lyrique, Charles-André Royer, et y vivait avec son ami du moment, Jules Weil, employé à la Banque de l'Ouest, place du Havre, face à la gare St-Lazare et son plus jeune fils, Albert, né, lui aussi, à Rome. Etranger à la vie des lettres, ce jeune homme devait s'embarquer en 1912 pour le Mexique où, sans avoir fait parler de lui, il mourrait du typhus, quelques mois après son frère Guillaume et leur mère. La location de la villa du 8, boulevard Carnot était faite au nom de celle-ci qui y vécut jusqu'à sa mort en 1919.
"Au Vésinet, écrit Pierre-Marcel Adéma, Madame de Kostrowitzky donna toute la mesure de son original caractère et de ses humeurs fantasques. La villa qu'elle occupe est spacieuse, deux étages, atelier vitré, terrasse sur le boulevard, vastes communs, parc garni de beaux arbres, avec un bassin surmonté d'un petit pont rustique. Bientôt, elle fera combler le bassin, brûler le ponceau dans le calorifère, abattre un grand chêne dont elle trouva l'ombre excessive, envoyant promener le propriétaire qui s'est permis quelques observations". Il s'agit d'une construction brique et pierre assez soignée, à peu près abandonnée aujourd'hui semble-t-il, cernée par des pavillons élevés plus récemment aux dépens de son parc, réduit, en façade, à quelques mètres. Plus de soixante ans ont passé et s'il leur était donné de revivre, ni le propriétaire ni l'irascible locataire ne s'y retrouveraient.
"Selon son état de fortune, le couple engage une domestique ou la renvoie, à moins que les subits emportements, facilement suivis de voies de fait de Madame de Kostrowitzky ne provoquent le départ prématuré de la servante. Si le caractère paisible de son frère s'accommode de l'humeur de leur mère, Guillaume ne réagit pas de même et, déjà très indépendant, il ne séjourne au Vésinet que le strict nécessaire. En semaine, il ne s'y rend que le soir fort tard s'il n'a pas trouvé asile chez l'un ou l'autre de ses amis. Le dimanche, il s'échappe vers la campagne environnante..."
La campagne environnante, c'est la boucle de la Seine, le pont de Chatou, la Grenouillère, rendez-vous de peintres et de canotiers. Joyeux compagnon, le jeune Guillaume s'y fait des amis, lesquels ont nom André Derain et Maurice de Vlaminck. D'autre part, ses allées et venues ferroviaires du Vésinet à Paris lui valent (la fréquentation des cafés des environs de la gare St-Lazare lui plaisant davantage que celle des salles d'attente) de faire la connaissance de Pablo Picasso et de l'écrivain Max Jacob.
On peut penser que c'est grâce à son séjour au Vésinet que ce fils naturel d'une aventurière russo-polonaise et d'un brillant militaire italien qui ne l'a pas reconnu, a vu sa carrière littéraire prendre son orientation définitive, orientation dont Montmartre d'abord, Montparnasse ensuite confirmeront le caractère ultra fantaisiste et feront de lui le chantre de toutes les avant-gardes artistiques.
"Il faut haïr très peu, car c'est très fatigant. Il faut mépriser beaucoup, pardonner souvent, mais ne jamais oublier".
Henriette Rosine Bernhardt est née le 22 octobre 1844 à Paris. Sa mère, une courtisane d'origine hollandaise, confie très tôt l'enfant à une nurse, en Bretagne. Sarah y reçoit peu de visites de ses parents. A l’âge de sept ans, elle est placée en pension avant d’entrer au couvent des Grands-Champs, à Versailles. L'adolescente apprécie cette existence de recluse et la chaleur de la vie en communauté parmi les religieuses, à tel point qu’elle songe bientôt à prendre le voile. En 1858 cependant, lors de la visite effectuée au couvent par l’archevêque de Paris, son interprétation de l’ange Raphaël dans une pièce de théâtre écrite par une des sœurs en l’honneur du prélat est remarquée.
Le comte de Morny, haut dignitaire du Second Empire et ami de sa mère, lui suggère de décider Sarah à se lancer dans une carrière d'artiste. En 1859, celle-ci entre au Conservatoire après avoir fait le choix incongru, lors de l'épreuve d'admission, de réciter Les Deux Pigeons, une fable de La Fontaine. Cependant, son apprentissage de l’art de la comédie ne s’effectue pas sans heurts avec ses professeurs. Enfin, en 1851, Sarah obtient le second prix de tragédie grâce à son interprétation de Zaïre, une œuvre de Voltaire. L'année suivante, un premier accessit de comédie lui est également décerné.
Avec l’appui de Camille Doucet, ministre des Beaux-Arts à l’époque, Sarah Bernhardt entre en 1862 à la Comédie Française. L'actrice débute sur les planches le 1er septembre lors d'une représentation d'Iphigénie de Racine. Elle quitte cependant l’institution l’année suivante, après avoir giflé une autre actrice … Sarah Bernhardt s’essaie alors dans des œuvres plus légères de vaudeville au Théâtre du Gymnase. Elle connaît bientôt le succès en 1869 au théâtre de l’Odéon en interprétant le rôle de Zanetto dansLe Passant, une pièce de François Coppée. Les succès se suivent alors. L’actrice brille de nouveau dans une œuvre de Racine, Phèdre, puis dans Hernani de Victor Hugo. Ruy Blas du même auteur, joué quelques temps plus tard, lui assure son premier triomphe parisien grâce à sa prestation dans le rôle de la reine d’Espagne.
Les multiples idylles de la comédienne avec les hommes en vue du tout-Paris alimentent alors les chroniques. De ses liaisons amoureuses naît le 22 décembre 1864 un fils unique, Maurice. Afin de préserver son indépendance, Sarah Bernhardt choisit pourtant le célibat et l'indépendance. Pendant le siège de Paris, elle se dévoue auprès des blessés. En 1872, la comédienne quitte l’Odéon et est bientôt de retour au sein de la Comédie française. Elle devient sociétaire de l'institution en 1875. Pourtant Sarah Bernhardt se heurte au directeur de l’époque, Émile Perrin. Celui-ci ne parvient qu'à grand peine à s'imposer auprès de l’actrice qui multiplie les caprices. Son statut de vedette de la scène parisienne lui autorise d’ailleurs quelques excès. Émile Perrin n'accorde bientôt plus à l'actrice que des rôles secondaires. La mort d’une de ses sœurs, Régina, affecte alors profondément Sarah Bernhardt. Elle connaît une crise morale. La comédienne prend l’habitude à cette époque de sommeiller dans un cercueil pour se rappeler la fatalité de son destin de mortel au delà de l'illusion que lui procure la gloire.
La Comédie française commence alors une tournée outre-Manche. Celle-ci connaît un franc succès. Sarah Bernhardt est plébiscitée par le public anglais. De retour à Paris, elle doit pourtant subir à nouveau les assauts de la critique. Celle-ci atteint son paroxysme au moment où Sarah doit interpréter Clorinde dans L’Aventurièred’Émile Augier. Ce rôle antipathique ne lui convient guère et la prestation de l'actrice lors de la première est décevante. Elle décide, le 17 avril 1880, de quitter définitivement l’institution. Le 15 octobre suivant, Sarah Bernhardt part pour une nouvelle tournée à l’étranger, aux États-Unis cette fois-ci puis en Russie et dans le reste de l’Europe l’année suivante. A son retour en 1882, elle se marie avec un aristocrate grec, Ambroise Aristide Ramala. Le couple se séparera l’année suivante.
Libérée alors des contraintes précédentes, elle se lance dans l’interprétation de rôles tels que La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils ou Adrienne Lecouvreur d’Augustin Eugène. Ceux-ci lui permettent d’affirmer son jeu d’actrice. Ils laissent place à davantage de féminité et de fantaisie. La sensualité de sa voix et la grâce de son jeu de scène fascine alors les foules. Sarah Bernhardt, adulée, devient une star. Dans les années qui suivent, la comédienne collabore avec un écrivain, Victorien Sardou. Le duo multiplie les drames historiques à succès : Fédora en 1882 au Vaudeville, Théodora en 1884 puis La Tosca en 1887 au Théâtre de la Porte-Saint-Martin dont elle prend la direction. Jeanne d’Arc de Jules Barbier en 1890 puis Cléopâtre également de Victorien Sardou lui apportent également le succès.
En 1893, Sarah Bernhardt devient la directrice du Théâtre de la Renaissance. Elle crée alors La Princesse lointaine d’Edmond Rostand en 1895 puis Lorenzacciod’Alfred de Musset, La Samaritaine également d’Edmond Rostand en 1897 et enfin La Ville morte de Gabriele d’Annunzio en 1898. La même année, la comédienne obtient de la mairie de Paris le bail du théâtre des Nations, auquel elle donne bientôt son nom. Elle y joue Hamletde Shakespeare en 1899. Sarah Bernhardt créée aussi L’Aiglon le 15 mars 1900, une pièce écrite pour elle par Edmond Rostand et pour laquelle elle sacrifie sa chevelure afin de jouer le rôle du duc de Reichstadt. Elle reprend ensuite Angelo en 1905 puis Lucrèce Borgia de Victor Hugo en 1911.
Depuis quelques années, la comédienne participe à l’aventure nouvelle du cinéma muet en reprenant quelques uns de ses succès devant la caméra. L’actrice reçoit la Légion d’honneur le 14 janvier 1914. Elle est amputée d’une jambe en février 1915. Sarah Bernhardt décède à Paris le 26 mars 1923. Celle qui fut la première des stars n’est pas jugée digne des funérailles nationales. Cependant 30.000 Parisiens viennent se recueillir devant son cercueil dans son hôtel du boulevard Pereire. De nombreuses personnalités se retrouvent dans le cortège funèbre qui parcourt les rues de la capitale trois jours plus tard. Celle que l’on surnomme "la Divine" était parvenue grâce à son talent et malgré les frasques de son existence à donner de la respectabilité à la profession de comédienne.
Sa maison à Belle Ile en Mer.
Belle-Ile-en-Mer, la pointe des Poulains, son phare. Ce lieu magique fait le bonheur de bien des photographes et d'amoureux. Sauvage, il semble indomptable.
Tombée amoureuse de Belle-Île , Sarah Bernhardt a passé vingt-neuf étés à l'extrême nord-ouest de l'île dans un ancien fort militaire qu'elle a réaménagé.
Réhabilités, le fort et la maison proposent un voyage poignant et drôle dans la vie de la tragédienne. Une évocation unique en France.
"La première fois que je vis Belle-Île, je la vis comme un havre, un paradis, un refuge. J'y découvris à l'extrémité la plus venteuse un fort, un endroit spécialement inaccessible, spécialement inhabitable, spécialement inconfortable. et qui, par conséquent, m'enchanta".
1894, Sarah Bernhardt a le coup de foudre pour la pointe des Poulains, site sauvage à la proue de Belle-Ile-en-Mer, dans le Morbihan. La tragédienne achète en une heure le sombre fortin qui s'y trouve. Dès 1896, elle y passe ses étés, entourée de sa famille, de ses amis et de ses animaux.
Sa présence et l'empreinte profonde qu'elle laissa revivent depuis l'été 2007 grâce au musée qui a ouvert ses portes. Une initiative du Conservatoire du littoral, qui a acquis le site en 2001 pour le protéger. Victime de sa notoriété, la pointe des Poulains souffrait de la surfréquentation: 18 000 visiteurs par an, dont 50 % en été. Raviné, défiguré par les cars qui venaient y stationner, le site se dégradait, s'érodait tandis que les villas de la comédienne, fermées au public, se délabraient.
"Dès qu'on a acheté les 12 hectares, on s'est engagé à allier restauration du site naturel et valorisation du patrimoine culturel",explique Denis Bredin, délégué Bretagne du Conservatoire. Pour ce chantier entre culture et nature, une équipe pluridisciplinaire est missionnée dès 2002, avec le muséographe Guy Brun, le paysagiste Alain Freytet et la sociologue Hélène Dubois de Montreynaud. Résultat, en 2007: un cheminement dramaturgique sur l'extraordinaire scène naturelle des Poulains, un musée qui se fond dans la nature.
Le parking, situé initialement sur une terrasse de bitume, au plus près du phare, défigurait le site. Désormais repoussé de 250 mètres à l'intérieur des terres, il s'incruste entre des tamaris. De là, on accède à la villa Lysiane, que la comédienne fit bâtir pour ses proches. Une demeure discrète qui accueille le visiteur avec une petite exposition. Les travaux menés pour revitaliser le site y sont retracés, l'incroyable personnalité de celle qui fut surnommée "la Dame des Poulains" est esquissée avec finesse. "Nous n'avions pas d'objets lui ayant appartenu", précise Guy Brun. "Tout ici est reconstitué d'après les photos et les livres". Une robe longue et blanche, une brassée de camélias pour évoquer celle qui incarna l'héroïne de Dumas.
Dès qu'on émerge du bosquet de tamaris, on est happé par le panorama : la lande à perte de vue, avec au loin le phare, la côte très découpée, le gris acier de l'eau, le noir des rochers. La houle frappe sans relâche les rochers.
La villa des Cinq parties du monde. Lovée dans le relief, elle ne perturbe pas la ligne d'horizon. Elle aussi a été bâtie pour les parents et amis de l’actrice. A l'intérieur, c'est Lysiane, la petite fille chérie de Sarah Bernhardt, qui prend la parole pour guider le visiteur. Un texte librement composé à partir du livre de souvenirs de Lysiane, publié en 1945, ainsi que de ceux du compositeur Reynaldo Hahn, grand ami de Sarah Bernhard, et dit par Fanny Ardant.
Douze scènes composent un petit spectacle, qui témoigne de la vie de la divine à Belle-Ile, du coup de foudre de 1894 jusqu'à la vente en 1922, quelques mois avant sa mort, avec notamment l'arrivée en grande pompe chaque mois de juin : après plusieurs heures de train et de traversée, l'équipée débarquait à Palais ou directement à la pointe des Poulains. Sarah, sa robe blanche et son grand chapeau ; près d'elle, son secrétaire, Georges Pitou ; sa dame de compagnie Suzanne Seylor ; ses amis, artistes, peintres ; sa famille bien sûr. Dans ses bagages, des compagnons des plus étranges : un singe, un boa, et le crocodile qui dévora Hamlet, l'un des chiens et finit empaillé au-dessus de sa chambre.
La vie à Belle-Ile est douce et animée. On y pêche, on y cuisine, on se dore au soleil. On reçoit, beaucoup. Des invités prestigieux, parmi lesquels le roi Édouard VII d'Angleterre. Excentrique, elle fit creuser des bassins et apporter des grenouilles du continent pour les entendre croasser à la nuit tombée. Mais ne croyez pas que Sarah Bernhardt et les siens s'isolent des Belle-Ilois. La "Bonne dame de Penhoët", comme l'appelle affectueusement la population, est sensible aux difficultés des habitants. Elle finance même une boulangerie coopérative.
En 1944, les Allemands raseront le manoir de Penhoët qu'elle avait acquis. Les uns disent que c'est parce qu'il constituait un point stratégique par rapport à la poche de Lorient. Les autres penchent plutôt pour une vengeance, car la dame affichait sa germanophobie et se prétendait juive, bien qu'ayant été baptisée dans la religion catholique.
La tragédienne, qui a marqué l'histoire du théâtre par ses interprétations et sa forte personnalité, aimait "venir chaque année dans cette île pittoresque, goûter tout le charme de sa beauté sauvage et grandiose". Elle y puisait, "sous son ciel vivifiant et reposant, de nouvelles forces artistiques". Malgré la souffrance et l'amputation d'une jambe, en 1915.
La visite terminée, on ouvre la porte. Dans le cadre s'encastre le phare des Poulains.
Le sentier conduit jusqu'au fortin, ce bâtiment dont Sarah Bernhardt s'éprit et où elle fit entrer la lumière en creusant de vastes baies et qu'elle transforma en une chaleureuse résidence. "Le fort de Belle-Ile fut un des endroits les plus exquis de mon existence. Et un des plus confortables, moralement parlant", disait-elle. Vestibule, salon, bureau, chambres, l'intimité des lieux a été minutieusement recréée, à partir de neuf photos seulement. "Sarah Bernhardt a inventé la notion de star, avec son excentricité, ses colères, ses caprices, sa générosité, mais aussi l'attention portée à la maîtrise de son image, les tournées internationales", commente Guy Brun.
Du fort, le chemin des Poulains mène jusqu'au phare blanc. La route a été remplacée par un chemin, et les zones dégradées par le piétinement ont été revégétalisées. "Les graines sont venues d'elles-mêmes", précise Denis Bredin. "Aujourd'hui, armérie, oeillet maritime et bruyère colorent à nouveau les falaises". Autour du phare, la cabane du gardien et la boutique de souvenirs ont été rasées, la ligne électrique enlevée au profit de panneaux photovoltaïques. Le site a retrouvé sa pureté, le visiteur peut s'adonner à une contemplation ventée. Car pour expliquer sa passion pour la pointe des Poulains, Sarah Bernhardt la décrivait ainsi: "De l'horizon à perte de vue, et du ciel à perte de vue".
Elle voulait reposer dans sa chère île, face à la mer comme Chateaubriand sur son Grand Bé, mais c'est au Père Lachaise qu'elle est enterrée depuis 1923. Mais sans nul doute son âme flotte à jamais sur Belle-Ile et la pointe des Poulains.
Un grand merci à mon ami Oggy pour les photographies de ce lieu remarquable !
Sarah Bernhardt, surnommée "la voix d'or" par Victor Hugo, ou "la divine" mais aussi "la scandaleuse", considérée par beaucoup comme une des plus grandes tragédiennes française du XIXème siècle fut la première comédienne à avoir fait des tournées triomphales sur les cinq continents, Jean Cocteau inventant pour elle le terme de "Monstre sacré".
George Sand, femme de lettres française, a fait scandale par sa vie amoureuse agitée, par sa tenue vestimentaire masculine, dont elle a lancé la mode, par son pseudonyme masculin, qu'elle adopte dès 1829 et dont elle lance aussi la mode. Malgré de nombreux détracteurs elle était au centre de la vie intellectuelle de son époque, accueillant au domaine de Nohant ou à Palaiseau des personnalités aussi différentes que Liszt, Chopin, Marie d'Agoult, Balzac, Flaubert, Delacroix, et Victor Hugo, conseillant les uns, encourageant les autres.
Imaginez une relation épistolaire entre ces deux femmes, où l'on suit avec bonheur l'évolution de leur amitié où chacune livre, parfois avec émotion, souvent avec humour, ses états d'âme.
C'est ce qu'a fait Maguy Gallet Villechange, dans cette double biographie maquillée en correspondance, extrêmement fidèle et parfaitement documentée.
Un splendide hommage à deux artistes talentueuses, mais surtout à deux femmes pleines de vie.
Livre disponible à la vente sur le site de la "Société des écrivains" ou en librairie.
"Il y a ceux qu'on aime et ceux avec qui on se plait".
Le 20 mars 1828, Henrik Johan Ibsen naît à Skien, en Norvège, dans la "maison Stockmann". Il est le fils de Knud Plesner Ibsen et de Marichen Altenburg, l'aîné d’une famille de cinq enfants. Les Ibsen sont membres de la bourgeoisie locale. Son père cependant, marchand de son état, fait faillite en 1835, ce qui contraint les siens à déménager à Venstop, après que les biens de la famille ont été vendus aux enchères. Le 3 janvier 1844, Henrik Ibsen quitte ses parents et gagne Grimstad. Là, il s’emploie en tant qu’apprenti chez le pharmacien Jens Aarup Reimann, demeurant à ses cotés six années durant. En 1846, le 9 octobre, un enfant naît des suites d’une liaison entre le jeune homme et Else Sophie Jensdatter, une domestique de la maison Reimann. Dans les années qui suivent, il s’essaie à la littérature, rédigeant quelques vers, mais aussi une pièce de théâtre, "Catilina". A Christiania en 1850, Ibsen, malgré ses lacunes en grec et en arithmétique, obtient son baccalauréat.
La même année voit la toute première représentation d'un spectacle écrit par Ibsen, la pièce en un acte, "Le Tertre des guerriers", au Christiania Theater, le 26 septembre, sous le pseudonyme de Brynjolf Bjarme. L’étudiant qu’il est devenu se préoccupe quelques temps de politique et adhère au syndicalisme naissant. A Bergen et grâce à Ole Bull, un violoniste norvégien, Ibsen est engagé par le Théâtre norvégien (Det Norske Theater) de Bergen comme assistant metteur en scène. C’est pourquoi, en 1852, il est envoyé au Danemark, puis en Allemagne étudier l’art de la scénographie. A son retour, il fait jouer, à Bergen, "La Nuit de la Saint-Jean" (Sancthansnatten),qui est un échec, puis "Dame Inger d'Østeraad" en 1855, "La Fête à Solhoug" l’année suivante, "Olaf Liljekrans" enfin, ces deux dernières œuvres s’inspirant des Ballades populaires norvégiennesde Brostrup Landstad. Au cours de l’été 1857, l’auteur dramatique se voit offrir un poste de directeur artistique par le Théâtre de Christiania.
Le 18 juin 1858, Henrik Ibsen épouse Susanna Thoresen, belle-fille de Magdalene Thoresen, un écrivain alors réputé. Ensemble, les jeunes époux s’installent à Christiania (l’actuel Oslo). Un fils, prénommé Sigurd, naît le 23 décembre 1859. Après avoir fait jouer "Les Guerriers à Helgeland", l’écrivain fonde la Société norvégienne chargée de développer la diffusion de la culture locale. Les années qui suivent sont cependant difficiles pour lui. Sa gestion du Théâtre de Christiania est en effet très critiquée. Celui-ci doit d’ailleurs fermer ses portes en 1862. Entre-temps, Ibsen demande, en vain, au gouvernement de lui octroyer les subsides nécessaires à financer un voyage à l’étranger, afin de s'initier aux techniques théâtrales dans les grandes capitales européennes. Les périodes de doute, de dépression se succèdent alors. A tel point que le dramaturge songe au suicide.
En 1862, il rédige "La Comédie de l'amour" et part pour un périple dans le Gudbrandsdal et l'Ouest de la Norvège, en quête d'éléments littéraires issus de la mémoire populaire. Le folkloriste, qui vit à présent dans le dénuement, publie l’année suivante les "Prétendants à la Couronne", qui sera joué à Christiania avec un très grand succès. Celui qui s’est voué à célébrer la culture nordique doit s’expatrier, faute d’une plus large reconnaissance de son talent. Le 5 avril1864, Ibsen part ainsi pour un long voyage qui durera vingt-sept années.A Copenhague, puis à Lübeck, Berlin, Vienne, il est enfin à Rome, bientôt rejoint par sa femme et leur fils. En 1866, l’écrivain publie "Brand", un drame destiné à être lu, très inspiré de la philosophie de Kierkegaard. L’ouvrage est un succès. A tel point que le gouvernement norvégien attribue à son auteur une subvention annuelle. Celui-ci est désormais à l'abri du besoin. L’année suivante, le 14 novembre, après quelques voyages au cœur de l'Italie, Ibsen publie "Peer Gynt". Cette pièce, en cinq actes, à peu près injouable donc, lui assure cette fois-ci une renommée définitive. A sa demande, le compositeur Edvard Grieg la mettra en musique.
En 1868, Ibsen et les siens s’installent à Dresde. L’année suivante, en Suède, l’écrivain reçoit une décoration des mains du roi Charles XV, avant d’être invité à représenter son pays lors de l’ouverture du canal de Suez. Au mois de septembre de la même année, il publie "L’Union des jeunes"(Des unges Forbund), une comédie en prose qui se déroule dans le monde contemporain. Un tournant dans son œuvre. De retour d’Egypte, Ibsen se réinstalle à Dresde. L’année 1871 est celle de la publication de son unique recueil de vers, "Poèmes"(Digte). Après avoir été décoré par le Danemark, c’est au tour de la Norvège, sa patrie, de lui accorder une distinction. Ibsen est fait chevalier de l’ordre de saint Olaf en 1873, alors qu’il fait partie, à Vienne, du jury de l’Exposition internationale d’art. Cette reconnaissance internationale lui vaut également d’être traduit en langue étrangère. Brandpeut désormais être lu en allemand.
Après avoir fait paraître "Empereur et Galiléen"(composé de La Chute de César et de L’Empereur Julien), une pièce construite autour du dualisme liberté, nécessité, l’écrivain est de retour en Norvège, l’espace d’un court séjour à Christiania. L’année suivante, il se réinstalle à Munich, où le théâtre de la Cour donne une représentation des "Guerriers à Helgeland". Enfin, une de ses œuvres est jouée hors de Scandinavie. Après les "Soutiens de la société"en 1877, "Une Maison de poupée" est publié le 4 décembre 1879, puis joué pour la première fois au Théâtre royal de Copenhague, le 21 décembre suivant. Installé à Rome jusqu’en 1885, Ibsen rédige "Les Revenants"en 1881, un autre de ses chefs d’œuvre, "Un Ennemi du peuple" en 1882, "Le Canard sauvage" en 1884. Enfin, après onze années d’exil, en 1885 donc, le fils prodigue revient en Norvège, l’espace d’un été. Suivent "Rosmersholm"en 1886, "La Dame de la mer" en 1888…
A présent la notoriété d’Ibsen est internationale et sa gloire littéraire définitivement assise. Ses pièces sont jouées partout en Europe, à Londres, à Bruxelles, à Paris, à Berlin, et aux Etats-Unis. 1891, "Hedda Gabler", 1892 le Constructeur Solness, le Petit Eyolfen 1894… Entre temps, les Ibsen sont de retour, définitivement, en Norvège, leur Mère-Patrie, et s’installent à Christiania. En 1898, l’année de ses soixante-dix ans, Ibsen est fêté un peu partout dans le monde. En Norvège et en Allemagne, une édition complète de ses œuvres est entreprise. Au delà, ses pièces sont jouées et appréciées. L’année suivante est celle de la publication de "Quand nous, morts, nous réveillerons", la dernière œuvre du dramaturge. En 1900, puis en 1901, Ibsen subit une attaque d’apoplexie. L’écrivain, à présent, ne peut plus pratiquer sont art et décède le 23 mai 1906.
Oslo sa ville.
A Oslo, l'ombre d'Ibsen est facile à attraper ! Il suffit de marcher en plein centre, dans cette ville rectiligne dont les reliefs et les façades colorées brouillent la rigueur géométrique. Quand il était enfin devenu l'idole de ses compatriotes, Ibsen faisait deux fois par jour la même promenade, à midi et à 18 heures. Il habitait à l'ouest du château royal et de son parc, (il avait la clef du château, le roi lui en avait remis un double), autour desquels se noue tout le centre de la cité. De là il descendait pour atteindre la rue Karl-Johan, qui relie le château au Parlement, et marchait jusqu'au Grand Café du Grand Hôtel. Il prenait place derrière la vitre donnant sur la rue, buvait un alcool puis repartait par le même chemin.
La large artère qui forme avec une rue parallèle une avenue boisée en son centre n'a guère changé et s'allonge parmi les immeubles blanc et jaune. Au Grand Café, la table d'Ibsen est mise en évidence et conserve sur son plateau de bois un verre prêt à être servi et un haut-de-forme posé sur un journal d'époque. Un carton indique que la place est "réservée à Henrik Ibsen". On peut s'y faire photographier, mais pas s'y installer. Dans la même rue, le beau Théâtre national se campe sur ses arches et ses colonnes. Ibsen l'a connu, il a même vu naître les deux statues vert-de-grisées qui se dressent à sa proue : la sienne et celle de son ami et rival, Bjornstjerne Bjornson, les deux gloires du théâtre norvégien. Il n'aimait guère son effigie. En effet, raide dans son manteau sombre, il a l'air maussade et bougon.
Dans le centre d'Oslo, les trajets se font en quelques enjambées. Presque tout est à la portée du marcheur le plus paresseux : le joli port dont le fer à cheval place quelques voiliers anciens et des navires modernes sur une eau très bleue, les Galeries nationales, où "Le Cri" de Munch (qui fit des dessins pour Ibsen) est accroché entre un Picasso et un Gauguin. Pour l'appartement de l'écrivain, devenu musée, il suffit d'avoir l'allant très relatif d'Ibsen, qui, tout descendant de Viking qu'il soit, était petit et peu sportif. On monte à la gauche du château et, au-dessus d'un restaurant italien, l'Ibsen-Museet ouvre ses portes et sa longue enfilade de pièces. Très récemment restauré, il a retrouvé son encombrement d'origine : les bourgeois d'alors aimaient les cadres innombrables, les meubles massifs, les rideaux lourds. La traversée du bureau de l'écrivain est un moment poignant : alors que la décoration vise au grandiose, la table de travail est de dimension modeste, très humble.
A sa droite, Ibsen avait suspendu un grand portrait de Strindberg, dont le peintre Christian Krogh avait dégagé l'aspect brutal et presque halluciné. Strindberg, son jeune et grand rival suédois, qui ne cessait de le défier par ses pièces et ses déclarations belliqueuses. Ibsen observait tous les jours les yeux fous de l'ennemi et trouvait dans ce duel mental les forces qui lui permettaient de repousser les blessures de l'âge.
"L'homme est la seule créature qui refuse d'être ce qu'elle est."
Né le 7 novembre 1913 à Mondovi en Algérie, Albert Camus est le deuxième fils de Lucien et Catherine Camus. Moins d'un an après sa naissance, son père est mobilisé en métropole. Sa mère, à moitié sourde, qui ne sait ni lire ni écrire, retourne chez sa mère à Belcourt, quartier populaire de l’est d’Alger. Blessé lors de la bataille de la Marne, son père meurt le 11 octobre de la même année dans un hôpital militaire. Albert Camus n’aura jamais connu son père, autrement qu’en photo ou au travers d’anecdotes. Dans "Le Premier Homme", roman autobiographique inachevé, Albert Camus écrit : "Il avait été vivant, et pourtant il n'avait jamais pensé à l'homme qui dormait là comme à un être vivant, mais comme à un inconnu qui était passé autrefois sur la terre où il était né; dont sa mère lui disait qu'il lui ressemblait et qui était mort au champ d'honneur".
Installée chez sa mère, Catherine Camus confie l'éducation de ses deux fils à sa propre mère, une femme "rude, orgueilleuse, dominatrice" qui les élève "à la dure". (Extrait d'un brouillon de "L'envers et l'endroit").
Albert Camus grandit sous l'immense soleil d'Alger et fait ses études à l'école communale. En 1923, son instituteur, Louis Germain, le remarque et lui donne des leçons particulières pour entrer en sixième au Grand Lycée d'Alger. Camus lui sera toujours reconnaissant et c'est à lui qu'il dédiera en 1957 son discours de prix Nobel. " Son instituteur de la classe du certificat d'études, avait pesé de tout son poids d'homme, à un moment donné, pour modifier le destin de cet enfant dont il avait la charge, et il l'avait modifié en effet", peut-on lire dans"Le Premier Homme". Reçu au concours, Albert Camus entre en 1924 au lycée Bugeaud. A cette époque, il se découvre une passion pour le football et se fait rapidement une réputation. En 1930, à la suite de crachements de sang les médecins lui diagnostiquent une tuberculose, maladie qui l'éloignera des terrains.
En 1934, Albert Camus épouse Simone Hié et un an plus tard il commence à rédiger ses carnets. Il adhère au Parti communiste, qu'il quittera deux ans plus tard, et fonde à Alger le Théâtre du Travail (qui deviendra le Théâtre de l'Equipe en 1937). En avril 1936, la pièce collective"Révolte des Asturies" est interdite de représentation par le maire d'Alger, mais elle sera publiée aussitôt aux éditions Charlot. En mai, Albert Camus est reçu au Diplôme d'Etudes Supérieures de Philosophie avec son mémoire "Métaphysique chrétienne et néoplatonisme. Plotin et Saint-Augustin". Il met un terme à sa relation avec Simone Hié. A 24 ans, il publie son premier livre, aux éditions Charlot, "L'envers et l'endroit" et s'attèle à la rédaction d'un roman "La mort heureuse".
En 1938, Albert Camus entre à l'Alger Républicain, quotidien qui soutient le programme du Front populaire. Sa série d'articles,"Misère de la Kabylie", provoquera en 1940 l'interdiction du journal par le Gouvernement Général de Kabylie. Cette même année, il se marie à Francine Faure et part pour Paris. Après avoir collaboré quelques mois à la rédaction deParis-Soir, il prend la direction du journal clandestin Combat. Au lendemain des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki, Albert Camus y publie un éditorial, aujourd'hui très connu, qui dénonce l'usage de la bombe atomique.
Lors de cette période, il publie "L'Etranger" et "Le mythe de Sisyphe" (1942), essai dans lequel il expose sa philosophie de l'absurde. L'homme est en quête d'une cohérence qu'il ne trouve pas dans la marche du monde. "L'une des seules positions philosophiques cohérentes, c'est ainsi la révolte", écrit-il. Mais Albert Camus pose aussi la question des moyens : tous les moyens ne sont pas acceptables pour atteindre le but que l'on s'est fixé.
En juin 1943, il rencontre Jean-Paul Sartre avec qui il se lie d'amitié et devient lecteur chez Gallimard. Trois ans plus tard, il quitte définitivement Combat et publie "La Peste" qui connaît rapidement un franc succès.
Engagé à gauche, il dénonce le totalitarisme en Union soviétique dans "L'homme révolté"(1951) puis se brouille avec Jean-Paul Sartre, après la publication d'un article dans la revueLes Temps modernesd'un compte rendu blessant de "L'homme révolté". Albert Camus répond à cette critique dans la revue et Jean-Paul Sartre lui répond à son tour. "Un mélange de suffisance sombre et de vulnérabilité a toujours découragé de vous dire des vérités entières… Il se peut que vous ayez été pauvre mais vous ne l'êtes plus. Vous êtes un bourgeois…Votre morale s'est d'abord changée en moralisme, aujourd'hui elle n'est plus que littérature, demain elle sera peut-être immoralité ?", écrit ce dernier.
En 1953, Albert Camus débute la rédaction du "Premier Homme" et il entre en 1955 à la rédaction de l'Express, dont il démissionnera plus tard en raison de désaccord avec le directeur Jean-Jacques Servan-Schreiber en raison de positions divergentes sur la question algérienne. Sa position incomprise l'isole peu à peu, lui le pacifiste dont la mère réside toujours dans un quartier populaire d'Alger. Son appel à la "Trêve pour les civils" lancé en janvier 1956 l'éloigne de la gauche, qui soutient la lutte pour l'indépendance algérienne, alors que des menaces de mort sont proférées à son encontre. La même année, il publie"La Chute", livre pessimiste dans lequel il dénonce l'existentialisme et ne s'épargne pas.
Le 16 octobre 1957, le prix Nobel de littérature est décerné à Albert Camus "pour l'ensemble de son œuvre mettant en lumière les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des hommes". A Stockholm après avoir reçu son prix, il est interrogé par un étudiant algérien sur le caractère juste de la lutte pour l'indépendance menée en dépit des attentats terroristes. Camus lui répond : "Si j'avais à choisir entre cette justice et ma mère, je choisirais encore ma mère". Cette phrase lui sera souvent reprochée.
Le 4 janvier 1960, Albert Camus qui a quitté sa maison de Lourmarin pour Paris dans la voiture de Michel Gallimard, trouve la mort dans un accident de voiture.
En vingt ans, ses romans, ses prises de positions politiques ont fait d'Albert Camus l'une des consciences du XXe siècle et lui valent une audience internationale.
Sa maison à Lourmarin.
A quoi sert le prix Nobel de littérature ? A s'acheter une belle maison dans le Luberon. Avec son chèque suédois, Albert Camus s'offre, en 1958, une ancienne magnanerie - ferme où l'on élève les vers à soie - à Lourmarin. Elle est toujours là, habitée par sa fille, Catherine, avec ses volets verts, sa terrasse arrondie, son cyprès.
Seul le nom de la voie a changé : la grand'rue de l'Eglise a discrètement été rebaptisée rue Albert-Camus.
"Il a retrouvé ici la lumière et les couleurs de son Algérie natale", explique Michel Pichoud, initiateur enthousiaste et érudit des promenades littéraires de Lourmarin. On peut encore aujourd'hui s'asseoir à une table du restaurant Ollier, où il avait coutume de boire son apéritif. "Un pastis pour M. Terrasse ! " commandait le garçon, soucieux de garder secrète l'identité du prestigieux client.
Un peu plus loin, le stade de foot, autre passion de l'écrivain. "Il a même offert des maillots à la Jeunesse sportive lourmarinoise", raconte Michel Pichoud. Très vite, par sa simplicité, le Prix Nobel séduit le village.
"Chaque matin, de très bonne heure, je préparais son café à M. Camus et il partait faire son tour de plaine", se souvient Suzanne Ginoux, sa voisine, aujourd'hui âgée de 87 ans. Une promenade qui l'emmène sur la route de Cavaillon en passant par le magnifique château de Lourmarin, dans cette campagne austère, lumineuse, paisible, qui a bien peu changé en un demi-siècle. Au retour, il écrit Le Premier Homme. Debout à sa table, face au Luberon.
Ici, Camus fréquente aussi bien le forgeron du village et les brocanteurs, chez qui il adore chiner, que le poète René Char, son voisin de l'Isle-sur-la-Sorgue.
C'est de Lourmarin que l'auteur de La Peste entama son ultime et funeste voyage. "Je fuis l'épidémie de grippe. A dans huit jours! " lance-t-il à la fidèle Suzanne Ginoux. On connaît la suite.
La nationale 5, le dernier repas à l'Hôtel de la Poste à Sens, la Facel Vega avec Michel Gallimard neveu de Gaston, le platane au nord de Sens à Villeblevin dans l'Yonne. Albert Camus meurt le 4 janvier 1960. Ce sont les footballeurs de Lourmarin qui portent son cercueil jusqu'au cimetière, à deux pas du château.
Sa tombe est toute simple, couverte de laurier et de romarin. A côté de celle de son épouse, identique.
Sa maison ne se visite pas.
A l'occasion du centenaire de la naissance d'Albert Camus (1913 - 1960), voici une conversation entre le journal César et Catherine Camus, fille d'Albert, qui avec pudeur et humilité s'occupe des oeuvres de son père :
Journal César - Deux mots sur ce lieu. Votre père qui fréquentait René Char à l’Isle sur Sorgues a acheté cette maison et en a fait la surprise à sa famille ? Catherine Camus - Il l’a trouvée en septembre 1958. Il nous a amenés ici. Je me souviens d’un jour de septembre brumeux, très doux, et de la grande rue de Lourmarin qui était paysan à l’époque. Il a demandé si l’on regretterait la mer. Mon frère a dit non, moi j’ai dit oui. Puis il a acheté la maison et l’a entièrement arrangée avant de nous faire venir. Il y avait tout, rideaux, lits, draps, tasses, assiettes, meubles. Il avait tout conçu avec des artisans et des brocanteurs. C’était un cadeau magnifique, irréel pour nous qui avions été élevés sans superflu.
Qu’est-ce qui lui plaisait dans cette maison ? Elle possède une vue magnifique. On y ressent un sentiment de respiration, de beauté. Et pour lui, la mer était derrière les montagnes et, derrière la mer, il y avait l’Algérie.
Lorsqu’on évoque Albert Camus, il y a le mythe. Mais pour vous, il y a le père. Comment le décrire ? C’était quelqu’un de rassurant. De juste. De sévère. D’éthique. Et de tendre.
Des tonalités que l’on retrouve dans ses écrits si l’on estime qu’Albert Camus, ça grandit le lecteur, ça apaise, ça suscite des interrogations ? En effet, ce n’est pas lui qui répond à votre place. Mon père nous posait des questions. Il nous mettait devant qui on était, ce qu’on avait fait. Il nous demandait ce qu’on en pensait. Il m’a appris à ne pas mentir. Le mensonge est mortifère, il tue la vie. On était libres et responsables. C’est sûr que c’est fatigant. C’est pour cela que beaucoup de gens n’ont pas envie d’être libres. Cela suppose un état d’alerte permanent. La liberté sans responsabilité n’existe pas. Sinon vous êtes un parasite. Vous êtes responsable de vous-même et de vos actes. Et à chaque heure de la journée, vous faites un choix et ce choix a des conséquences. Aujourd’hui, les responsabilités sont extrêmement diluées. Vous ramassez un truc des impôts, vous dites que vous avez payé, mais on vous dit que c’est l’ordinateur. Lequel ordinateur peut aller jusqu’à vous envoyer le commissaire ou le serrurier. On ne sait pas quand cela va s’arrêter, mais c’est la faute à personne. Après, le principe de transversalité dont on nous rebat les oreilles, c’est la dilution de la responsabilité individuelle.
Comment se manifestait à l’égard de votre frère et de vous cette exigence ? Elle se manifestait tout le temps, dans le mal et le bien. Par exemple, il m’apportait des livres et me demandait ce que j’en pensais. Ce que je disais ne devait pas être d’un très haut niveau intellectuel, mais il ne m’a jamais dit que c’était idiot. Au contraire, il me demandait pourquoi je pensais cela, insistait sur des points particuliers. Si l’on avait fait une connerie, il ne criait pas. Il nous demandait ce qu’on en pensait. Mon père disait toujours : « Ce qu’on ne peut pas changer, il faut juste en tenir compte mais pas se résigner ». Et quand il y avait un gros problème, il disait qu’il fallait « se faire une disposition pour ». Cela m’a aidée toute ma vie. Et Dieu sait que je n’ai pas eu une vie sur des roulements à billes. Mais j’ai pensé que ma vie, c’est ma vie, la seule que j’ai. Et que la seule liberté que j’ai, c’est de faire en sorte que j’accepte même l’inacceptable s’il est inéluctable. Sinon, l’on se perd. Or, qu’est ce qu’on peut donner aux autres si on s’est perdu ?
Autre aspect de la personnalité de votre père, il était plutôt spartiate, pas dispendieux. Mon père avait vécu dans la nécessité, se demandant si on allait manger et s’il y aurait de l’argent pour le lendemain. Il avait une juste idée de comment on dépense son argent. Alors, élevée comme cela, c’est un peu compliqué pour moi d’accepter l’époque dans laquelle on vit. Aujourd’hui, on est tellement passé à la machine à laver de la publicité que les gens sont malheureux parce qu’ils ne consomment pas assez ou parce qu’il y a un retard dans le train. (Ici l’on évoque Pierre Rahbi qu’elle adore et ses réflexions sur « la sobriété heureuse »).
Vous avez composé un livre, Albert Camus, solitaire et solidaire 1. Pourquoi ces deux termes ? Un jour, je lui demande : «Tu es triste ? » et il me répond : « Je suis seul ». C’était au moment de L’Homme révolté et j’ai compris beaucoup plus tard pourquoi, parce que lorsque vous avez neuf ans, vous ne savez pas 2. Je l’ai juste regardé en espérant qu’il ait compris. Car, pour moi, il n’était pas seul puisque j’étais là ! Mais évidemment que oui, il était seul ! Il y a des gens comme cela qui ont autour d’eux une espèce de cristal de solitude qui fait comme un sas entre le monde et eux. Et qui sont présents quand même.
Doit-on voir dans cette solitude le fait que certains de ses écrits, dans leur souci des nuances humaines, juraient avec les logiques idéologiques d’une époque, celle de la Guerre froide, terriblement manichéiste ? Oui ! Et c’est en cela qu’il était seul. D’autant qu’il n’avait pas derrière lui un parti, ou l’orchestre que beaucoup de gens prennent la précaution d’avoir avant de s’exprimer. Lui, il était seul, à côté de l’Homme. De tous les hommes. De tous ceux qui justement n’avaient pas la parole.
A propos du mot solidaire. Peut-on comprendre Camus à travers la métaphore de la passe en football ? Lui qui disait :« Tout ce que je sais de plus sûr à propos de la moralité et des obligations des hommes, c’est au football que je le dois » ? Bien sûr. La passe, c’est la solidarité. Sans les autres, vous n’êtes rien. En 2008, d’ailleurs, Wally Rosell a écrit un truc génial pour les Rencontres méditerranéennes Albert Camus de Lourmarin : Eloge de la passe tiré de l’acte fondateur du football anarcho-camusien.
Quid des rapports d’Albert Camus avec les libertaires ? J’ai souvent suggéré en haut lieu qu’on fasse quelque chose sur ce thème mais l’on m’a regardée en me faisant comprendre qu’on n’était pas sur la même fréquence d’ondes. Aussi ce thème fut abordé lors des Rencontres. A ce propos, j’avais dis à l’organisatrice, Andrée Fosty : « Je t’assure que c’est intéressant. Ceci dit, si les libertaires débarquent à Lourmarin je te souhaite du plaisir ». En fait, le seul remous qu’il y eut fut à propos du football. Wally Rosell, qui est le neveu de ce libertaire formidable, Maurice Joyeux, s’était mis à expliquer qu’il n’y avait pas de plus belle place dans une équipe que celle de demi-centre (rire)…
Pour sa part, votre père avait été gardien de but du Racing Universitaire d’Alger ? Et il paraît que c’était un bon ! A cet égard, étant donné que Marseille Provence 2013 fut un échec, j’ai proposé que Lourmarin-Provence-2013 organise le 15 juin un match en hommage au premier goal Prix Nobel de Littérature. Il y aura une équipe Camus contre l’IJSF (La jeunesse sportive de Lourmarin) et des chibanis. L’arbitre sera le facteur qui est un bon joueur de foot !
Vous gérez l’œuvre de votre père depuis 1980 mais n’avez jamais voulu être une gardienne du temple. Quelle est votre philosophie à l’égard de toutes les sollicitations qui vous parviennent ? Il n’y en a pas (rire). A partir du moment où l’esprit, l’éthique, de mon père sont respectés, j’accepte. Les demandes sont aussi variées que l’humanité. Et donc, à ceux qui s’adressent à moi, y compris les opportunistes pour lesquels papa fait plus tabouret qu’autre chose, je dis oui si c’est correctement fait. Après, j’ai une vision de l’oeuvre de Camus comme tous les lecteurs. Je ne détiens aucune vérité.
Dans toutes ces propositions, je suppose qu’il y en a d’étonnantes ? Il y en a aussi de consternantes et j’ai d’ailleurs constitué un dossier de « curiosités » (rire). Mais il y a aussi des choses en bien. J’ai été très étonnée, par exemple, lorsque Abd al Malik souhaitait travailler sur la préface de L’Envers et l’endroit. L’oeuvre n’est pas très connue et la préface, très importante, l’est encore moins. Quand ce garçon formidable m’a envoyé ses textes je les ai trouvés en harmonie avec la préface. Et bien que n’ayant pas une passion pour le rap, lorsque je suis allée l’écouter, j’ai été fort séduite par son travail et j’ai eu le sentiment que mon père était à sa place.
Vous avez achevé la publication du manuscrit Le Premier homme au bout de huit ans 3. Qu’avez-vous découvert à travers ce texte ? Ce qu’il y avait dans Le Premier homme, je le savais. Une chose a changé, c’est la vision de ma grand-mère maternelle qui se promenait quand même avec un nerf de bœuf. Je la détestais parce que papa s’y référait lorsque nous voulions quelque chose de superflu, nous expliquant qu’on avait un toit, à manger et des livres, ou lorsqu’il nous disait comment il enlevait ses chaussures pour pouvoir jouer au foot. Et puis, je me suis rendu compte qu’elle avait eu des méthodes un peu rudes mais qu’elle n’avait pas eu le choix.
Vous avez dit qu’en travaillant sur ce livre vous sentiez presque son écriture ? Vous ne pouvez pas travailler longtemps sur un manuscrit de mon père au risque de partir sur une mauvaise piste. C’est comme un tricot. Vous sautez deux mailles, vous avez un trou dans le tricot ou montez une manche à l’envers. Il faut faire attention à chaque mot. Donc, j’y travaillais trois heures par jour. Mais c’est vrai que par moments j’avais l’impression que l’écriture ne passait pas par ma tête mais que je mettais le mot qu’il fallait. C’était juste parce que c’était du corps à corps avec le texte. C’est limite comme impression ! On sent que Montfavet n’est pas très loin (rire).
Comment était ce manuscrit ? Très raturé. Il comportait beaucoup de rajouts, d’interrogations, que j’ai respectés. Pour certaines feuilles, c’était la place de l’Etoile. Avec le doigt, vous devez suivre la ligne pour voir si vous ne vous êtes pas trompé… Parlant de votre lecture de La Chute lorsque vous aviez 17 ans, vous avez dit : « Je trouvais qu’il était innocent » ? Ce livre est douloureux. Et lorsque je l’ai lu à cet âge-là, je me suis demandée : « mais il ne le savait pas qu’on est double ? » Mais lui, avait dû me l’apprendre. C’est en cela que je l’avais trouvé innocent. Mais c’est vrai que La Chute c’est aussi le déchirement de la perte de l’innocence…
Ceci dit, il y toujours en filigrane dans les écrits d’Albert Camus une innocence ? Oui, au sens originel, ce qui ne nuit pas. Et en ce sens, je pense que les écrits de mon père tendent à aider les autres. Quand il dit : un artiste ne juge pas, il essaie de comprendre. Mais artiste ou pas, nous devrions tous faire cela. Certes, il y a des choses à ne pas accepter et on peut juger que quelqu’un qui va dénoncer un Juif durant la guerre est incompréhensible, mais en dehors de situation extrême, dans la vie courante, on peut essayer de comprendre sans toutefois admettre.
Vous le voyiez écrire ? Oui, debout à son écritoire. Je pense que lorsqu’on a été très malade et qu’on a pensé mourir (Ndlr : Camus fut atteint de tuberculose), le lit est quelque chose de très anxiogène. Qu’on a besoin de remuer…
Votre père était exigeant avec la langue française, au point, lors de son discours de réception du Prix Nobel de Littérature à Stockholm, de saluer Louis Germain, son instituteur. Il pensait que c’était une conquête pour lui ? C’en était une ! Car enfant, il parlait le pataouète, le langage de la rue à Belcourt 4. C’est ce qui le sépare de la majeure partie des écrivains français de son époque qui étaient issus de milieux aisés.
Comment a-t-il vécu cette célébrité ? Comme tout un artiste, il aimait être reconnu. Mais il était pudique et ne se prenait pas pour Pic de la Mirandole. Car vous perdez de l’humain dans la célébrité.
1) Albert Camus, solitaire et solidaire, Ed Michel Lafon. L’essentiel des œuvres d’Albert Camus est disponible chez Gallimard. (2) Paru en 1951, L’Homme révolté suscite une violente polémique avec les « Existentialistes » qui sera entretenue par la revue Les Temps modernes et qui entraîne la brouille définitive avec Sartre. Camus écrira : « C’est un livre qui a fait beaucoup de bruit mais qui m’a valu plus d’ennemis que d’amis (du moins les premiers ont crié plus fort que les derniers). (…) Parmi mes livres, c’est celui auquel je tiens le plus ». (3) Un roman qu’écrivait Albert Camus au moment de son accident mortel. Une oeuvre aux accents autobiographiques qui évoque avec tendresse ses souvenirs d’enfance. (4) Le parler des Français d’Algérie qui comporte beaucoup d’emprunts à l’arabe, à l’espagnol et à l’italien.
Une autre interview de sa fille Catherine, réalisé en 2009, est disponible en ligne ici.
La maison d'Albert Camus avec la terrasse à colonnes
Promenade dans Lourmarin
La rue Albert Camus avec sa maison
En direction du cimetière
Laurent Jaoui a réalisé un très beau téléfilm qui retrace les dix dernières années de la vie d'Albert Camus :
Comment, dans une fiction, parler d'un écrivain emblématique sans être ennuyeux ni dogmatique, et encore moins servir une biographie en forme de pudding indigeste où les auteurs auraient voulu caser tous les éléments d'une vie ? Un pari difficile. Mais gagné haut la main dans ce Camus proposé par le réalisateur Laurent Jaoui, coauteur du scénario avec Philippe Madral.
"Je voulais trouver un angle et intéresser tous les téléspectateurs, même ceux qui ne connaissent pas l'écrivain" - et d'accepter : "J'ai beaucoup lu et vraiment découvert Camus à travers le livre d'Olivier Todd, Albert Camus, une vie, dont nous nous sommes inspiré pour notre scénario." Laurent Jaoui a donc choisi d'évoquer un Camus intime, avec ses doutes, ses faiblesses, ses égoïsmes, notamment à travers les femmes qui ont compté dans sa vie : sa mère, sa femme, Francine, dépressive, et ses maîtresses, notamment Maria Casarès. Un homme séducteur, orgueilleux, fier, incompris, doutant, souffrant aussi et fidèle à ses convictions.
Vous pouvez le visionner en ligne (5 épisodes) ici.
Merci à Gilles Sabatier et son blog Le blog de Gilles pour ses photographies.
"Dire que, quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu'eux !"
Le 22 janvier 1882, Louis Pergaud naît à Belmont, dans le département du Doubs, en Franche-Comté. Son père, Elie Pergaud, instituteur de la commune, a épousé quelques années auparavant Noémie Colette, fille de paysan. L’année suivante, un frère, Lucien Amédée, vient au monde à son tour et agrandit la famille. Les deux frères passeront les années qui suivent à jouir des plaisirs de la vie à la campagne : chasser en compagnie de leur père, pécher la truite dans le Dessoubre, rivaliser avec les bandes d’enfants des villages des environs… Autant de souvenirs qui alimenteront l’œuvre du futur écrivain.
En attendant, celui-ci obtient son certificat d’études, à l’âge de douze ans. A Orchamps-Vennes, lieu de l’examen, il est reçu premier sur les quatre-vingt cinq candidats présents, ce qui lui vaut les félicitations du jury. Mais à présent, Louis Pergaud doit quitter Belmont et sa famille pour entrer en pension à l’Ecole de l’Arsenal, à Besançon. Il loge néanmoins, non pas à l’internat, mais chez un ami de son père, concierge de l’hôtel de Ville. En 1897, Elie Pergaud est muté à Fallerans. Son fils Louis est reçu premier au concours d’entrée à l’Ecole Normale, au mois de juillet 1898. Deux années plus tard, l’adolescent apprend tour à tour le décès de son père, le 20 février 1900, puis de sa mère, le 21 mars suivant.
Recueilli avec son frère par leur oncle de Belmont, Louis Pergaud quitte l’Ecole Normale, le 30 juillet 1901. Le lauréat est troisième de sa promotion. Nommé à D’urnes, où il effectue donc sa première rentrée scolaire, il se lie avec une collègue d’un village voisin, La Barèche. Les deux enseignants se marient en 1903. L’année suivante, au mois d’avril, l’instituteur fait paraître un premier recueil de ses poésies, "L’Aube". Sans grand succès. Les relations dans le ménage Pergaud se tendent, d’autant plus qu’une enfant, prénommée Gisèle, qui naît le 16 août 1903, décède quelques mois plus tard. Sa vie professionnelle se fait également plus conflictuelle, avec la population locale notamment. C’est que les tensions sont vives en ce début de siècle entre l’Eglise et l’Ecole républicaine. Louis Pergaud quitte son poste et se voit attribué celui du village de Landresse.
Partagé entre sa passion pour la chasse et la compagnie du cordonnier de la commune, Jules Duboz, l’instituteur quitte néanmoins cette existence qui ne le satisfait point et rejoint à Paris son ami, Léon Deubel, au cours de l’été 1907. Delphine Duboz, la fille de l’artisan, est sa nouvelle compagne. Employé à la Compagnie des Eaux, Louis Pergaud ne tarde pas à se faire connaître des milieux littéraires parisiens grâce à la publication de son deuxième recueil de poésies, "L’Herbe d’Avril", dans le journal Le Beffroi. Encouragé par celle qui devient son épouse, au mois de juillet 1910, l’écrivain, redevenu enseignant, se consacre à présent à la prose et au récit animalier. Ses souvenirs alimentent sa plume et, au mois d’août 1910, le Mercure de France fait paraître son premier roman, "De Goupil à Margot".
Le 8 décembre 1910, le prix Goncourt, huitième du nom, lui est attribué et, avec la gloire littéraire, la somme de 5.000 francs lui est remise. L’ouvrage connaît le succès auprès du public et son auteur multiplie dans les années qui suivent les nouvelles publications : "La Revanche du Corbeau" en 1911, "La Guerre des Boutons" en 1912, "Le Roman de Miraut"en 1913… Au début de l’été 1914, l’écrivain remet un nouveau manuscrit à son éditeur, celui d’un recueil de nouvelles, "Les Rustiques", ayant toujours pour cadre la vie des campagnes, le monde animalier. Quelques jours plus tard cependant, la guerre est déclarée par la France de la Troisième République au IIème Reich de l’Empereur Guillaume II.
Le 3 août 1914, le sergent Louis Pergaud, après avoir reçu son ordre d'affectation, rejoint son régiment, le 166ème d'infanterie, où il est accueilli avec le grade de sergent. Au mois d'octobre enfin, il est au front, dans la région de la Woëvre. La violence des combats, la mortalité chez les soldats mobilisés, cette guerre nouvelle de tranchée… tout cela le bouleverse et l’écrivain se promet d’en témoigner dans un futur ouvrage de souvenirs. Il continue de correspondre avec son épouse, sa famille, ses amis. A l’un d’entre eux, au mois de mars 1915, le sous-lieutenant Pergaud confie ainsi : "Notre 166ème est un régiment des plus solides et des plus vaillants : ça été un des piliers de la défense de Verdun. On y trouve pas mal de Parisiens, des gens de la Meuse et de la Meurthe-et-Moselle, et beaucoup de mineurs du Nord et du Pas-de-Calais. Ce sont de vrais poilus qui ont du mordant, de l’entrain et de l’esprit parfois, souvent même".
Son régiment appartient au début du conflit au groupe de Verdun, la 132ème Division d’Infanterie - la Division de Marche de Verdun ou Division de Morlaincourt - , est affectée à la défense de la forteresse de Verdun. Au soir du 7 avril 1915, à Fresnes, l’officier Pergaud reçoit l’ordre d’attaquer la côte 233 de Marchéville, dans la nuit, à 2 heures du matin. A la tête de ses hommes, sous une pluie battante, il quitte ainsi la tranchée de départ, franchit deux rangs de fils barbelés et arrive en face des lignes ennemies. Là, les assaillants sont accueillis par un feu nourri.Louis Pergaud, blessé - au pied peut-être -, demande alors à ses soldats de poursuivre l’offensive. Alors que le jour se lève, les rescapés français se replient vers leur ligne, Louis Pergaud ne reparaissant pas à leurs côtés. Comme beaucoup d’autres de ses frères d’armes, l’officier est alors porté disparu. Il avait trente-trois ans et naissait alors à la vie littéraire.
Belmont sa maison natale.
Le 29 novembre 1879, Elie Pergaud, instituteur à Belmont (Doubs) depuis 1877, épouse Noémie Collette, fille de fermiers dans la même commune. Très rapidement, un garçon viendra égayer le foyer : Pierre Amédée voit le jour le 9 août 1880. Malheureusement, il décédera le 5 octobre suivant. Sa mère le pleure longtemps. Mais, le 22 janvier 1882, une nouvelle naissance apporte une certaine consolation : Louis Emile Vincent respire pour la première fois l’air de la Comté. Son père a 30 ans, sa mère 32. Le 18 octobre 1883, un autre fils, Lucien Amédée, complète le foyer Pergaud. Deux enfants solides, une mère pleine d’affection, un père qui les ouvre à la vie, à la nature : la famille savoure son bonheur. Louis fera ses premiers pas dans ce village. Souvent, il traversera le chemin pour rejoindre, juste en face de l’école, ses grands-parents maternels. Et puis, il y aura les prés, les champs, les bois, les bêtes, la vie rurale et ses enchantements.
Mais en février 1889, Elie Pergaud est muté. Instituteur de la nouvelle Ecole Laïque, il est victime du rejet de la République par la population locale. Toute la famille ira donc à Nans-sous-Sainte-Anne. Louis Pergaud quitte à 7 ans le berceau de sa première enfance. Premier profond chagrin : les grands-parents s’éloignent. Son petit coin de terre comtoise, exploré avec tant d’émerveillement, se dérobe. Transplantée, la famille Pergaud aura du mal à s’adapter à sa nouvelle résidence. Une page se tourne.
Depuis 1989 un musée est dédié à "l’enfant du pays". Installé dans une maison, autrefois presbytère, il rend hommage à l’auteur de "De Goupil à Margot", ouvrage pour lequel Louis Pergaud reçoit, en 1910, le prix Goncourt. Ses autres oeuvres s’enchaînent à un rythme soutenu, dont La Guerre des Boutons en 1912. La prose magique et hilarante de cette oeuvre est empreinte de nostalgie. Pergaud écrit son roman à Paris, 3 rue Marguerin, en se remémorant son enfance à Belmont et ses années d’instituteur à Durnes et Landresse. Il décrit cette "grande guerre" des enfants et ignore qu’aura bientôt lieu celle des adultes, à laquelle il partira en vaillant républicain. Le musée de Belmont a accueilli plus de 45 000 visiteurs depuis sa création.
"Il est des mystères que l’on peut à peine imaginer, et que l’on ne résoudra qu’en partie".
Bram Stoker naît le 8 novembre 1847, à Dublin, en Irlande, au sein d’une famille protestante appartenant aux classes moyennes. Sa mère est très impliquée dans les actions charitables de la ville. Elle s’occupe de l’éducation de l’enfant, l’initiant notamment à la lecture. Son père est fonctionnaire, un avenir professionnel auquel il destine également son fils unique. Après une scolarité perturbée par de nombreux problèmes de santé, celui-ci entre au Trinity College de Dublin, au mois de novembre 1864. L’adolescent se prend de passion pour le sport et les activités physiques, alors en vogue dans les établissements britanniques. Bram Stoker se plonge aussi dans le monde des lettres. La poésie, celle de l’américain Walt Whitman, ou le théâtre notamment. C’est d’ailleurs dans cette voie qu’il se dirige après avoir été diplômé de l’Université de Dublin en 1867, en ayant reçu à cette occasion les Honours en mathématiques.
Devenu fonctionnaire au Dublin Castle, Bram Stoker s’investit dans les activités de plume. En 1873, il se voit ainsi proposer le poste de rédacteur en chef d’un nouveau journal, The Irish Echo. Celui-ci fait faillite dès l’année suivante. Au cours de ces années, paraît son premier ouvrage, "The Chain of Destiny". Celui-ci appartient déjà au genre de l’étrange. Stoker se fait ensuite essayiste et critique dramatique, livrant quelques articles à d’autres feuilles irlandaises, le Dublin's Evening Mail notamment. En 1876, ceci lui offre l’opportunité de rencontrer Sir Henry Irving, l’un des grands acteurs shakespeariens de l’époque, que Stoker avait admiré dans sa jeunesse. Ce dernier se prend d’affection pour le jeune homme, qui quitte bientôt son poste d’employé de bureau dans l’administration pour se mettre au service du comédien.
En sa compagnie, Bram Stoker effectue un voyage en Angleterre en 1878. A Londres, Irving vient en effet de faire l’acquisition du Lyceum Theatre. Il en offre la direction à celui qui était son secrétaire depuis quelques mois. La même année, celui-ci fait la rencontre d’une jeune actrice de dix-neuf ans, Florence Balcombe, alors dans l’entourage du comédien de renom. Stoker l’épouse au mois de décembre 1878. Le couple aura un enfant, Noël, qui naît l’année suivante. En 1882, paraît "Under the Sunset", la nouvelle œuvre de Bram Stoker, qui se destine d’ailleurs à un tout autre public. Il s’agit en effet d’un recueil de contes pour enfants. Tout entier à sa tache, le directeur du London Lyceum Theatre effectue plusieurs voyages aux États-Unis en compagnie de la troupe du théâtre. A cette occasion, il fait la rencontre de Walt Whitman.
Dès 1890, Bram Stoker se consacre à la rédaction d’un roman dédié au vampirisme. C’est dans son entourage qu’il puise son inspiration. L’écrivain est depuis quelque temps membre de la Golden Dawn in the Outer, une société secrète fondée en 1887. Versés dans l’ésotérisme, ses membres cultivent les sciences occultes et la magie, se réclamant notamment de l’héritage rosicrucien. "Dracula" paraît enfin le 26 mai 1897. L’œuvre est aussitôt adaptée au théâtre par son auteur afin d’établir officiellement un copyright la protégeant. Le roman de Bram Stoker est en effet un grand succès de librairie, que confirment dans les années qui suivent de multiples rééditions. Le nom de son auteur devient inséparable du comte Dracula, le vampire. Ce dernier est un mort qui quitte son tombeau la nuit pour se nourrir de sang, la force vitale des vivants. Il puise celui-ci à même la source, en plongeant ses dents acérées dans le cou de ses victimes, les liant ainsi définitivement à lui. Ce baiser à la fois cruel et sensuel du vampire a d’ailleurs inspiré de nombreux cinéastes.
C’est en Roumanie, dans le château du monstre, qu’un jeune clerc de notaire, Jonathan Parker, fait sa connaissance. Le comte a fait l’acquisition d’un appartement à Londres. Ayant fait le trajet dans son cercueil, c’est dans la plus grande ville du monde, autrement dit dans l’anonymat le plus complet, que le vampire compte exercer ses méfaits. Cependant Dracula trouvera en la personne du docteur Van Helsing un adversaire à sa taille. L’illustre homme de sciences identifie les victimes du monstre ainsi deviné. Pourchassé, le comte doit se réfugier dans son repaire au beau milieu des Carpates, avant d’être définitivement vaincu. Au cours de ces aventures, on prend connaissance des mérites de l’eau bénite ou de la croix, ces symboles religieux ayant la vertu de repousser le vampire. L’ail également. Ce dernier ne peut sortir parmi les Hommes que la nuit venue. C’est qu’il doit éviter la lumière du jour, de même que les miroirs.
Dans les années qui suivent la publication de son chef d’œuvre, l’auteur de "Dracula" poursuit sa carrière littéraire. Paraissent "Miss Beauty" en 1898, "The Mystery of the Sea"en 1902, "The Jewel of the Seven Stars" l’année suivante, "The Man" en 1905 et enfin "Lady of the Should" en 1909, des romans de style gothique de moindre envergure. Très affecté par la disparition de Sir Henry Irving en 1905, Bram Stoker décède à Londres, le 20 avril 1912, à l’âge de soixante-quatre ans.
Ses maisons à Dublin puis Londres.
Bram Stoker, fonctionnaire au Dublin Castle, où son père avait aussi travaillé, assure par ailleurs une chronique théâtrale au Dublin Mail. Séduit par le talent de l'acteur Henry Irving, en tournée à Dublin en 1876, il lui consacre des articles élogieux qui marquent le début d'un très longue amitié. En 1878, Stoker rédige "The Duties of Clerks of Petty Sessions in Ireland" qui devient un ouvrage de référence. Il épouse Florence Balcombe, également courtisée par Oscar Wilde.
C'est à ce moment là que le couple part pour Londres, où à la demande d'Irving, Stoker devient administrateur du Lyceum Theater, charge qu'il honorera pendant 27 ans. Il consacre toute son énergie à sa tâche, et se trouve plongé au milieu d'une vie brillante. Dans sa belle maison de Cheyne Walk, en fac du parc de Battersea, il reçoit Rosseti, Oscar Wilde,George Elliot, James Abbott McNeill Whistler et Sir Arthur Conan Doyle.
Au Lyceum Theater, il cumule alors les postes de gestionnaire, directeur artistique, costumier, chef décorateur sans oublier le recrutement des comédiens et le calendrier des tournées. Malgré un emploi du temps surchargé, il signe des nouvelles fantastiques, genre qu’il affectionne tout particulièrement en souvenir des histoires entendues durant son enfance.
Son goût pour l’étrange le pousse à rejoindre la "Compagnie des Beefstaeks", un groupe d’amateurs d’histoires insolites se réunissant toutes les semaines au Lyceum Theatre. Il y fait la connaissance du docteur Arminius Vambery, professeur de langues orientales à l’université de Budapest. Passionné de surnaturel et de folklore, il relate à Stoker diverses légendes d’Europe centrale, notamment celle concernant le mythe entourant Vlad Tepes III surnommé l’Empaleur. Fasciné par ses récits, Stoker entame des recherches pharaoniques sur le sujet, avec une prédilection pour l’ésotérisme.
C’est à cette époque qu’il intègre la fameuse société secrète "Golden Dawn" fondée en 1888 par le révérend Woodford, le docteur Westcott, William Woodman et Samuel Mathers avec pour but l’étude et l’enseignement des sciences occultes. Il y croise l’occultiste Alister Crowley, le poète William Butler Yeats, l’actrice Florence Farr ou encore l’écrivain Arthur Machen. Durant plus de dix ans, Stoker accumule les notes, s’abreuve de récits souvent farfelus ou romancés, et s’imprègne de tout ce qui compose cet univers trouble.
Lorsqu'en 1898 il publie "Dracula"sur lequel il travaillait depuis plusieurs années, le succès est immense et Wilde qui en 1890 avait donné au genre fantastique l'un de ses chefs d'oeuvre; "The Picture of Dorian Gray" y voit "le plus beau roman du siècle".
Irving étant mort en 1905, Stoker rédige alors deux volumes de mémoires intitulés "Personnal Reminiscences of Henry Irving" qui montrent à quel point il idôlatrait celui-ci.
En 1912, une néphrite chronique aura raison de la robuste constitution d'un homme en qui le Times verra "un écrivain flamboyant".
Les maisons où il vécut ne se visitent pas, de simples plaques commémoratives permettent de suivre le parcours de l'écrivain.
Sa maison à Dublin.
Première édition de Dracula au Writter's Museum de Dublin.
"On revient de sa jeunesse comme d'un pays étranger."
Federico García Lorca, poète et dramaturge espagnol, également peintre, pianiste et compositeur, est né le 5 juin 1898 à Fuente Vaqueros près de Grenade et mort le 19 août 1936 à Víznar. Il est l'un des membres de la génération de 27.
Après plusieurs années passées à Grenade, il décide d'aller vivre à Madrid pour rencontrer enfin le succès. Il y devient l'ami de Luis Buñuel, Salvador Dalí et Sanchez Mazas, parmi ceux qui deviendront des artistes influents en Espagne. Là, il rencontre aussi Gregorio Martínez Sierra, le directeur du Teatro Eslava, à l'invitation duquel il écrit et met en scène sa première pièce en vers, El maleficio de la mariposa(Le Maléfice du papillon), en 1919-20. Elle met en scène l'amour impossible entre un cafard et un papillon, avec de nombreux insectes en support. Elle est malheureusement l'objet de moquerie du public, et s'arrête après quatre représentations. Cela refroidit la passion de Lorca pour le théâtre pour le reste de sa carrière, il se justifie plus tard en 1927 au motif que Mariana Pineda était sa première pièce.
Pendant les quelques années qui suivent il s'implique de plus en plus dans son art et dans l'avant-garde espagnole. Il publie trois autres recueils de poèmes, dont Romancero Gitano (1928), son recueil de poèmes le plus connu.
Cependant, vers la fin des années 1920, Lorca est victime d'une dépression, exacerbée par une angoisse due à la difficulté grandissante de cacher son homosexualité à ses amis et sa famille. Cette disparité entre son succès comme auteur et la souffrance de sa vie privée atteint son paroxysme lors de la collaboration des deux surréalistes, Dalí et Buñuel, pour le film Un chien andalou (1929) que Lorca interprète, comme une allusion, voire une attaque à son encontre. En même temps, sa relation intense, passionnée, mais non réciproque, avec Salvador Dalí s'effondre quand ce dernier rencontre sa future épouse. Consciente de ses problèmes (mais peut-être pas de leurs causes) la famille de Lorca s'arrange pour lui faire faire un long voyage aux États-Unis d'Amérique en 1929-1930. Il y a une aventure avec George Lowex .
Son retour en Espagne en 1930 coïncide avec la chute de la dictature de Miguel Primo de Rivera et la proclamation de la République. En 1931, Lorca est nommé directeur de la société de théâtre étudiante subventionnée, La Barraca, dont la mission est de faire des tournées dans les provinces essentiellement rurales pour présenter le répertoire classique. Il écrit alors la trilogie rurale de Bodas de sangre (Noces de sang), Yerma et La casa de Bernarda Alba(La Maison de Bernarda Alba).
Quand la Guerre civile espagnole éclate en 1936, il quitte Madrid pour Grenade, même s'il est conscient qu'il va vers une mort presque certaine dans une ville réputée pour avoir l'oligarchie la plus conservatrice d'Andalousie. Il y est fusillé par des rebelles anti-républicains et son corps est jeté dans une fosse commune à Víznar. Le régime de Franco décide l'interdiction totale de ses œuvres jusqu'en 1953 quand Obras completas(très censuré) est publié.
En 1956 on érige le premier monument à García Lorca. C'est bien sûr, loin de l'Espagne de Franco, en Amérique du Sud, dans la ville de Salto, en Uruguay, grâce à l'initiative de son ami américain, l'écrivain Enrique Amorim. On construit un mur en briques de béton, à la rivière du fleuve Uruguay. Sur la surface du mur on lit le poème de Antonio Machado, qui regrette la mort de García Lorca à Grenade.
Ce n'est qu'avec la mort de Franco en 1975 que la vie et le décès de Lorca sont discutés librement en Espagne. De nos jours, une statue de Lorca est en évidence sur la Plaza de Santa Ana à Madrid. En 2008, la justice espagnole accepte que la fosse commune dans laquelle est enterré le poète soit ouverte dans l’intimité, en présence de la seule famille. Toutefois, de nombreuses controverses existent sur la présence de la dépouille du poète dans cette fosse commune. En effet, des recherches, effectuées pendant plusieurs semaines, en vue d'une exhumation, sont abandonnées le 18 décembre 2009. On ignore si le poète a effectivement été assassiné dans le champ d'Alfacar ou s'il a été transféré dans un lieu inconnu.
Fuente Vaqueros sa maison natale
Au Paseo de la Reina se trouve un lieu de pèlerinage obligatoire pour le voyageur: la Maison de Federico García Lorca, où naquit le poète le 5 juin 1898. Restaurée avec goût et succès et transformée en Musée par la Diputación de Grenade, ses chambres évoquent l’ambiance de sa jeunesse grâce à la décoration et le mobilier, tandis qu’au premier étage, qui était le grenier, se trouve une salle pour les expositions et les actes culturels. Elle garde de nombreux documents écrits, graphiques, et même des outils et trousseaux appartenant au poète ou liés à sa vie et son oeuvre.
Le patronage culturel FGL est l'agence qui gère la maison du poète, celle-ci dépend de la région de Grenade. C'est en 1982 que cette agence a acquis la maison natale de Fédérico Garcia Lorca et les lieux ont été ouverts au public pour la première fois en 1986. Grâce à l'appui des parents et amis du poète la ferme traditionnelle a été convertie en musée. Au fil des ans ce lieu n'a cessé de s'enrichir avec entres autres l'ouverture d'un centre d'études dédié à Fédérico Garcia Lorca qui depuis est devenu une référence en la matière et permet de découvrir toute la richesse des travaux du poète.
Cette ferme est une ferme typique de la plaine de Grenade. Elle a été construite en 1880, quand Federico García Rodríguez, le père du poète, s'est marié en première noce avec Matilde Palacios. Devenu veuf, Don Federico s'est remarié avec Donna Vicenta Lorca Romero, qui était une de ses maîtresses. Le petit Federico est né dans cette maison le 5 juin 1898, et c'est dans cette ferme qu'il a passé toute son enfance et que s'est développée toute sa sensibilité.
Après la mort de Fédérico Garcia Lorca, la maison était passée aux mains de plusieurs familles et c'est donc en 1982 qu'elle a été rachetée dans le but d'y créer un musée à la mémoire du poète.
Le voyage au sein de cette maison est court mais intense, le visiteur peut flâner dans la salle à manger, la cuisine, les chambres à coucher et l'arrière cour. Les murs blancs comme les pages d'un livre, sont décorés d'objets personnels et dans l'ancienne grange se trouve un hall d'exposition où l'on peut admirer, ses livres, ses poèmes, ses lettres, des dessins et ainsi découvrir une personnalité aux facettes multiples.
"L'éducation: ... quelque chose qui avait été préalablement mâché et digéré d'avance plusieurs fois de suite par une foule de gens qui s'en souciaient comme d'une guigne, à seule fin de le servir à d'autres qui ne s'en souciaient pas davantage".
William Morris, est un fabricant designer textile, imprimeur, écrivain, poète, conférencier, peintre, dessinateur et architecte britannique, célèbre à la fois pour ses œuvres littéraires, son engagement politique, son travail d'édition et ses créations dans les arts décoratifs, en tant que membre de la Confrérie préraphaélite, qui furent une des sources qui initièrent le mouvement Arts & Crafts qui eut dans ce domaine une des influences les plus importantes en Grande-Bretagne au XXe siècle.
Tout le long de sa vie, William Morris écrivit et publia de la poésie, des romans et traduisit d'anciens textes du Moyen Âge et de l'Antiquité. Son travail littéraire le plus connu en français est l'utopie News from Nowhere(Nouvelles de nulle part) écrit en 1890. Par son activisme politique, il fut une personnalité clef de l'émergence socialiste britannique en contribuant à la fondation de la Socialist League en 1884, bien qu'il reniât le mouvement à la fin de la même décennie. Il consacra la fin de sa vie à l'édification de l'imprimerie et maison d’édition Kelmscott Press qu'il fonda en 1891. L'édition Kelmscott de 1896 des œuvres de Geoffrey Chaucer est aujourd'hui considérée comme un chef-d'œuvre de conception éditoriale.
William Morris est né à Elm House, Walthamstow, le 24 mars 1834, troisième enfant et premier fils d'une famille de moyenne bourgeoisie aisée d'origine galloise. Son père, William Morris, travaillait comme agent de change pour la compagnie Sanderson & Co. à la Cité de Londres. Sa mère, Emma Morris, née Shelton, fille de Joseph Shelton, professeur de musique à Worcester. Sans être un prodige, il reste un enfant délicat et studieux. "Il ne fut guère remarquable que par son grand amour de la lecture". Il apprend à lire très jeune et dès l'âge de quatre ans il est émerveillé par les Waverley Novels de Walter Scott qu'il à déjà lus en grande partie et qui furent une impulsion pour ses poèmes d'inspiration médiévale. Il a six ans en 1840, lorsque sa famille s'installe à Woodford Hall ouvert sur de plus grands espaces. Des cours trop réguliers lui sont épargnés afin de ménager sa santé, ce qui lui permet de mener une vie de plein air qui lui donne force et vigueur. Vêtu parfois d'une panoplie de chevalier en armure, il se promène à cheval et apprend par l'observation de la nature dans la forêt d'Epping.
"La forêt lui fut une amie, il ne tarda pas à en connaître tous les sites, tous les chemins, il essayait d'y surprendre les troupeaux de daims qui y vivent. En retour elle l'initia à la beauté. Inconsciemment sans doute, mais sûrement, il commença à sentir le charme profond de la nature, et toute son œuvre de poète et d'artiste devait en être pénétrée. Sans comprendre toute la mystérieuse beauté de la forêt il apprit à l'aimer. Elle fut son premier maître, un magister point pédant, sans rien de rébarbatif ni d'austère, dont les leçons s'égayaient de chants d'oiseaux, de soleil et de parfums sous les arbres, et qui lui apprit à regarder de près et avec sympathie les bêtes et les plantes. C'est peut-être à cette habitude d'observation précise, contractée dès l'enfance que nous devons la frappante vérité de ses décorations florales."
Lecteur vorace, il lit tout ce qui lui tombe sous la main et se passionne pour les Mille et une nuits ou les illustrations de l'herbier de John Gerard. Jusqu'à l'âge de neuf ans, il suit l'enseignement donné par la gouvernante de ses sœurs, avant d'entrer dans une école préparatoire pour jeunes gentlemen de Walthamstow en 1843 où il travaillera médiocrement pendant quatre années. Il a treize ans en 1847, lorsque son père décède, laissant la famille dans une grande aisance matérielle. Les Morris quittent Woodford, jugée désormais trop grande, et le jeune garçon entre à l'internat de Marlborough College en février 1848, où son père avait payé pour qu'on lui réserve une place. Pendant les trois années où il y reste, il tire peu de profit des leçons de français, de latin ou de mathématiques et ne prend goût qu'à l'architecture, grâce aux ouvrages de la bibliothèque, et un certain penchant pour l'anglo-catholicisme qui lui donne la vocation de devenir prêtre. Ses résultats sont médiocres et à Noël 1851, sa famille le retire de Marlborough et le confie aux soins d'un tuteur privé, le révérend F. B. Guy, plus tard chanoine de Saint-Alban, qui disposera d'une année pour le préparer à l'entrée à l'université.
Après des études universitaires de théologie à Exeter College (Oxford), il songe à entrer dans les ordres. Il y fait la connaissance d'Edward Burne-Jones. Les deux hommes se lient d'une amitié qui durera toute leur vie et que cimente une passion commune pour la création artistique. La lecture de Thomas Carlyle, de Charles Kingsley et de John Ruskin le persuade de se consacrer à l’art. Étudiant en architecture, puis en peinture, il rencontre Dante Gabriel Rossetti et les artistes de la "Confrérie préraphaélite" en 1856, ce qui le détermine à consacrer sa vie aux arts décoratifs, à la fois comme créateur et comme homme d’affaires. En 1859, il se marie avec le modèle Jane Burden, dont il a deux filles.
La contradiction entre les aspirations socialistes utopiques de Morris et ses activités de créateur d’objets de luxe, accessibles uniquement à une clientèle de grands bourgeois victoriens, reste encore problématique aujourd'hui. L'explication peut se trouver dans les théories socialistes elles-mêmes, qui visent à démocratiser l'art et ses savoir-faire sous toutes ses formes, afin que l'ouvrier devienne artisan et artiste. La pleine réalisation de l'être humain ne peut s'effectuer, selon Morris, que dans la création d'objets et de meubles beaux et pratiques. Soustraite aux impératifs impérialistes de rentabilité et de rapidité, la fabrication des éléments nécessaires à la vie quotidienne devient un plaisir en soi et la raison d'être d'une vie libre et épanouissante. Le souhait de Karl Marx, "de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins"se trouve ainsi réalisé, dans l'abolition de l'anarchie économique que provoque le capitalisme (concurrence, faillites, chômage...).
Morris connut en son temps la célébrité en tant qu’auteur littéraire. Son premier recueil de poésie, The Defense of Guenevere, n’obtint pas un grand succès et il ne fut véritablement reconnu comme poète que grâce à The Earthly Paradise en 1870. Il fut également l’auteur de traductions de sagas islandaises, telle que Sigurd the Volsung, et d’autres textes classiques.
Ses principales fictions romanesques, ou romances en prose , sont A Dream of John Bull, The Well at the World’s End et l'utopie socialiste News from Nowhere, parue en 1890. On le considère souvent comme le père de la fantasy, The story of the Glittering Plain, The Wood Beyond the World, The Well at the world's End et The Water of the Woundrous Isles ont influencé l'œuvre de Tolkien.
Il mit aussi son talent d’écrivain au service de ses convictions politiques, comme dans son ouvrage Les Arts décoratifs, leur relation avec la vie moderne.
C'est en 1876 que William Morris fait son entrée en politique en acceptant le poste de trésorier de l'Eastern Question Association. En 1883, déçu par les libéraux, il rejoint les socialistes de la Social Democratic Federation, puis fait partie du groupe de militants qui fonde la Socialist League en décembre 1884 pour s'opposer à l'orientation réformiste de la SDF. L'existence de la Ligue est éphémère et elle disparaît en 1890 après avoir connu des conflits internes.
Pendant les années 1880-1890, Morris n'eut de cesse de parcourir la Grande-Bretagne en tant qu'activiste socialiste, alternant conférences et discours. Il prônait l'amélioration de la qualité de la vie des travailleurs manuels, de la classe ouvrière tout entière, grâce à l'éducation et les loisirs, avec, en particulier, l'enseignement des arts appliqués. Il considérait la guerre entre le capital et le travail comme le sujet essentiel de toute réflexion sur la société contemporaine. Il s'insurgeait contre le côté philistin de la société victorienne qui le faisait désespérer d'un possible épanouissement de l'art dans le système capitaliste basé sur le profit et la production de masse dénuée de qualité.
Il fut un ardent défenseur de l'environnement et du patrimoine architectural. Sa défense de la terre et ses attaques contre la répartition pernicieuse des biens anticipaient, à maints égards, les revendications écologistes. C'est en particulier à cause de son écologisme radical qu'il sera re-découvert par une partie de l'ultra-gauche française.
"Oui : il faut encore que les ouvriers prêtent main forte à la grande invention industrielle de l'époque : la falsification, et qu'ils s'en servent afin de produire pour eux-mêmes un simulacre dérisoire du luxe des riches ! Car les salariés vivront toujours comme l'ordonnent leurs payeurs, et le mode de vie qu'ils ont est celui que leur imposent leurs maîtres."
"Mais c'est perdre son temps que de vouloir exprimer l'étendue du mépris que peuvent inspirer les productions de cet âge bon marché dont on vante tellement les mérites. Il suffira de dire que le style bon marché est inhérent au système d'exploitation sur lequel est fondé l'industrie moderne. Autrement dit, notre société comprend une masse énorme d'esclaves, qui doivent être nourris, vêtus, logés et divertis en tant qu'esclaves, et que leurs besoins quotidiens obligent à produire les denrées serviles dont l'usage garantit la perpétuation de leur asservissement."
Partageant les vues de John Ruskin, qu'il contribue fortement à populariser, William Morris s'engage à ses côtés pour prôner la "non-restauration". Il étend la réflexion de Ruskin aux architectures non-nobles, et diffuse l'idée que la restauration est une perte d'authenticité pour l'œuvre. En 1877, il crée la Society for the Protection of Ancient Building, qui s'attache au respect du monument comme document historique et souhaite l'étendre, au-delà du Moyen Âge, à toutes les périodes.
La première décoration d'intérieur dont Morris se chargea fut celle de sa propre demeure "Red House" construite en 1859 par Philip Webb pour le jeune couple à Bexleyheath, alors en pleine campagne avant de devenir par la suite un faubourg de Londres. À l’Exposition universelle de Londres en 1851, Morris avait été surpris par la laideur des objets présentés : en effet, selon lui, la révolution industrielle en standardisant la fabrication des objets avait mis en avant la notion de profit, au détriment de l’esthétique et de la qualité du produit.
La firme Morris, Marshall, Faulkner & Co, créée en 1861 avec l’aide de Ford Madox Brown, Charles Falkner, Burne-Jones, Rossetti et Philip Webb, acquit rapidement une excellente réputation pour la fabrication de vitraux ainsi que pour sa production de papiers peints et textiles. Elle devint ultérieurement Morris & Co.
En 1888, la première exposition de l'Arts and Crafts Exhibition Society, société issue de l'Art Workers Guild (regroupement d'architectes, artisans d'art, peintres et sculpteurs) ne présentait que neuf créations de Morris & Co. Selon le biographe de Morris, J.W. Mackail, peu de membres de ladite société auraient à l'époque imaginé l'influence à venir de William Morris.
Ses créations sont indissociables des passions qu'il partageait avec ses amis préraphaélites, en premier lieu avec Burne-Jones, tant pour les primitifs italiens que pour l'art du Moyen Âge, sans compter leur aversion commune pour la laideur du goût bourgeois victorien.
En devenant éditeur et imprimeur, William Morris applique sa même exigence dans la réalisation des 66 livres imprimés par sa Kelmscott Press, et la création de nouveaux caractères d’imprimerie. Recherchant un caractère lisible et élégant, et qui lui permette de se distinguer de la production éditoriale de l'époque, il devient, à près de soixante ans, créateur de caractères. Mais il fréquente depuis sa jeunesse les bibliothèques et les manuscrits médiévaux, il a pratiqué la calligraphie, recopiant incessamment textes et enluminures, et les recueils de sa main qui ont été conservés étonnent toujours. Il étudie les créations du vénitien Nicolas Jenson, dessine lui-même des caractères et s'inspirant finalement d'un proche de Jenson, Jacques Le Rouge, pour créer le Golden Type (1891), primitivement destiné à une édition de la Légende dorée. Puis, désireux de se rapprocher de modèles plus anciens, et mû par son goût pour le médiéval, il crée une gothique arrondie, le Troy Type. Ce caractère se révélant trop massif pour son projet d'éditer les œuvres de Chaucer, il en dessine une version réduite, le Chaucer Type. Il cherche encore à travailler une nouvelle police, là encore d'après les prototypographes venus d'Allemagne en Italie, mais il n'arrive pas à l'achever. Ses travaux, repris par l'Ashendene Press, donneront le caractère Subiaco.
Ce n'est qu'après de nombreuses années que Morris apparaît clairement comme l'initiateur des mouvements Arts and Crafts – arts décoratifs et artisanat d'art – en Grande-Bretagne et outre-Manche. Aux États-Unis, en 1883, Morris expose des tapisseries à la Foreign Fair de Boston. La Morris & Company travaillait déjà depuis une dizaine d’années à Boston dans la fourniture de papiers peints. En France et en Belgique, il inspire notamment la mouvance Art nouveau. On peut souligner au passage l'anti-sexisme de celui qui promouvait le travail des artisans hommes ou femmes avec un même enthousiasme.
Selon Fiona Mc Carthy, ce n'est que bien des années après sa mort que l'influence de Morris, l'impact de son œuvre, purent être mesurés. En 1996, pour le centenaire de sa mort, à l'occasion de l'exposition organisée conjointement par la William Morris Society et la Society of Designer Craftsmen, Fiona Mc Carthy exprima son émerveillement de l'épanouissement de l'artisanat d'art en général, un siècle après la disparition de Morris, et son admiration pour la survie inespérée des arts décoratifs et artisanats d'art, compte tenu du déplorable contexte politique, environnemental et commercial actuel.
En mai 2011, la nation britannique a rendu un hommage à William Morris , à travers l'édition d'une série de timbres par la Royal Mail, à l'occasion du 150 anniversaire de la création de la firme Morris, Marshall, Faulkner & Co.
Sa maison the Red House
La Red House est le symbole du mouvement Arts & Crafts. Elle a été créée par William Morris et Philip Webb en 1859 au sud-est de Londres, à Bexleyheath.
Le nom de "Red House" provient de l'utilisation de briques rouges avec, pour la première fois, une structure organique de la maison : c'est la disposition des pièces qui implique la structure de la façade. Tous les éléments sont artisanaux.
C'est aussi l'un des premiers témoignages d'une évolution vers l'Art nouveau, qui se prolonge par l'ouverture d'un magasin (dès 1861) proposant, pour la première fois, à la vente tous les éléments de décoration d’une maison. Il associe à sa démarche artistes et artisans sans faire de distinction.
C'est en 1859 que Morris commande, pour lui-même et sa femme Jane Burden, à son ami et confrère Philip Webb une maison, qu'il conçoit avec une grande simplicité décorative et une remarquable franchise dans l'emploi des matériaux. Il refusait d'installer sa femme dans un environnement de "laideur immorale" que proposaient les magasins d'ameublement.
La maison a été entièrement bâtie par Morris et ses amis de façon non industrielle. L'ensemble a été perçu par ses contemporains comme un manifeste artistique. Pour la première fois, une structure organique (continuité entre paysage et bâtiment)est créée. On notera aussi le début du fonctionnalisme (c'est la disposition/fonction des pièces qui influe la structure de la façade).
Cette maison a été un lieu de rassemblement social pour les jeunes rêveurs d’inspiration préraphaélite.
Le National Trust a acquis la maison en 2002 et s’employa à la restaurer au plus proche possible de sa splendeur d'antan.
La maison est ouverte au public depuis 2004.
La maison :
Le plan de la maison est formé par une série de pièces connectées entre elles par un long corridor et construit en forme de L, avec à l'extérieur une cour agencée autour d’un puits. Ce plan de maison était révolutionnaire: l’idée de Ruskin que l’architecture était telle que la fonction de chaque pièce devait être immédiatement visible de l’extérieur entrait en contraste avec le Classicisme où les pièces étaient arrangées de manière à suivre les conventions établies par l’apparence externe. Il n'y a aucune symétrie dans cette maison, du fait du fonctionnalisme, du coup on trouve des formes allongées ou carrées, des enfoncements ou des saillies, et différentes sortes de fenêtres.
Par son architecture organique : les pièces font la structure et non l'inverse où on bâtit la maison comme un cube et après on définit les pièces. La preuve la plus probante en est les fenêtres dont la forme et la disposition répondent aux besoins spécifiques de la pièce qu'elles doivent éclairer. Au premier étage, le bureau de Morris reçoit le soleil par 3 larges ouvertures qui ont pour but d'éclairer au mieux son bureau
Elle est constitué de 2 niveaux, 4 cheminées, en forme de L surmontée par des tours et de nombreux gâbles, elle est en brique rouge. Ce sont tous ces éléments qui permettent de placer la Red House dans la continuité des idées passéistes de l'époque. En effet elle reflète largement dans sa structure le gothique italien, gothique particulier qui accepte le décor gothique avec les lancettes, les arcades mais qui préfère la clarté de l'art roman et renonce de ce fait à la verticalité. De hauts toits de tuiles soulignent les volumes trapus et cassent l'élévation verticale que pourrait prendre la maison.
Pour Webb,la Red House fut simplement la première d’une série de maison dans lesquelles il essayait d’amener un style historique et authentique à travers l’expression directe de matériaux du coin et de travaux d’artistes. Webb adopta le Gothic Revival, créé par Pugin et Butterfield, avec l'emploi de tuiles d’argile, de briques en encorbellement, d'arches en briques poncées et d'ouvertures circulaires comme moyen d‘exprimer une forme flexible dans un style local. La maison est entièrement construite en briques rouges industrielles non enduites et donc apparentes telle une usine. Mais loin de faire penser à une usine, elle rappelle les cottages traditionnels anglais. En ce sens la Red House est inscrite dans la tradition.
La porte d'entrée principale est plus formelle que le reste de la maison. Exemple probant de l'emboîtement et de la variété des angles et des niveaux. Elle fait penser aux vieux portails des écoles telles que Cambridge ou Oxford. C'est une porte encastrée profondément sous une arche en briques imposante, avec des mosaïques de petits vitraux. Un style médiéval apparent, une porte massive ornée de gonds et d'une poignée en fer.
Les fenêtres sont les atouts majeurs de la Red House, elles animent les façades asymétriques. On peut tout d'abord observer leur variété : en saillie que l'on appelle oriel, des oculi, des fenêtres larges combinées à de plus étroites, ainsi que plusieurs œil de bœuf. Tout ceci donne une façade hétéroclite qui conserve néanmoins une certaine unité. En effet, les fenêtres sont toutes encastrées et sont dites modernes avec du fer qui se mêle au bois peint en blanc. Les rebords des fenêtres sont en pente afin de permettre à l'eau de pluie de s'écouler. Cette recherche pratique rappelle que la formation initiale de Webb était architecte.
Un oriel (bay-window ou bow-window par anglicisme) est une avancée en encorbellement aménagée sur un ou plusieurs niveaux d'une façade. Ce dispositif architectural est devenu populaire avec le style néogothique puis, en Grande Bretagne, avec l'architecture victorienne de la fin du XIXème siècle. L'avantage de ce type de construction, outre le traitement esthétique de la façade du bâtiment par son volume, est de procurer un peu plus de clarté et de chaleur solaire à l’intérieur. Ici, l'oriel qui descend jusqu'au sol (novateur et inattendu) crée un effet de parallélisme avec la cheminée qui, elle, monte.
Les fenêtres de la maison comptent parmi les caractéristiques les plus inhabituelles de la maison parce qu’elles sont positionnées plus en fonction de l’arrangement interne des pièces et du besoin de lumières qu'en fonction de l’apparence extérieure.
Enfin c'est une maison tout en détail, la girouette avec les initiales WM, la date 1859, le dessin d'une tête de cheval fait référence aux idéaux médiévaux de la chevalerie.
La structure moderne apparaît dans l'emboîtement des formes qui est souligné par les fenêtres mais pas seulement. La modernité se définirait ici non pas dans les influences ou la réinterprétation de styles passés mais dans le fait que Morris et Webb se sont posées des questions essentielles et basiques sur la nature même de l'architecture : sa fonction, les matériaux, la connaissance accrue des arts mineurs de l'artisanat, le plan et la beauté.
Le jardin :
Fait partie intégrante de la maison. Il n'échappe pas à la division fonctionnelle : un jardin aromatique, un potager, un jardin fleuri avec des fleurs traditionnelles comme le jasmin, la lavande, le coing et un verger avec pommes, poires et cerises. Il a été conçu en même temps que la maison, comme le montre l'inscription de la Red House dans le paysage, c'est donc une vision moderne de l'architecture en réaction aux édifices néo-grecs que l'on plante au milieu d'un boulevard du XIXè siècle par exemple.
Les plantes grimpantes comme le lierrei ont été voulues par Morris et Webb et relient la maison au jardin et vice-versa. Il y a donc continuité et unité du paysage.
L'intérieur de la maison :
Dialogue entre modernité et tradition comme à l’extérieur. C'est un lieu encore empreint de la tradition. Morris veut s’imprégner du Médiéval mais il ne veut pas l’imiter, en cela il n'applique pas l'idéologie de Ruskin. Ce dernier avait tendance à vouloir plaquer le style gothique sur la société du XIXème, Morris jugeait cela contraire à l’esprit de création. Dans la Red House, on trouve des pinacles en forme de tour sur la rampe des escaliers, des créneaux dans le recoin dans l’entrée, des tours sur les pieds des tables.
Les peintures préraphaélites présentes dans toute la maison furent peintes essentiellement par Burne-Jones.
(Rappel sur le Préraphaélisme : mouvement artistique né au Royaume Uni en 1848. Pour ses partisans, l'art anglais était sclérosé par le conformisme académique victorien. Ils souhaitaient retrouver les tonalités claires, vives et chantantes des primitifs italiens (d’avant Raphaël). Les préraphaélites aspiraient à agir sur les mœurs d’une société qui, à leurs yeux, avait perdu tout sens moral depuisl a Révolution industrielle. Ils privilégiaient le réalisme, le sens du détail et les couleurs vives. Ils limitaient les effets de profondeur et de volumes avec peu de jeux d’ombres et de lumière. Leurs sujets de prédilection étaient les thèmes bibliques, le Moyen Age, la littérature et la poésie.)
Les tentures, et broderies ont été conçues selon la méthode médiévale. Les textiles exigent une abondance de détails, caractéristique particulière d’un Art médiéval pleinement développé. Il est fort probable que le goût de Morris pour les textiles médiévaux soit né lors de son bref apprentissage avec GE Street. Street fut un ardent défenseur de l'abandon du difficile travail de laine sur toile en faveur des techniques de broderie plus expressives fondées sur l'Opus Anglicanum (ou English Work : terme contemporain pour désigner le travail dans l’Angleterre du Moyen Age qui consistait à faire des habits, tentures ou autres tissus. Ce travail était à l’origine fait par des nonnes puis par des professionnels qui faisaient leur apprentissage pendant 7 ans dans un atelier laïc).
Morris lui-même a appris la broderie, travaillant de la laine sur un métier à tisser à partir d'un modèle ancien, et une fois la technique maîtrisée, il a formé son épouse Jane, sa sœur Bessie Burden ainsi que bien d'autres pour exécuter des créations. Suivant les pas de Street, Morris est devenu actif dans le mouvement croissant qui était de retourner à l'originalité et à la maîtrise de la technique de la broderie (alors art mineur). Il fut l'un des premiers concepteurs associés à la Royal School of Art et à son objectif de "rétablir les travaux d’aiguilles ornementaux à des fins laïques à la haute place qu’elle tenait parmi les arts décoratifs".
Dans la Red House on peut aussi noter la présence de faïence de style Delft, notamment les carrelages de la cheminée de la salle à manger.
(Rappel sur le style Delft : La faïence de Delft fut produite par les manufactures hollandaises de la région de Delft à partir du XVIIe siècle, l'âge d'or hollandais, de 1640 à 1740 environ. C'est une porcelaine essentiellement blanche et bleue.)
On trouve aussi l'influence victorienne de son temps, au dessus de la cheminée du salon du premier étage, il y a une phrase inscrite en latin : "Ars Longa Vita Brevis"(L’art est long, la vie est courte) c'est un exemple typique de textes qui ont proliféré dans les riches maisons victoriennes.
Le décor gothique italien est présent par le jeu de profondeur des corridors et des pièces qui gagnent du volume grâce aux plafonds avec poutres apparentes ainsi que par la présence de motifs au plafond. Ces poutres nous rappellent l'esprit roman qui prône l'horizontalité et les bandes alternées. De même, la multiplicité des arcades avec des arcs brisés (gothique) parfois combinées avec un arc surbaissé (roman) renforce ce décor gothique. Enfin, le travail du vitrail qui est, rappelons-le, un art mineur qui a connu son apogée avec le gothique des cathédrales et églises, est ici très présent, avec notamment des représentations de l'Amour et de la Nature.
Néanmoins malgré tous ces apports anciens une modernité commence à apparaître. Les poutres du plafond sont apparentes, ce qui donne un aspect spectaculaire à la pièce. Le choix du mobilier tranche nettement avec celui de l'époque, où le matériel domestique manufacturé n'était pas très esthétique dans les logis modestes au contraire des habitations aristocratiques où l'on trouvait de bien folles extravagances avec des pièces uniques élaborées spécialement. C'était aussi l'époque reine du faux et du toc, du plaqué ou du hors norme. Dans la Red House, le mobilier s’intègre parfaitement à la maison, il est authentique et possède une certaine valeur, les meubles sont faits à la main par des personnes différentes.
La créativité de Morris est née de sa politique socialiste. Il prônait l'amélioration de la qualité de la vie des travailleurs manuels, de la classe ouvrière tout entière, grâce à l'éducation et les loisirs, avec, en particulier, l'enseignement des arts appliqués. Il s'insurgeait contre le côté borné de la société victorienne qui le faisait désespérer d'un possible épanouissement de l'art dans le système capitaliste basé sur le profit et la production de masse dénuée de qualité.
Bien que Morris n’ait jamais exercé son métier d'architecte, son intérêt pour l'architecture est resté présent tout au long de sa vie. En 1877, il fonda la "Société pour la protection des bâtiments anciens" (parfois appelé "Anti-Scrape"). Un autre aspect du préservationnisme de Morris était son désir de protéger le monde naturel des ravages de la pollution et de l'industrialisation.
Son goût pour le passé allait à l’encontre de la vision progressiste développée par Marx et Engels. Morris adhérait à une vision idéale du futur et de la société. Il en revenait néanmoins, dans les thèmes et dans les formes, aux arts médiévaux et antiques. Herbert George Wells, écrivit "Morris is altogether more ancient and more modern".
Pour Morris, le retour au Moyen-âge semble s’accompagner d’un retour à la nature. Opposé au goût victorien, William Morris ne l’est pas moins aux industries qui aliènent les hommes et enlaidissent le paysage. Toutefois, Morris ne se fait pas l’ennemi du progrès, mais bien des conséquences néfastes de l’évolution de la société, et par là de l’omniprésence du béton et de l’acier.
L’illustration pour son livre The Wood beyond the World, faite par Morris lui-même transpose bien son idéal de communion entre homme et nature. On y voit une femme marchant pieds nus dans de l’herbe qui s’infiltre entre ses orteils et dont les brins entourent ses chevilles, non pour les lier mais pour les épouser. La robe de la femme est ceinte de branchages ainsi que sa tête. Derrière apparaissent les arbres d’une probable forêt. La dynamique verticale de l’image réunit la femme et les arbres, ainsi que les formes courbes qui les composent. C’est donc très naturellement que Morris, introduit dans ses productions artistiques la nature. Les feuilles, les fleurs, sont un motif récurrent dans ses papiers peints et de ses tapisseries.
Le Moyen-âge des œuvres de William Morris n’est pas un Moyen-âge réaliste, une peinture conforme de la vie en ces siècles, mais bien un temps idéalisé. S’il choisit de dépeindre ce monde légendaire, c’est bien pour offrir à ses lecteurs évasion et rêve, pour offrir à l’ouvrier victorien un espoir dans un monde devenu pragmatique et matérialiste.
La Red House renoue avec les valeurs de modestie, de franchise et d'humanité, c'est là que figure son sens esthétique selon Edward Hollamby, architecte du XXème qui croit fondamentalement en l'architecture publique. La maison est entièrement créée de façon non industrielle, chaque produit, objet, meuble est unique et fait de façon artisanale. Vivre dans la maison de Morris signifie être entouré de produits faits main d’une grande beauté et fonctionnalité. Cette maison comporte des peintures au plafond faites par Morris, des tentures murales conçues par Morris et travaillées par lui et Jane, des meubles peints par Morris et Rossetti, des peintures murales et des vitraux conçus par Burne-Jones.
Pour Morris, la question du travail est réellement importante, car c’est par son travail que l’homme se définit, c’est grâce à lui qu’il se forge une identité. Mais par travail, Morris n’entend pas le travail des usines, mais bien une réalisation, une création, de l’homme pour lui-même et qui profitera à la communauté. Il soutenait que la laideur des produits du premier âge de l’industrie n’était pas le résultat d’une volonté délibérée de laideur, mais"le reflet de la condition sordide et du dénuement qu’ils (les bourgeois) imposent aux pauvres". Il est animé par une "haine de la civilisation moderne" ce qui lui fera trouver refuge dans le médiévalisme.
Morris rejetait la production de masse qui donnait selon lui des produits de mauvais goût et de mauvaise qualité… Il relança les vieux métiers et les traditions en se replongeant lui-même souvent dans des textes historiques ou en dénichant des artisans chez qui il pourrait apprendre des arts mourants (tissage, verres teintés, teinture, broderie, travail du métal ou la typographie).
Le travail de Morris rendit floue la limite entre l’Art et les métiers/artisanat. Il fut considéré comme le père du mouvement A&C.
En 1861, Morris lançait à Londres, à Red Lyon Square, l’idée du premier magasin d’ensembles mobiliers et d’accessoires de décorations, où tous les principaux préraphaélites se trouvaient réunis : "les arts décoratifs", firme de Morris, Marshall, Faulkner & Co. fut donc fondée avec Morris, Rossetti, Burne-Jones, Ford Madox Brown et Philip Webb en tant que partenaires, en collaboration avec Charles Faulkner et Peter Paul Marshall, c'était une entreprise de décoration qui réunissaient aussi des artistes, en vue de rétablir la décoration, jusqu'aux plus petits de ses plus de détails, comme l'un des beaux-arts.
Le principe de l’entreprise était de créer de la sculpture, du vitrail, le travail des métaux, les papiers de tenture, du chintz (tissus imprimés), et des tapis. La décoration des églises a tenu dès le début un rôle important dans l'entreprise. Ce travail fut présenté par la firme à l'Exposition internationale de 1862.
Morris voulait que son art en réponse à l’industrialisation soit un art pour tous, même pour les plus pauvres (notion d’art social) mais cela n'a pas fonctionné dans ce sens, il est apparu que c'était plus un art bourgeois car les produits étaient plus chers que les industriels. Cette dualité se retrouve dans la Red House en ce sens que les meubles et autres tissus décoratifs qui par la suite seront commercialisés étaient trop chers. L'Arts & Crafts n'est un art pour tous qu'à un niveau théorique, concrètement il est un art pour les classes aisées et instruites.
Samuel Taylor Coleridge est né à Ottery St Mary dans le Devon en Angleterre le 21 octobre 1772. Il est le plus jeune des treize enfants du pasteur John Coleridge, qui exerce également à Ottery Saint Mary la fonction de maître d'école. Le jeune Samuel est un enfant délicat, d'un caractère à la fois impulsif et renfermé. Petit dernier choyé par ses parents, il doit subir la jalousie de certains de ses frères. Suite à une dispute avec l'un d'eux, il s'enfuit de la maison, à l'âge de cinq ou six ans, et passe la nuit dehors. On le retrouve transi le lendemain. Il trouve également refuge à la bibliothèque locale, ce qui lui permet de découvrir très tôt sa passion pour la littérature.
Il fait ses premières études à l'école que dirige son père, mais il n'a pas encore dix ans que celui-ci décède, laissant sa famille dans une situation très précaire. Il est alors hébergé quelques semaines à Londres chez un oncle, puis est admis à Christ's Hospital, pension de bienfaisance de Londres, fondée au XVIe siècle, destinée spécialement aux orphelins, et connue pour sa discipline sévère et sa nourriture médiocre. Entouré de ces vieux murs et souffrant de la nostalgie de la maison maternelle, la vie lui serait insupportable sans quelques camarades sympathiques, tel Charles Lamb avec qui il se lie d'une fervente amitié. De plus il est rarement autorisé à rejoindre la maison familiale durant les vacances, les relations avec sa mère étant extrêmement difficiles, tandis qu'il idéalise son défunt père. Ce manque d'affection durant son enfance le marquera profondément à l'âge adulte.
En 1791, âgé de 18 ans, il obtient, venant de Christ's Hospital, une place gratuite à Jesus College, à l'université de Cambridge. Il y fait la connaissance de mouvements politiques et religieux radicaux, et commence à abuser de l'alcool et du laudanum pour calmer ses troubles psychiques. Toutefois, en 1792, il obtient une médaille d'or (Browne Gold Medal) en prix de la meilleure ode grecque. Mais malgré son intérêt pour l'antiquité en général, et la langue grecque en particulier, son tempérament enthousiaste l'entraîne vers d'autres voies. C'est la grande époque de la Révolution française, et il est conquis par la mystique révolutionnaire. Il n'est pas le seul, et les événements que connaît alors la France enflamment les cœurs de beaucoup de ces étudiants.
Cependant ses ressources sont modestes, et les dettes s'accumulent. Aussi un jour, par souci d'argent ou pour un problème de cœur, écoutant son démon familier, il s'enfuit brusquement de Cambridge, sans prévenir personne. Il se rend à Londres, et s'engage dans un régiment de dragons sous un nom d'emprunt : Silas Titus Comberbach. Un officier, s'étant aperçu par hasard que cette recrue avait une excellente connaissance du latin, le prend comme ordonnance, et l'amène régulièrement en ville avec lui. Au bout de quelque temps, il est reconnu, et ses amis et ses frères parviennent à le faire rayer de l'armée et accepter de nouveau à Cambridge, bien qu'il n'ait jusqu'alors obtenu aucun diplôme.
Dans le courant de 1794, il fait connaissance avec le poète Robert Southey, et sent s'éveiller en lui la vocation de poète. Les deux jeunes gens deviennent amis, et, en septembre 1794, décident d'écrire en collaboration un drame historique intitulé la Chute de Robespierre, qui restera inachevé. En 1795, il ouvre un cours public sur l'histoire de la Révolution française, dont il est toujours enthousiaste ; il a même un instant l'idée d'aller, avec Southey et un autre poète nommé Robert Lowell, établir chez les Illinois, en Amérique, une république égalitaire utopique, qu'il appelle pantisocratie ; ce projet avorte rapidement.
En 1795, Coleridge et Southey épousent chacun l'une des sœurs Emma et Sarah Fricker. Le mariage de Coleridge, décidé uniquement par les contraintes sociales, ne sera pas heureux. Peu à peu il se distanciera de sa femme, sans que cela n'aboutisse toutefois à un divorce formel, Sarah Fricker y étant fermement opposée. En 1796, Southey part pour le Portugal avec son oncle. Coleridge décide de rester en Grande-Bretagne, à Bristol. Il publie alors son premier recueil de poèmes "Poems on various subjects". Il se met aussi à écrire des "Adresses au peuple", discours qui font assez de bruit; puis il rédige le "Watchman" (la Sentinelle), recueil hebdomadaire qui cesse de paraître dès le 10ème numéro. Abandonnant alors la politique pour la poésie, il fait paraître sa tragédie "Osorio", composée sur les conseils de Sheridan, et rebaptisée plus tard"Le Remords".
La même année, il rencontre William Wordsworth, avec qui il se lie d'une amitié telle que, lorsqu'il s'installe à Nether Stowey, dans le comté de Somerset, Wordsworth et sa sœur Dorothy viennent habiter près de lui, à Axfolden. La compagnie de Wordsworth, les promenades quotidiennes et les longues conversations de deux amis sont pour Coleridge un stimulant précieux, et c'est sans doute la période la plus féconde de sa vie. En 1798, ils publient un recueil commun,"Lyrical Ballads" (Ballades lyriques), manifeste de la poésie romantique, qui contient la première version du célèbre poème"Rime of the Ancient mariner" (La Complainte du vieux marin). Vers cette époque, il se met à l'opium, toujours pour calmer la douleur de ses maladies et de ses troubles psychiques. C'est après un rêve dû à l'opium qu'il écrit le poème "Kubla Khan". C'est également durant ces années qu'il commence son grand poème médiéval, "Christabel", et rédige "Frost at Midnight" (Gel à minuit) et "The Nightingale" (Le rossignol).
Deux admirateurs, les frères Josiah et Thomas Wedgewood lui offrent une subvention de 150 livres par an, qu'il accepte et qui lui permet d'aller en Allemagne avec Wordsworth à l'automne 1798. Là, pendant 14 mois, il s'intéresse à la pensée de Kant, de Schlegel, de Lessing et de Schelling. Il puise dans les chants des Minnesänger et dans les légendes locales le sujet de nouvelles œuvres. Il apprend l'allemand en autodidacte, et traduit le poème "Wallenstein"de Schiller à son retour en Grande-Bretagne, en 1800. Il va s'installer alors à Greta Hall, dans le Pays des Lacs (Lake District of Cumberland), pour être près de Grasmere, où vit Wordsworth. C'est cette circonstance qui leur vaut, avec Southey, d'être appelés les Poètes des Lacs (the Lake Poets) ou les Lakistes. C'est aussi à cette époque qu'il rencontre Sara Hutchinson, sœur de la future femme de William Wordsworth, qui sera le grand amour de sa vie sans que cette passion se concrétise jamais, les sentiments de Sara Hutchinson à l'égard de Coleridge demeurant ambigus. Coleridge lui consacrera de nombreux poèmes, dont le plus célèbre est "Love".
Depuis son retour d'Allemagne, ses opinions ont changé de façon surprenante ; en politique, de jacobin, il est devenu royaliste ; en religion, de rationaliste, il est devenu un fervent croyant du mystère de la Trinité. Aussi, il combat avec violence la Révolution française qu'il avait d'abord exaltée. Pour vivre, il accepte la direction du Morning-Post, dans les colonnes duquel il soutient la politique du gouvernement. Il en est récompensé par le titre de poète de la Cour et par une riche pension. Il passe neuf mois à Malte en tant que secrétaire du gouverneur, sir Alexander Ball, puis il visite l'Italie avant de revenir à Londres et à Bristol reprendre le métier d'homme de lettres et de conférencier. Une conférence sur Shakespeare est particulièrement remarquée.
En 1816, alors que sa dépendance à l'opium a encore augmenté, il devient pensionnaire du médecin James Gillman, à Highgate dans la banlieue nord de Londres. C'est là qu'il achèvera sa grande œuvre de prose, "la Biographia Literaria", mi-biographie, mi-recueil de critique littéraire. Il y meurt en 1834.
Coleridge Cottage à Somerset.
Coleridge Cottage est une maison située à Nether Stowey, Somerset en Angleterre. Elle a été construite au 17ème siècle et comprenait alors un salon, une cuisine et une salle de service au rez de chaussée, ainsi que trois chambres à l'étage.
En décembre 1796 le jeune Samuel Taylor Coleridge, son épouse Sarah et son fils David s'y installent pour trois ans.
C'est en ce lieu que le poète à écrit bon nombre de ses oeuvres dont "Fears in Solitude" (Craintes dans la solitude), "This Lime Tree Bower My Prison", "The Nightingale" (le rossignol), "Frost at Midnight" (Gel à minuit), la première partie de "Christabel" and "The Rime of the Ancient Mariner"(La complainte du vieux marin, ou le dit du vieux marin), avec de nombreuses références aux lieux alentours.
C'est également ici, qu'il a ébauché dans son sommeil suite à un abus d'opium, le poème qui deviendra "Kubla Khan".
En 1797, William Wordsworth et sa soeur Dorothy s'installent à Alfoxden à Stowey et passent le plus clair de leur temps chez Coleridge et son épouse. A la même époque, Charles Lamb est aussi un visiteur assidu.
Coleridge et Wordsworth étaient de fervents adeptes de sorties nocturnes, emportant avec eux des carnets et des tabourets pliants, ils parcouraient la campagne. C'est d'ailleurs à la suite d'une de ces sorties nocturnes, que Coleridge ébaucha ce qui allait devenir "The Rime of the Ancient Mariner" (La complainte du vieux marin ).
Ce comportement plutôt excentrique, les accents nordiques des ces "étrangers" ainsi que le teint foncé de Dorothy Wordsworth contribuèrent à l'apparition d'une rumeur : ils étaient des espions français ! Le ministère de l'intérieur de l'époque dut envoyer des hommes sur place pour en vérifier le bien fondé, et ils ne purent que conclure qu'en fait le petit groupe n'était pas constitué de fanatiques, mais de poètes bien inoffensifs.
Au 19ème siècle la maison a subi d'importants remaniements, et seules quatre pièces ont conservé leur état d'origine.
Ayant été utilisée pendant de nombreuses années en tant qu'auberge sous le nom de "Moore's Coleridge Cottage Inn", la maison a été rachetéé par l'Etat en 1908 et l'année suivante inscrite au National Trust. En mai 1998, à la suite d'un appel de fonds de £25,000, les "Amis de Coleridge" et le National Trust, ont pu restaurer deux pièces à l'étage et ainsi les proposer à la visite.
De nombreux souvenirs du poète sont exposés, son encrier massif, des mèches de ses cheveux ainsi qu'une correspondance bien fournie.
Des représentations du village du Devon où il est né, l'église où il s'est marié,la pièce où il est mort sont également visibles, ainsi que des images de ses connaissances, notamment Dorothy et William Wordsworth.
Le petit jardin à l'arrière de la maison possède toujours le laurier planté par Coleridge mais le tilleul mentionné dans un de ses poèmes a depuis longtemps disparu.
"Que reste-t-il de la vie, excepté d'avoir aimé ?"
Victor Hugo est né le 26 février 1802, à Besançon. Il est le dernier fils d’un général d’Empire, le comte Léopold Hugo. Sa mère, née Sophie Trébuchet, élève seule ses trois enfants à Paris, son mari s’éloignant au gré de ses obligations militaires, en Corse puis à l’île d’Elbe en 1803. Victor et ses frères passent leur enfance à lire et à se cultiver grâce aux bons soins maternels, notamment au parc des Feuillantines près duquel la famille Hugo s’est installée au mois de mai 1809. Celle-ci doit cependant quitter la France et suivre en Italie en 1808 le comte Léopold Hugo, nommé gouverneur d'Avellino par le roi Joseph Bonaparte, puis en Espagne en 1811.
Avec la chute de l’Empire, Léopold Hugo est de retour à Paris. Victor et son frère Eugène sont alors retirés à leur mère, séparée de fait depuis quelques années d’avec son mari, et placés à la pension Cordier. Selon les vœux paternels, ils se destinent à intégrer l’École Polytechnique. En 1816, Victor entre ainsi au Lycée Louis le Grand, délaissant parfois ses études pour rédiger des vers. Il obtient en 1818 une distinction en sciences physiques au Concours général. La même année, une procédure de divorce prononce enfin la séparation de corps et de biens des époux Hugo.
Encouragé par sa mère chez laquelle il peut enfin résider, Victor s’adonne alors aux lettres avec l’ambition de réussir. "Je serai Chateaubriand ou rien", écrit-il à l’âge de quatorze ans sur un cahier d’écolier. En 1817, il reçoit les encouragements de l’Académie Française, qui a remarqué l’un de ses poèmes. En 1819, le Lys d’or lui est décerné pour la rédaction d’une ode d’inspiration royaliste : le jeune homme milite pour le rétablissement de la statue d’Henri IV... Ce prix est la plus haute récompense décernée par l’Académie des Jeux floraux de Toulouse.
Au mois de juin 1822, Victor Hugo publie son premier volume intitulé "Odes et Poésies diverses". Cette œuvre le fait remarquer des cercles royalistes. Louis XVIII lui attribue une pension de mille francs, obtenue à la demande de la duchesse de Berry. Les années qui suivent sont très prolifiques pour l’écrivain. Les recueils de poèmes, "Nouvelles Odes" en 1824, "Ballades" en 1826, ainsi que les romans, "Han d’Islande" en 1823 et "Bug Jargal" en 1826 se succèdent. Charles X, le nouveau souverain, le fait chevalier de la Légion d’honneur en 1825, alors qu'il n'est âgé que de vingt-trois ans. La même année, l'écrivain pensionné et membre de la Société royale des bonnes lettres, assiste d'ailleurs au sacre du roi, qui a lieu le 29 mai en la cathédrale de Reims. Une ode rédigée pour l’occasion par le poète, chantre de l’alliance du trône et de l’autel, lui vaut un service de table en Sèvres ainsi qu’une entrevue avec le nouveau monarque.
Après le décès de sa mère hostile au projet de son fils, Hugo se marie le 12 octobre 1822 à Adèle Foucher, une amie d’enfance dont il s’est épris. L’écrivain est bientôt le père de quatre enfants. Se consacrant à son travail d’homme de Lettres, il se détourne peu à peu de ses obligations familiales et conjugales, s’éloignant de sa femme. Celle-ci se lie alors à son ami Charles Augustin de Sainte-Beuve, qui devient davantage qu’un consolateur amical auprès de la jeune épouse, à partir de 1830. Quelques années plus tard, en 1833, l'écrivain fait la connaissance de Juliette Drouet, une comédienne du Théâtre de la Porte Saint-Martin qu’il ne quittera plus.
"Poète du parti ultra" suivant le mot de Stendhal, ses convictions politiques évoluent au cours de ces années. Dès 1824, il fréquente le salon de Charles Nodier, à l’Arsenal où celui-ci est bibliothécaire, et se rapproche de l’opposition libérale. La mort de son père en 1828 réveille également son intérêt pour le passé napoléonien dont il découvre la grandeur. L'écrivain se prononcera d’ailleurs en faveur du retour en France de Louis-Napoléon Bonaparte, en d’autres temps, en 1847. Au mois de février 1827, le poète compose son ode "A la Colonne de la place Vendôme", un monument symbole de la gloire de l’Empereur des Français, fondu dans le bronze des canons pris aux armées prussiennes en 1806. Le 13 août 1829, Charles X fait interdire la représentation de sa pièce de théâtre "Marion Delorme" pour atteinte à la majesté royale. Victor Hugo refuse l’offre d’une pension royale de quatre mille francs, qui est censée le dédommager, et rompt alors avec le régime en place.
Son œuvre littéraire évolue également. Le drame de "Cromwell" en 1827 puis le recueil des "Orientales" au mois de janvier 1829 et leurs retentissantes préfaces en dessinent la nouvelle orientation. L’écrivain réclame d’avantage de liberté dans l’art et dans la création. Ceci est le prétexte de la bataille littéraire qui accueille la représentation du drame "Hernani", dont la première a lieu le 25 février 1830 au Théâtre-Français. Victor Hugo se présente alors comme le chef de file de la jeune génération romantique en animant le Cénacle, un cercle qui se réunit dans son appartement de la rue Notre Dame des Champs où se rencontrent les écrivains et les artistes de la jeune génération romantique. Parmi ceux-ci : Alfred de Vigny, Alfred de Musset, Gérard de Nerval, Eugène Delacroix… Le 23 novembre 1832, la censure royale s'exerce de nouveau à propos de sa nouvelle pièce de théâtre, "Le Roi s'amuse", représentée la veille sur la scène du Théâtre-Français.
Hugo est désormais un auteur à succès et s’illustre avec les poèmes publiés dans"Les Feuilles d’automne" en novembre 1831, "Les Chants du crépuscule"en 1835, "Les Voix intérieures" au mois de juin 1837 ainsi que dans "Les Rayons et les Ombres" en 1840. Ces recueils d'inspiration lyrique lui permettent de rivaliser auprès du public avec Alphonse de Lamartine, tandis que les représentations au théâtre de ses drames comme "Lucrèce Borgia", dont la première a lieu le 2 février 1833 à la Porte Saint-Martin, ou "Ruy Blas", en 1838 et avec Frédérick Lemaître dans le rôle titre, lui assurent de confortables revenus. Victor Hugo montre également ses préoccupations humanitaires dans "Le Dernier Jour d’un condamné" au mois de février 1829, puis "Claude Gueux" en juillet 1834, où il se fait le défenseur de l’abolition de la peine de mort. Une voix puissante et inspirée, mais trop isolée dans le siècle. Un nouveau roman, "Notre-Dame de Paris", publié le 16 mars 1831, connaît également un grand succès d’édition. Ce drame passionnel qui se noue autour de la personne d'Esméralda, cette redécouverte d’un passé médiéval mythifié et placé en toile de fond en font l’une des œuvres emblématiques du mouvement romantique. Le 7 janvier 1841, Hugo est enfin élu à l’Académie Française, après quatre échecs retentissants. C’est pour l'écrivain la consécration de sa gloire littéraire.
A cette époque, Victor Hugo entreprend également quelques voyages en compagnie de Juliette Drouet. Les deux amants visitent ensemble la Bretagne et la Normandie en 1836, puis la Belgique en 1837, l’Alsace et la Provence en 1839 et enfin les bords du Rhin l’année suivante. En 1842, l'écrivain publie à cette occasion un recueil de texte intitulé "Le Rhin", des impressions de voyage étoffées de quelques réflexions de circonstances. Laissant en effet de côté les polémiques qui opposent les milieux littéraires français et allemands, ce texte se conçoit comme un véritable programme de politique étrangère pour la France de la Monarchie de Juillet. Victor Hugo est ainsi favorable à l'unité allemande, celle-ci devant selon les vues de l'écrivain se réaliser au sein d'une Europe fédérale dont l'artère serait le Rhin, un axe franco-allemand.
Grâce à ses droits d’auteur, Hugo vit désormais avec de confortables revenus. Sa nouvelle demeure, située au 6 de la Place Royale (actuelle Place des Vosges) où il s’est installé au mois d'octobre 1832, est un lieu chic et mondain. Négociant habilement la publication de ses œuvres complètes, il vit dans l’aisance. A la différence de François-René de Chateaubriand, Hugo n’éprouve aucun regret pour le régime défunt, celui de la Restauration. Répondant à une commande du nouveau gouvernement, n’a t-il pas rédigé un "Hymne aux morts de juillet"en1831, exécuté au Panthéon lors de la célébration des "Trois Glorieuses" ?
A partir de 1837, l’écrivain est l’hôte assidu du duc d’Orléans, héritier du trône. Il se rapproche ainsi de la cour et se rallie bientôt à la Monarchie de Juillet. Le 13 avril 1845, le roi Louis-Philippe Ier le nomme Pair de France ce qui lui permet alors de siéger à la Chambre. Cependant, une nouvelle liaison avec une jeune femme mariée, Léonie d’Aunet, fait scandale. Les deux amants sont en effet surpris, le 5 juillet suivant, en flagrant délit d’adultère. Le prestige du notable en est éclaboussé, la jeune femme effectuera quant à elle deux mois de détention dans l'infamante prison de Saint-Lazare.
L’année 1843 amène de profonds bouleversement dans son existence. L’échec de sa nouvelle pièce de théâtre, "Les Burgraves", et surtout le décès accidentel de sa fille aînée Léopoldine, le 4 septembre, qui se noie avec son mari dans la Seine à Villequier, le touchent profondément. Au mois de novembre 1845, celui qui est un observateur attentif de la vie du peuple lors de ses promenades parisiennes entame un nouveau roman, qui devrait s’intituler "Les Misères". Victor Hugo noircit pendant cette période des centaines de feuilles de papier, autant de textes qui seront publiés par la suite, pendant ses années d'exil ainsi qu'au soir de sa vie.
Éloigné des problèmes politiques malgré ses fréquentations, la révolution de 1848 est pour l'écrivain une nouvelle commotion. Après avoir tenté de faire proclamer la régence de la duchesse d’Orléans, haranguant les ouvriers parisiens en armes place de la Bastille, le 24 février, il se rallie rapidement à la Seconde République. Le 2 mars suivant, Victor Hugo prononce d'ailleurs un vibrant discours Place des Vosges à l’occasion de la plantation d’un arbre de la liberté. Il appelle alors à vive voix l'avènement de la "République universelle". Le 4 juin 1848, lors d’élection complémentaire, l'écrivain est désigné comme député de Paris à l’Assemblée Constituante puis, le 13 mai 1849, à l’Assemblée Nationale avec l’appui des conservateurs. Au Palais-Bourbon, Hugo, prenant place sur les bancs de l’Assemblée, s’installe à droite.
Au cours des "Journées de Juin"pendant lesquelles le pouvoir réprime une insurrection populaire, à l'origine de laquelle se trouve la fermeture des Ateliers nationaux, le représentant du peuple, qui avait appelé à faire disparaître ces ateliers de charité quelques jours plus tôt, fait partie des soixante délégués chargés de tenir l'Assemblée au courant de la situation. Il préside également au mois d'août de la même année le Congrès de la paix qui se tient à Paris. Victor Hugo prononce à cette occasion un discours pacifiste qui connaît un grand retentissement en Europe. Fondateur d’un journal d’opinion, "L’Événement", avec ses deux fils et avec l'aide d'Émile de Girardin le 31 juillet 1848, il fait campagne pour l’élection à la présidence de la République de Louis-Napoléon Bonaparte. L’écrivain est alors le fervent partisan d’une démocratie libérale et sociale.
Cependant la vision qu’a Victor Hugo de sa mission d’homme politique a évolué au cours des derniers mois. Si le notable est toujours aussi effrayé par la violence utilisée par les agitateurs socialistes, par Adolphe Blanqui ou Armand Barbès notamment, il montre de plus en plus ses préoccupations humanitaires, s’inquiétant de la condition du peuple. Victor Hugo rompt bientôt avec la majorité conservatrice en prononçant des discours dénonçant la misère, le 9 juillet 1849, puis critiquant la loi Falloux, le 15 janvier 1850, ainsi que le vote de restrictions à la pratique du suffrage universel, le 20 mai suivant. "L’Événement" est d'ailleurs interdit au mois de septembre 1851.
Victor Hugo participe à l’opposition républicaine par le coup d’État du 2 décembre. Avec quelques autres députés républicains, il tente de former un comité de résistance, de soulever le peuple des faubourgs de la capitale après avoir lancé un appel à l'armée. En vain. Placé le 9 janvier 1852 sur la liste des proscrits et désormais interdit de séjour en France, il s’est exilé à Bruxelles depuis le 11 décembre précédent, voyageant muni d'un passeport au nom de Jacques-Firmin Lanvin. Les deux décennies de règne de Napoléon III seront pour l’écrivain et l’homme politique des années d’opposition et d’éloignement. Cet exil devient volontaire, après son refus de l’amnistie offerte par l’Empereur avec le décret du 16 août 1859.
Victor Hugo réside alors à proximité de la France, dans les îles Anglo-Normandes de la Manche. Dans sa villa de Marine-Terrace à Jersey, il s’initie aux "tables parlantes" grâce à Delphine de Girardin, épouse de l’homme de presse. Cependant, le 27 octobre 1855, l'écrivain est expulsé par les autorités après avoir protesté contre la visite de l'Empereur Napoléon III en Angleterre. Installé à Guernesey, il fait l’acquisition de Hauteville-House en 1856. Souffrant de la gorge et du froid, le proscrit se laisse pousser la barbe à partir de 1861. Dans les années qui suivent, sa famille s'éloigne de plus en plus fréquemment, afin notamment de s'occuper du devenir de ses contrats d'auteur. Sa femme, malade, le quitte bientôt et décède le 27 août 1868 à Bruxelles.
L'exilé rappelle régulièrement aux sujets de l'Empereur son existence. Membre du Comité de résistance au coup d'État, Victor Hugo fait entendre sa voix au moment de l'organisation d'un plébiscite le 21 novembre 1852 et destiné au rétablissement de la dignité impériale dans la personne de Louis-Napoléon Bonaparte. Il rédige pour l'occasion une lettre de protestation. L'année suivante, le 21 novembre 1853, l’écrivain fait également paraître "Les Châtiments", un pamphlet dirigé contre Napoléon III qu’il a précédemment surnommé "Napoléon-le-Petit". Son œuvre s’enrichit ensuite de romans qui constituent de véritables épopées humaines. "Les Misérables" publiés en 1862 sont un immense succès littéraire. Suivent "Les Travailleurs de la mer"en 1866 puis "L’Homme qui rit" en 1869. En 1859, un recueil de poèmes, "La Légende des siècles", qui vient après "Les Contemplations", s’inscrit dans cette veine d’inspiration.
Après la défaite de Sedan et la proclamation de la République, le 4 septembre 1870, Victor Hugo est de retour à Paris. Symbole vivant de la résistance républicaine au Second Empire, l'écrivain est accueilli en héros par la foule des Parisiens à la gare du Nord. Son "Appel aux Allemands", un texte maladroit et décalé, publié le 9 septembre suivant, n’ayant eu que peu d’effets sur les troupes ennemies, celles-ci entament un siège en règle de la capitale. Hugo participe alors à l’effort collectif de défense en distribuant les dividendes de ses droits d’auteur.
Élu député de la gauche républicaine dans la capitale le 8 février 1871, en seconde position après Louis Blanc mais devant Léon Gambetta, il démissionne quelques semaines plus tard, le 8 mars, peu satisfait de la volonté de restauration monarchique que montre l’Assemblée qui siège à Bordeaux. Victor Hugo n’approuve ni la paix signée le 1er mars 1871 ni l’accueil réservé à l'italien Giuseppe Garibaldi, celui-ci ayant pris part aux combats contre la Prusse aux côtés des Français. Se désolidarisant de l'aventure de la Commune, l'écrivain accueille néanmoins publiquement chez lui à Bruxelles, où il réside depuis le 22 mars, les communards réfugiés pendant la répression versaillaise.
Expulsé de Belgique, Victor Hugo se rend alors à Vianden au Luxembourg voisin. Il évoque bientôt les événements dramatiques de ces derniers mois dans "L’Année terrible", publiée en 1872. Le 7 janvier de la même année, l'écrivain est battu lors d'une élection législative partielle. Il lui faudra attendre quatre années et le 30 janvier 1876 pour retrouver sous la Troisième République un siège de parlementaire, en étant élu sénateur de Paris. Il milite alors au sein de l'assemblée pour l'amnistie des communards, celle-ci intervenant le 11 juillet 1880.
Entre temps, Hugo fait éditer de nouvelles œuvres. 1874 voit la parution de son dernier roman, "Quatre-vingt treize", dédié à la Révolution française et à la Convention. Des textes écrits le plus souvent pendant les années d’exil à Guernesey paraissent également : "L’Art d’être grand-père" au mois de mai 1877, "La Pitié suprême" en 1879, "Torquemada"en 1882, "L’Archipel de la Manche" au mois d’octobre 1883.
Cependant la santé du patriarche se détériore. Une congestion cérébrale qui le terrasse le 28 juin 1878 le laisse diminué. L'écrivain délaissera maintenant l'écriture, se contentant de mettre en forme et de publier ses productions inédites. En 1881, le nouveau régime "installé" fête son entrée dans sa quatre-vingtième année, ce qui donne lieu à une grande célébration populaire, le 27 février. L'avenue d'Eylau, dans la partie où il est installé depuis 1879, porte dorénavant son nom. Juliette Drouet décède le 11 mai 1883, Victor Hugo le 22 mai 1885 à 13 h 27 minutes, des suites d’une congestion pulmonaire.
La Troisième République lui offre alors des funérailles nationales. Celles-ci se déroulent le 1er juin suivant et sont l’occasion d’un vaste rassemblement populaire autour d’une des gloires nationales. La veille de l’événement, un immense catafalque stationné sous l’Arc-de-Triomphe permet à la foule de venir se recueillir pendant la nuit auprès du grand homme. Le corbillard des pauvres, que celui-ci a demandé dans son testament rédigé le 2 août 1883, s’élance enfin, suivi par un interminable cortège composé de deux millions d'admirateurs et de badauds. Il conduit le corps de Victor Hugo au Panthéon.
Villequier la maison de Léopoldine.
Le 4 septembre 1843, la fille aînée de Victor Hugo, Léopoldine, qui vient d'avoir 19 ans, se noie avec son mari, Charles Vacquerie, entre Caudebec et Villequier. Ils essayaient un canot neuf et rentraient vers la propriété des parents de Charles. Les Vacquerie, riches armateurs havrais, descendants de pilotes, venaient de se faire construire sur la terre de leurs ancêtres "au pied d'une montagne chargée d'arbres, une maison de briques couverte de pampres verts", celle-ci domine les habitations de ce village situé sur la rive droite de la Seine.
Comment la fille du plus grand poète français du XIXème siècle est-elle venue chercher un époux en Normandie où ce jeune ménage trouva la mort six mois après son mariage ?
Pour le comprendre, il faut se rappeler l'extraordinaire ascendant exercé sur la jeunesse par le chef de file des Romantiques, Victor Hugo, depuis la célèbre bataille d'Hernani en 1830.
La famille Vacquerie comptait trois enfants :
- Marie Arsène (Madame Lefèvre), qui seule aura une descendance
- Charles, le futur époux de Léopoldine
- Auguste, si brillant au Collège Royal de Rouen que les émissaires de la pension Favart de Paris, vinrent solliciter de son père l'honneur de le compter parmi leurs élèves. Les collégiens suivaient les cours du Lycée Charlemagne. Mais pour Auguste, "Paris, c'était surtout Hugo".
Aussi vint-il en 1837 demander à celui-ci l'autorisation de faire jouer Hernani pour la Saint Charlemagne. Bientôt suivi de son inséparable ami, Paul Meurice, Auguste entra très vite dans l'intimité du Maître, puis de sa famille, et bien entendu il s'éprit de la fille aînée du poète. Nous en retrouvons l'écho dans les vers de l'Album que Léopoldine, comme toute jeune fille romantique, présentait à ses amis : "Votre jeune beauté me tient".
Auguste n'eut donc de cesse que sa mère invitât à Villequier Madame Hugo et ses quatre enfants, à venir y faire un séjour l'été 1839. Pour la famille Vacquerie, c'était un honneur un peu redoutable. La correspondance qui a été conservée en témoigne. Mais, ô surprise, Léopoldine préféra Charles à Auguste, et le pauvre de s'épancher plus tard : "Ainsi, c'était pour lui que tu venais au monde".
La propriété, dont le jardin au XIXème siècle descendait jusqu'à la Seine, demeura dans la famille Vacquerie jusqu'en 1951. Madame Pierre Lefèvre-Vacquerie vendit alors, à la commune de Villequier, le terrain des anciennes écuries et bibliothèques, qui, bombardées le 29 août 1944, ont fini par être démolies pour faire place aux parkings actuels, tandis que le Conseil Général de la Seine Inférieure, sous l'impulsion du Président André Marie et de Maurice Collet, Maire de Caudebec, votait l'achat de la maison pour y installer un musée Victor Hugo.
Monsieur Robert Flavigny, architecte et conservateur des Musées Départementaux, remit en état le pauvre immeuble qui avait terriblement souffert de la guerre et acheta des éditions rares, des autographes et des dessins de Victor Hugo.
La maison Vacquerie fut inaugurée par le Préfet, Monsieur Robert Hirsch le 15 novembre 1959. Hélas, quinze jours après l'inauguration, le remarquable conservateur mourait. Mais cela n'arrêta pas, comme on aurait pu le craindre, le développement de la nouvelle institution.
En effet, Madame André Gaveau, née Lefèvre-Vacquerie, manifesta immédiatement sa bienveillance au jeune musée en renouvelant, de 1959 à 1976, à 17 reprises, des donations de mobilier et d'oeuvres jadis conservées dans la maison de campagne de son enfance, sculptures, peintures, dessins et autographes inédits, sans parler de l'Album de Léopoldine. Grâce à elle, la salle à manger, le salon, le billard et les chambres s'animèrent, la maison était redevenue vivante.
Mais sans le drame du 4 septembre 1843, il n'aurait pu être question d'y créer un musée. Il convenait donc qu'on y trouvât d'abord l'évocation de Léopoldine. C'est ce que comprit immédiatement Pierre Georgel, lorsqu'il franchit pour la première fois le seuil de la maison Vacquerie en 1966. L'année suivante était organisée la première exposition qui lançait le musée : "Léopoldine Hugo, une jeune fille romantique". Cette manifestation fut doublement bénéfique. D'une part le catalogue de Pierre Georgel demeure le meilleur travail concernant la fille aînée de Victor Hugo, et d'autre part plusieurs prêteurs, notamment, se muèrent, eux aussi, en donateurs. Ainsi le musée s'enorgueillit-il de pièces ayant appartenu jadis à Victor Hugo, à son beau frère, Paul Foucher, et à ses disciples Paul Meurice et Auguste Vacquerie.
Dès l'entrée, le visiteur comprend que Léopoldine est le personnage premier de la maison : de sa naissance à sa survie dans l'oeuvre de son père, principalement dans les"Contemplations", ces "mémoires d'une âme" comme Victor Hugo les définit lui même.
Léopoldine vint au monde le 28 août 1824, après la mort du premier enfant qui n'avait pas vécu, "grosse fille aussi vivace que notre pauvre Léopold était débile"écrit le jour même de sa naissance le poète à son père, le Général Hugo.
De sa vie, nous savons tout ou presque, grâce aux lettres conservées à Villequier chez les Lefèvre-Vacquerie. Ils en ont fait au jeune musée le don royal. Ces 134 lettres représentent plus de la moitié de la correspondance de Léopoldine actuellement connue et publiée en 1976 par Pierre Georgel.
Ce sont d'abord celles de la petite enfance, adressées à Louise Bertin, la fille du fondateur du journal des Débats. La famille Hugo séjournait souvent dans la propriété de leurs amis au château des Roches, paradis pour les quatre enfants.
"Quelquefois je voyais de la colline en face,Mes quatre enfants jouer, tableau que rien n'efface ! Et j'entendais leurs chants. Emu je contemplais ces aubes de moi même Qui se levaient là bas dans la douceur suprême Des vallons et des champs"
Les années heureuses sont ainsi chantées dans maints poèmes des Contemplations dont la quatrième partie, Pauca meae, est consacrée à sa fille aînée.
"Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin De venir dans ma chambre un peu chaque matin; Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère; Elle entrait, et disait: Bonjour, mon petit père ; Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait, Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe."
"Elle était pâle, et pourtant rose, Petite avec de grands cheveux. Elle disait souvent : je n'ose, Et ne disait jamais : je veux.
Le soir, elle prenait ma Bible Pour y faire épeler sa soeur, Et, comme une lampe paisible, Elle éclairait ce jeune coeur."
Mais le temps des jeux est passé. Léopoldine, qui ne professait guère de goût pour l'école, va bientôt obtenir l'autorisation de travailler chez elle. Depuis 1832, la famille habite un hôtel particulier, place Royale (devenue place des Vosges) où s'est installé l'actuel musée Victor Hugo.
Son Cahier de dictées où alternent des textes de Victor Hugo avec ceux de Sainte Beuve, ainsi que Paul et Virgine de Bernardin de Saint-Pierre, dédicacé par celui-ci à la petite fille, sont conservés à Villequier.
En 1836 elle fait sa première communion à Fourqueux. Châtillon peint la cérémonie, si sa célèbre toile est exposée dans le musée de la place des Vosges, le dessin de l'église par André Durand et son cachet de confirmation appartiennent au musée Villequier.
Cependant le moment vient où l'enfant devient une jeune fille. Elle commence à s'intéresser à la vie parisienne, c'est Mademoiselle Hugo qui sort, va à l'Opéra, au bal chez Madame Charles Nodier. Elle assiste aux pièces de son père à la Comédie Française, à son entrée sous la Coupole en 1841.
Tout cela, elle le raconte dans ses lettres à sa tante et amie, Julie Foucher (jeune soeur de Madame Hugo), mais presque sa contemporaine. Julie qui avait perdu sa mère était pensionnaire à la Légion d'Honneur à Saint Denis, où elle ne s'amusait guère. Léopoldine qui a bon coeur, essaie de l'en faire sortir le plus souvent possible et pense lui faire plaisir par le récit de ses mondanités.
Mais les effusions de tendresse les plus grandes sont entre le père et la fille. En 1837, il lui écrit d'Etaples près de Boulogne :
"J'ai cueilli pour toi cette fleur dans la dune. Et puis mon ange, j'ai tracé ton nom sur le sable, Didi. La vague de la haute mer l'effacera cette nuit, mais ce que rien n'effacera, c'est l'amour que ton père a pour toi".
Elle, de son côté, lui fait part de ses découvertes et de ses émerveillements.
Quand, répondant à l'invitation d'Auguste Vacquerie, Madame Victor Hugo et ses quatre enfants découvrent la Normandie en 1839, nous trouvons sous la plume de Léopoldine ces notations vibrantes :
"J'éprouve le besoin de te parler de toutes les merveilles que j'ai vues. Tu les a comprises si complètement toi, que tu comprendras bien aussi l'admiration que j'ai ressentie. Toutes les rives de la Seine sont si belles que pendant la traversée nous n'avons pas eu un instant d'ennui... Nous avons ensuite admiré Rouen et ses belles églises, sa cathédrale surtout que j'aurais visitée complètement. Je t'ai remercié dans le fond de mon coeur, mon père chéri, car c'est toi qui nous a appris à apprécier et à jouir des belles choses. La Seine borde le jardin de Monsieur Vacquerie. C'est une bien charmante maison que celle-ci, elle le serait bien d'avantage si tu l'habitais avec nous."
Victor Hugo effectuait alors son voyage annuel avec sa maîtresse Juliette Drouet.
C'est lors de ce séjour de près d'un mois, que naquirent les amours de Léopoldine et du frère aîné d'Auguste, Charles. Amours encouragés secrètement par Adèle, mais d'abord cachés à Victor et peu appréciés de lui ensuite. On peut supposer que cette alliance provinciale semblait au grand homme indigne de sa fille et surtout de lui, et puis elle vient d'avoir tout juste 15 ans.
A Villequier, Lépoldine fait donc la connaissance de sa future belle famille que nous pouvons évoquer grâce aux peintures et dessins, oeuvres de jeunes artistes romantiques, amis d'Auguste et des Hugo, Châtillon, Louis Boulanger, David d'Angers..
Victor Hugo retardait donc le plus possible l'échéance, pour lui terrible, du mariage de sa fille. Auguste, généreusement, pressait les siens de faire une situation à Charles dans l'affaire familiale, pour ne pas donner prétexte aux atermoiements du poète. La date du 15 février 1843 fut finalement retenue. Mais le mariage eut lieu dans l'intimité, la famille Vacquerie étant en grand deuil (Marie Arsène venait de perdre un de ses jumeaux Paul Léon et son mari Nicolas). La cérémonie eut lieu à 9 heures du matin dans la chapelle des catéchismes de Saint Paul - Saint Louis, église paroissiale de la Place Royale, et le soir un dîner groupa une vingtaine de convives.
Victor Hugo avait composé pendant la messe le poème qu'il envoya à sa fille le lendemain, poème conservé chez les Vacquerie et donné par Jean Lefèvre-Vacquerie au musée en 1967 :
"Aime celui qui t’aime, et sois heureuse en lui. — Adieu ! — sois son trésor, ô toi qui fus le nôtre ! Va, mon enfant béni, d’une famille à l’autre. Emporte le bonheur et laisse-nous l’ennui !
Ici, l’on te retient ; là-bas, on te désire. Fille, épouse, ange, enfant, fais ton double devoir. Donne-nous un regret, donne-leur un espoir, Sors avec une larme ! entre avec un sourire !"
De l'existence brillante et facile que menait à Paris, Mademoiselle Hugo, Madame Charles Vacquerie passe sans transition au Havre où elle connaît l'ennuyeuse oisiveté de la vie provinciale à cette époque.
Le jeune ménage dispose d'une simple chambre chez Madame Lefèvre, il faut faire des économies. Comme il y a des domestiques, Léopoldine n'a rien à faire dans la maison, et les Vacquerie étant en grand deuil, on ne peut guère sortir...
Son occupation principale consiste donc à écrire quotidiennement à sa mère de longues missives, elle lui parle de "son bonheur si longtemps attendu", lui réitère les témoignages de sa touchante affection, et lui conte par le menu ses recherches d'une maison, afin qu'avec ses frères et sa soeur elle vienne passer l'été près d'elle. Quant à Victor Hugo, il se contentera de venir embrasser sa fille avant de partir pour l'Espagne avec Juliette Drouet.
Lorsqu'Adèle et ses enfants sont là, on ne se quitte plus guère... Cependant le jeune ménage est invité à aller passer quelques jours de septembre chez Madame Vacquerie mère à Villequier.
Les promenades en bateau à voile étaient une des grandes attractions de ces séjours au bord de la Seine. Il s'agissait, ce lundi 4 septembre, d'essayer un canot neuf de l'oncle Vacquerie qui s'en allait à Caudebec pour traiter une affaire notariale.
L'aller se passa sans encombres. Mais ce canot était mal gréé. Au retour, le notaire peu confiant sans doute dans les talents de navigateur de Pierre Vacquerie, se fit débarquer avant Villequier.
Soudain, dans la courbe du fleuve, au lieu dit "le dos d'âne" sous une rafale de vent, la barque chavira, les pierres dont on l'avait lestée malencontreusement à Caudebec roulèrent toutes du même côté, les quatre passagers (l'oncle Pierre, son jeune fils Artus, Charles et Léopoldine) tombèrent à l'eau.
Charles excellent nageur, essaya désespérément de sauver sa femme empêtrée dans les voiles, mais n'y parvenant pas, se laissa couler avec elle, cependant que Madame Vacquerie mère, des jumelles à la main, inquiète du retard excessif, scrutait en vain l'horizon, comme l'a conté au Journal Le Figaro en 1885, Austreberthe Souday, l'ancienne servante de Madame Vacquerie.
Ce naufrage qui avait fait d'un seul coup quatre morts, sema la consternation dans le village. Les jeunes époux furent enterrés dans un même cercueil.
Prévenue par la lettre bouleversée et bouleversante de Madame Vacquerie, Adèle s'enfuit directement chez son père Pierre Foucher, avec sa seconde fille en attendant le retour de son mari parti depuis deux mois.
C'est dans le café de l'Europe à Rochefort, que celui-ci fut foudroyé par la nouvelle en ouvrant le journal Le Siècle, le 9 septembre, donc cinq jours après le drame. Il mettra encore trois autres journées pour regagner Paris, par Orléans où l'on hissera la diligence sur le train.
Le seul faire part connu à l'heure actuelle appartient au musée de Villequier.
Sa douleur, et parfois son remords, s'épanchèrent les années suivantes dans les vers des Contemplations.
Oh ! je fus comme fou dans le premier moment, Hélas ! et je pleurai trois jours amèrement. Vous tous à qui Dieu prit votre chère espérance, Pères, mères, dont l'âme a souffert ma souffrance, Tout ce que j'éprouvais, l'avez-vous éprouvé ? Je voulais me briser le front sur le pavé ; Puis je me révoltais, et, par moments, terrible, Je fixais mes regards sur cette chose horrible, Et je n'y croyais pas, et je m'écriais : Non ! -- Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom Qui font que dans le coeur le désespoir se lève ? -- Il me semblait que tout n'était qu'un affreux rêve, Qu'elle ne pouvait pas m'avoir ainsi quitté, Que je l'entendais rire en la chambre à côté, Que c'était impossible enfin qu'elle fût morte, Et que j'allais la voir entrer par cette porte !
Oh ! que de fois j'ai dit : Silence ! elle a parlé ! Tenez ! voici le bruit de sa main sur la clé ! Attendez! elle vient ! laissez-moi, que j'écoute ! Car elle est quelque part dans la maison sans doute !
Il est temps que je me repose ; Je suis terrassé par le sort. Ne me parlez pas d'autre chose Que des ténèbres où l'on dort !
Mais l'année suivante, la première et la dernière strophe de Demain dès l'aube, respirent un certain apaisement :
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Le plus célèbre est sans contredit le long poème intitulé "A Villequier"
Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres, Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux ; Maintenant que je suis sous les branches des arbres, Et que je puis songer à la beauté des cieux ;
......
Maintenant que je puis, assis au bord des ondes, Emu par ce superbe et tranquille horizon, Examiner en moi les vérités profondes Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon ;
......
Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire ; Je vous porte, apaisé, Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire Que vous avez brisé ;
......
Victor Hugo voudra célébrer plus tard en un long poème, ce gendre héroïque qu'il avait jadis méprisé :
Il ne sera pas dit que ce jeune homme, ô deuil ! Se sera de ses mains ouvert l'affreux cercueil Où séjourne l'ombre abhorrée, Hélas ! et qu'il aura lui-même dans la mort De ses jours généreux, encor pleins jusqu'au bord, Renversé la coupe dorée,
Et que sa mère, pâle et perdant la raison, Aura vu rapporter au seuil de sa maison, Sous un suaire aux plis funèbres, Ce fils, naguère encor pareil au jour qui naît, Maintenant blème et froid, tel que la mort venait De le faire pour les ténèbres ;
Il ne sera pas dit qu'il sera mort ainsi, Qu'il aura, coeur profond et par l'amour saisi, Donné sa vie à ma colombe, Et qu'il l'aura suivie au lieu morne et voilé, Sans que la voix du père à genoux ait parlé A cet âme dans cette tombe !
Le triste voyage de Victor Hugo et de Juliette s'inscrivait dans une tradition vieille de dix ans. Il avait fait la connaissance de cette ravissante actrice en 1833, lorsqu'elle tenait le petit rôle de la Princesse Negroni dans Lucrèce Borgia. Adèle, attirée par Sainte Beuve, s'étant éloignée de son mari, Victor se consola avec Juliette qui devait se révéler une des plus fidèles et des plus nobles amoureuses de l'humanité. Pour lui, elle quitta le riche Prince Demidoff, et accepta une vie de recluse, dans l'ombre de la famille Hugo. La seule compensation aux exigences tyranniques du poète était ce grand voyage estival où durant plusieurs semaines consécutives "allant de patache en coucou" ils visitaient en détail une région nouvelle.
Cette Normandie qui lui avait enlevé sa fille, Victor Hugo lui reste particulièrement attaché. L'auteur dramatique s'est tu depuis la chute des Burgraves qui avait coïncidé avec la mort de Léopoldine. Malgré, ou à cause de ces épreuves, les années qu'il vit jusqu'à la Révolution de 1848 sont très agitées sentimentalement et actives politiquement. Dans le domaine personnel, c'est le scandale du flagrant délit d'adultère avec Madame Biard en 1845. Celle-ci est incarcérée, le poète, lui, grâce à sa nomination toute récente de pair de France, échappe à l'emprisonnement.
En 1846, soit trois ans après la mort de Léopoldine, Victor Hugo vient se recueillir sur sa tombe à Villequier où sa femme a pris l'habitude de venir chaque automne depuis 1844. Tandis que le ménage Hugo loge chez ses amis Vacquerie, Juliette se cache à l'hôtel du Commerce à Caudebec , mais elle rejoindra deux fois son bien aimé sur la tombe de la chère Didine à laquelle elle était si attachée. Les deux amants associaient son souvenir à celui de Claire, la fille que Juliette avait eue avec le sculpteur James Pradier, et qui elle aussi était morte à 20 ans en 1846.
Quoi donc ! la vôtre aussi ! la vôtre suit la mienne ! O mère au coeur profond, mère, vous avez beau Laisser la porte ouverte afin qu'elle revienne, Cette pierre là-bas dans l'herbe est un tombeau !
La mienne disparut dans les flots qui se mêlent ; Alors, ce fut ton tour, Claire, et tu t'envolas. Est-ce donc que là-haut dans l'ombre elles s'appellent, Qu'elles s'en vont ainsi l'une après l'autre, hélas ?
......
Quel âge hier ? Vingt ans. Et quel âge aujourd'hui ? L'éternité. Ce front pendant une heure a lui. Elle avait les doux chants et les grâces superbes ; Elle semblait porter de radieuses gerbes ; Rien qu'à la voir passer, on lui disait: Merci ! Qu'est-ce donc que la vie, hélas ! pour mettre ainsi Les êtres les plus purs et les meilleurs en fuite ? Et, moi, je l'avais vue encor toute petite. Elle me disait vous, et je lui disais tu.
.....
Puis ce seront après la Révolution de 1848, les trois années de troubles politiques auxquels il est mêlé. Elu député de Paris, avec 86 965 voix alors que Louis Bonaparte n'en avait eues que 84 420. Mais les évènements s'aggravent, Victor Hugo est pourchassé et sa famille quitte l'appartement de la place Royale, envahi par les émeutiers.
Lors du coup d'état du 2 décembre 1851, il échoue dans sa tentative de soulèvement du peuple de Paris contre le Prince Président. Recherché par la police, il doit son salut à Juliette qui lui procure un passeport pour la Belgique et il passe la frontière déguisé en ouvrier. L'exil commençait, il devait durer autant que le Second Empire, soit dix huit ans.
Je tiens à remercier particulièrement les auteurs de ces blogs qui m'ont permi très gentiment d'utiliser certaines de leurs photographies. Bonne visite dans leur univers.
"Celui qui tue un homme tue un être raisonnable créé à la ressemblance de Dieu, mais celui qui détruit un bon livre anéantit la raison elle-même"
Le père de John Milton est un notaire puritain qui écrit des madrigaux pour la reine Elizabeth Ire. Il s’installe à Londres aux alentours de 1583, pour avoir caché son protestantisme car son propre père, Richard Milton, riche propriétaire du comté d’Oxford et dévot catholique, l’a déshérité. Vers 1600, le père du poète épouse Sara Jeffrey et John Milton naît le 9 décembre 1608 à Cheapside, Londres.
John Milton commence à écrire dès l’âge de dix ans. Puis, il débute ses études à l’école de St Paul's à Londres. À cette époque, Milton se destine au ministère du culte anglican et pour cela, il se montre très assidu dans ses études. Il est admis le 12 février 1625 au Christ’s College de Cambridge. Cette période à Cambridge, de 1625 à 1632, est plutôt tumultueuse. Il s'avère en profond désaccord avec son directeur d’étude William Chappel, peut-être pour avoir été fouetté par lui. Milton est temporairement révoqué durant un trimestre, de janvier à mars 1626. À son retour, le 19 avril 1626, il se voit attribuer un nouveau directeur d’études qu’il garde jusqu’à la fin de ses années d’université. Il obtient son diplôme "cum laude", c'est-à-dire avec les félicitations du jury, le 3 juillet 1632. Durant cette période, Milton écrit plusieurs poèmes en latin et des lettres en prose, et donne des cours d’hébreu au théologien américain Roger Williams en échange de cours de néerlandais.
Manifestement, les expériences de Milton à Cambridge n’ont pas été particulièrement fructueuses et ont contribué pour une bonne part à ses vues sur l’éducation. Après l’obtention de son diplôme, John Milton va vivre pendant six ans, de 1632 à 1638, dans la maison de ses parents à Hammersmith, puis à Horton dans une retraite studieuse. Il approfondit ses connaissances en grec et en latin, mais aussi en hébreu, en français, en espagnol, en italien et en vieil anglais, et dans des disciplines anciennes ou modernes comme la théologie, la philosophie, l’histoire, la politique, les lettres, la science, pour préparer sa future carrière de poète. Il acquiert ainsi une formidable érudition et rédige plusieurs œuvres importantes en prose comme en poésie. Il publie son premier poème en 1632. C’est durant cette période que Milton va progressivement abandonner son projet de prêtrise et que s'affirme sa vocation de poète.
Après la mort de sa mère en avril 1637, Milton envisage, comme il est alors d’usage chez les jeunes gens de bonne famille, de partir en voyage sur le continent, en France et en Italie, puis de retourner à Londres pour continuer ses études et donner des cours privés. Il embarque donc pour la France au début de l’année 1638, passe par Paris et Nice, puis arrive en Italie où il visite de nombreuses villes, Gènes, Pise, Florence, Sienne, Rome, Naples, Venise... Il rencontre nombre de personnalités célèbres et d'influence, dont le cardinal Francesco Barberini, mais aussi l’astronome Galilée dont la condamnation renforce l’attachement que Milton porte aux libertés religieuses de son pays. Milton, informé des prémices de la guerre civile qui gronde en Grande-Bretagne, se décide à rentrer en passant d’abord par Genève.
À son retour, Milton devient le professeur privé de ses neveux mais aussi de plusieurs enfants de la haute noblesse. Il écrit d’ailleurs un traité sur l’éducation en 1644. Parallèlement à cette activité, immergé dans la controverse religieuse, il rédige cinq pamphlets contre la hiérarchie de l’Église qui le font connaître et attirent sur lui l’ire des défenseurs du clergé.
En mai ou en juin 1642, John Milton se marie avec Mary Powell dont le père est débiteur de John Milton senior. La différence d’âge (16 et 33 ans), le caractère sévère et introverti de Milton, les opinions royalistes de la famille Powell sont autant de facteurs qui peuvent expliquer la fuite de Mary après seulement un mois de mariage. Celle-ci profite, en effet, d’une visite chez ses parents pour ne plus revenir au domicile conjugal. Milton va alors écrire The Doctrine and Discipline of Divorce (La doctrine et la discipline du divorce) où il défend la légalisation et la moralité du divorce, ce qui lui attire les foudres de nombre de ses contemporains (la loi anglaise sur le mariage, inchangée ou presque depuis le Moyen Âge catholique, n’acceptant le divorce que pour stérilité). Face à la virulence de ses détracteurs et contre la censure qui s’applique à ses pamphlets, il écrit Areopagitica : A speech of Mr John Milton for the liberty of unlicensed printing to the Parliament of England ( Aeropagitica : Discours de Mr John Milton au Parlement de l'Angleterre pour la liberté de libre publication) qui s’attaque à une loi autorisant la censure instituée un an plus tôt. Mary et John se réconcilient en 1645 et la famille Powell emménage tout entière chez le couple. Mary donne le jour à quatre enfants : Anne, Mary, John (mort à l'âge de 15 mois) et Deborah. Malgré leur première séparation, l'entente semble avoir règné dans la famille. Mary, cependant, décède prématurément à l'âge de 26 ans en 1652. C’est à cette époque aussi qu’apparaissent chez Milton les premiers signes d’une faiblesse oculaire due sans doute à un glaucome qui le rendra progressivement aveugle.
La victoire parlementaire et le procès du roi Charles Ier à la fin de l’année 1648 et au début de l’année 1649 donnent à Milton l’espoir de voir émerger une plus grande liberté. Il apporte son soutien à un régime parlementaire et argumente en défaveur du roi dans The Tenure of Kings and Magistrates(Le mandat des rois et des magistrats). Cette œuvre en prose ne prône pas ouvertement le régicide mais le soutient implicitement. Sa réputation politique et son érudition le font connaître du parlement qui le nomme, le 15 mars 1649, Secrétaire d’État aux langues étrangères. Il est chargé des relations épistolaires avec les puissances étrangères et du compte-rendu des communications relatives à ce ministère au parlement. Plus tard, il est également conduit à exercer des fonctions de censeur.
Son poste est important dans la mesure où la jeune République tient à se faire reconnaître diplomatiquement en Europe. Milton a aussi la charge de rédiger des ouvrages de propagande en faveur du régime. Le premier écrit sur commande est Eikonoklastes de 1649 qui répond à un ouvrage en faveur du roi, "Eikon Basilike", dont la popularité croissante inquiète le Conseil d’État. Une autre commande, Pro Populo Anglicano Defensio (Pour la défense du peuple anglais), écrite en 1651, est rédigée en réponse à l’ouvrage de Claude Saumaise publié par la famille royale en exil, Defensio regia pro carolo I. Ces ouvrages déclenchent de nombreuses réactions en Europe et les défenseurs de la Maison des Stuart n’hésitent pas à affirmer que la cécité qui touche Milton est une punition divine due à ses prises de position et à son mode de vie dissolu.
Sa cécité le contraint à progressivement diminuer son activité et l’importance de son poste s'en trouve réduite. Pour l'aider dans ses travaux, il bénéficie désormais d’assistants dont le jeune poète Andrew Marvell. John Milton reste en poste jusqu’à la fin de l’année 1659, après la mort d’Oliver Cromwell et la démission de son fils Richard. Face à la dégradation de la situation politique et à l’émergence d’une tendance au retour à la monarchie, il écrit plusieurs ouvrages pour défendre la cause de la liberté et dénoncer les dangers d’un État religieux.
À la Restauration, malgré l’autodafé que subissent ses livres, Milton n’est, dans un premier temps, pas inquiété. En octobre 1660, cependant, il est arrêté et emprisonné à la Tour de Londres où il reste jusqu’au 15 décembre. Ses amis, dont Andrew Marvell, alors membre du Parlement, interviennent pour obtenir sa libération.
Sa seconde femme, Katherine Woodcock, épousée en 1656, et leur fille meurent toutes deux au début de l’année 1658. Milton vit alors seul avec les trois filles de son premier mariage jusqu’en février 1663 où il se marie avec Elisabeth Minshull. En 1662, son notaire ayant fait faillite, il perd tous ses biens. Milton va vivre ses dernières années dans un certain dénuement, consacrant son temps à une retraite vouée à l’étude, à la dévotion et à la rédaction de ses œuvres les plus célèbres. Milton voit sa santé s'altérer mais reste intellectuellement actif. Il reçoit encore la visite de divers dignitaires étrangers, d’amis et de connaissances, mais ces rencontres s’espacent de plus en plus. Il se fait faire la lecture et dicte ses œuvres à ses assistants dont ses deux plus jeunes filles, Mary et Deborah.
Son chef d’œuvre, le poème épique Paradise Lost (Le Paradis perdu) est publié en 1667 mais ne rencontre pas immédiatement le succès ; il faut attendre 1688, une dizaine d’années après la mort de Milton, pour que le poème soit largement reconnu. Il publie également en 1670, son History of Britain (Histoire de la Grande-Bretagne) puis en 1671Paradise Regained (Le Paradis retrouvé) et encore Samson Agonistes, toutes, des œuvres poétiques majeures. En 1674, paraît la seconde édition de Paradise Losten douze livres. John Milton meurt le 8 novembre de cette même année.
À cause de sa cécité, Milton s'est astreint à mémoriser de vastes pans de ses œuvres pour en poursuivre l'agencement et aussi les réciter. C'est là une prouesse qu'il est possible de mesurer à l'aune de leur complexité.
Malgré l’étendue de l’érudition de Milton, certaines influences cruciales sur sa création poétique peuvent être décelées. La Bible en a constitué le premier matériau, en particulier la Genèse, le livre de Job, les psaumes, le Nouveau Testament, ce dernier pour les Sonnets. Des poètes comme Homère, Virgile ou Lucain, l’historien Salluste apparaissent aussi en filigrane dans ses vers. De plus, si la culture classique de Milton reste prépondérante, on retrouve chez lui des traces de ses contemporains, Edmund Spenser, Sir Philip Sidney, John Donne et William Shakespeare. Certains commentateurs ont émis l'idée qu’il cherchait à revivifier dans les conversations d’Adam et Ève les figures de style employées par des poètes chevaliers tels que John Wilmot, comte de Rochester et Sir John Suckling.
La carrière littéraire de Milton a éclipsé la poésie des XVIIIe siècle et XIXe siècles, si bien qu’on l’a souvent préféré à tous les grands poètes anglais, y compris Shakespeare. On peut citer l'épopée de Lucy Hutchinson sur la chute de l’humanité,Ordre et désordre, et l’opéra de John Dryden, L’état d’innocence et la chute de l’homme, comme exemples de son influence immédiate dans le champ culturel.
Le projet inégalé du Paradis perdu dresse le portrait de Dieu justifiant ses actes. Le poème dépeint aussi la création de l'univers, de la terre, et de l'humanité ; il exprime l'origine du péché, la mort et le Mal, imagine des évènements dans le royaume des cieux, le jardin d'Eden et l'histoire sainte d'Israël ; il aborde et discute les idées politiques de tyrannie, liberté et justice ; il défend les idées théologiques de Milton sur la prédestination, le libre arbitre et le salut.
L'influence de Milton sur le romantisme a été très profonde. John Keats, cependant, trouvait le joug de son style trop difficile à porter. Il ajoutait que le Paradis perduétait une belle et grandiose curiosité. Il s'est lui-même essayé au genre dans Hyperion, mais sans vraiment réussir à trouver un ton épique original. Plus tard dans le siècle, George Eliot et Thomas Hardy se sont eux aussi inspirés de l'exemple miltonien. En revanche, le siècle dernier, sensible aux critiques exprimées par T.S. Eliot et Ezra Pound, a vu temporairement régresser l'intérêt porté à Milton.
La carrière de Milton a eu un impact sur le monde moderne dans d'autres domaines, en particulier celui de la langue. Comme Rabelais ou les poètes de la Pléiade en France, Milton a forgé de nombreux mots : le Paradis perdu est truffé de néologismes comme dreary, pandæmonium, acclaim, rebuff, self-esteem, unaided, impassive, enslaved, jubilant, serried, solaced, satanic qui sont restés dans la langue anglaise. Enfin, les écrits républicains de Milton, en particulier l'Areopagitica, ont été consultés pendant l’élaboration de la Constitution des États-Unis d'Amérique.
En tout, John Milton a composé vingt-trois sonnets. Ce sont des moments d'exception, dans lesquels il exprime ses impressions et ses sentiments sur des événements précis, historiques ou personnels. Ainsi, le premier est consacré à chanter le rossignol (O Nightingale), comme l'ont fait la plupart des poètes anglais, William Shakespeare, John Keats, en particulier. Le VIIe commente son entrée dans l'âge adulte (On his Being Arrived at the age of 23). Le XIe et le XIIe dénoncent la critique de certaines de ses œuvres (On the Detraction Which Followed Upon My Writing Certain Treatises). Neuf s'adressent à des personnalités ou des amis, dont deux à des femmes. Parmi eux, un, le XIVe, sert de mémorial (On the Religious Memory of Mrs. Catherine Thomson). Le XVIIIe concerne un massacre récent dans le Piémont (On the Late Massacre in Piemont). Le XXIIe est adressé à un ami, comme lui affligé de cécité (To Mr. Cyriack Skinner Upon His Blindness). Les plus personnels sont le XIXe (On His Blindness) et le XXIIIe consacré à la vision de sa femme décédée (Methought I Saw my late Espousèd Saint) , connu aussi sous le titre On His Deceased Wife. Un, le XVIe, s'adresse à Oliver Cromwell, chef de la révolution puritaine du Commonwealth.
John Milton fait partie des premiers partisans de la liberté de la presse dans le royaume britannique au XVIIe siècle, et il est aussi considéré comme un des précurseurs du libéralisme. Il a écrit un manifeste intitulé Pour la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure (Areopagitica), où il exprime ses premières distances avec le gouvernement en vigueur.
On His Blindness
When I consider how my light is spent Ere half my days, in this dark world and wide, And that one talent which is death to hide, Lodged with me useless, though my soul more bent
To serve therewith my Maker, and present My true account, lest he, returning, chide: Doth God exact day labour, light denied? I fondly ask. But Patience, to prevent
That murmur, soon replies: God doth not need Either man's work or his own gifts. Who best Bear his mild yoke, they serve him best. His state
Is kingly; thousands at his bidding speed And post o'er land and ocean without rest; They also serve who only stand and wait.
Sur sa cécité
À mesurer que ma lumière s'est épuisée Avant le midi de mes jours, dans l'obscurité du vaste monde, Et que mon précieux talent, voué à la mort s'il demeure enfoui, Est vainement niché en moi, alors que mon âme penche encore plus
À s'en servir pour mon créateur et lui présenter Le compte qui est mien, de peur qu’il ne me tance à son retour : Dieu exige-t-il le labeur quotidien, quand la lumière est refusée ? Questionné-je sottement. Mais Patience, pour prévenir
Ma fâcheuse récrimination, aussitôt répond : Dieu n’a nul besoin De la tâche de l'homme ou de ses offrandes. Qui mieux Supportent son aimable joug, mieux le servent. Son état
Est souverain ; des milliers sont-ils qui à son appel se lancent Et se hâtent par la terre et les océans sans répit. Ils le servent aussi qui debout savent attendre.
Milton's Cottage à Chalfont St Giles
Milton's Cottage, demeure du poète et parlementaire Milton, est située à Chalfont st Giles dans le Buckinghamshire en Angleterre.
C'est en 1665 que Milton et sa troisième femme Elisabeth Minshull, ainsi que ses trois filles nées de son premier mariage, vont emménager dans ce cottage pour échapper à la Grande Peste de Londres (1665 - 1666).
Bien que la famille n'ait vécu que moins d'un an dans cette maison, elle est importante à double titre. En effet c'est la seule maison encore existante de nos jours où Milton a séjourné et c'est aussi ici que le poète a terminé son oeuvre la plus réputée Paradise Lost et les graines de Paradise Regainedont aussi été semées dans cette demeure. Thomas Eldwood, ami de la famille, aimait à appeler ce cottage "that pretty box in St. Giles" (la jolie petite boîte de St Giles).
De nos jours, le rez-de-chaussée de ce cottage est devenu un Musée dédié à Milton et à ses oeuvres. Les quatre pièces que comporte ce musée renferment la plus grande collection au monde concernant Milton avec entre autres de très nombreuses premières éditions datant du XVIIe siècle, de recueil de poésie et de prose.
La visite du Musée explique de façon très claire la remarquable carrière de ce génie aveugle, ses pensées et la nature divers de ses travaux nous montrent bien pourquoi il a eu un tel rayonnement.
Les jardins du cottage sont aussi ouverts au public, ils sont de pure tradition anglaise.
C'est la Reine Victoria qui en 1887, avait ouvert une liste de souscription pour l'achat de la maison. Depuis, c'est une tradition, chaque membre de la famille royale vient visiter cette demeure.
"Un homme en vaut cent, et cent n'en valent pas un."
Blaise de Montesquiou de Lasseran de Massecomme , seigneur de Monluc, dit Blaise de Monluc, né entre 1500 et 1502 à Saint-Puy, dans le Gers et mort le 26 juillet 1577 à Estillac. Principalement connu pour ses Commentaires, ce capitaine, fidèle serviteur de la monarchie, s'illustra pendant les guerres d'Italie et les guerres de religion. Après avoir servi successivement sous les rois François Ier de Valois, son fils Henri II, et les fils de ce dernier, François II, Charles IX et Henri III, il fut élevé à la dignité de maréchal de France par ce dernier.
Il était le fils aîné de François de Monluc, qui possédait plusieurs modestes seigneuries en Armagnac et en Agenais, et de Françoise de Mondenard, dame d'Estillac, où elle possédait un château. Il était l'aîné de cinq sœurs et de six frères. Le plus connu était Jean de Monluc, évêque de Valence. Joachim de Monluc, dit le Jeune Montluc, frère de Blaise, était seigneur de Lioux et de Longueville. Sa sœur, Anne de Lasseran-Massencôme, dame de l'Isle, a épousé François de Gélas, seigneur de Léberon et d'Ambres, et a eu deux fils, Antoine de Gélas de Léberon qui a participé aux combats de son oncle et Charles de Léberon qui a succédé à son oncle Jean de Monluc comme évêque de Valence et de Die.
Les Monluc étaient une branche cadette des Montesquiou, très vieille famille gasconne. Mais le père de Blaise était relativement désargenté et le jeune garçon eut une enfance toute campagnarde, sans guère de luxe et de confort. Accoutumé tôt aux exercices physiques, il ne reçut qu'une faible instruction, qui se borna aux rudiments, et plus tard il le regretta. Par relations, il fut admis comme page à la cour du duc Antoine de Lorraine, prince brillant qui combattit aux côtés de Louis XII contre les Vénitiens. Le duc, époux de Renée de Bourbon-Montpensier, tenait à Nancy une cour qui parut somptueuse à Blaise de Monluc, que l'on surnommait alors "Blaizot" ou "le page gascon". Il y acquit une certaine éducation, améliorant en outre sa connaissance de l'équitation et de l'escrime. Trop jeune pour suivre le duc de Lorraine en Italie en 1515, Blaise de Monluc dut rester à Nancy où il fut attaché au service de la duchesse. Hors de page à 14 ans, selon la coutume, il tint d'abord garnison à Nancy. Mais désireux d'entamer une véritable carrière militaire, il quitta la Lorraine, retourna à Saint-Puy visiter ses parents qui lui donnèrent quelques secours, et se rendit à Milan où Lautrec et Lescun venaient de réprimer une émeute. Il y trouva ses deux oncles maternels, qui le firent entrer comme archer dans la compagnie de Lescun. La reprise de la guerre entre François Ier, et Charles Quint, en 1521, inaugure le début de la carrière militaire de Monluc.
Comme tous les jeunes nobles de son temps désireux de se distinguer avec panache dans le métier des armes, il suivit avec intérêt les fameuses guerres d'Italie, que par un euphémisme coquet l'on nomme "Voyages en Italie" . Dès qu’il fut en âge de porter les armes, il partit guerroyer.
Le rude apprentissage qu'il subit lors de la désastreuse campagne de 1522, marquée par la défaite de La Bicoque, lui fut utile. Sa compagnie revenue en Gascogne, il fut fait enseigne d'une compagnie de gens de pied et manifesta des talents de tacticien qui lui valurent les compliments du maréchal de Lautrec lors d'une campagne (combats de Saint-Jean-de-Luz relatés dans ses Commentaires) contre les Espagnols, en 1523. Homme d'armes en 1525 à la bataille de Pavie, il fut fait prisonnier sur le champ de bataille, mais trop pauvre pour être rançonnable, il fut relâché. Dès 1527, il participa en Italie à une campagne de Lautrec au cours de laquelle il fut blessé à deux reprises. Il participa au siège de Naples en 1528, mais la peste décima les troupes, qui durent se retirer. La mort de Lautrec et la déroute de l'armée française obligèrent Monluc à rentrer en Gascogne. Plusieurs années passèrent pendant lesquelles il fut seulement gendarme dans la compagnie du roi de Navarre. En 1534, la création par François Ier de légions nationales lui permit de devenir lieutenant d'une compagnie languedocienne. En 1536, Monluc contribua à la mise en déroute de l'armée de Charles Quint, qui avait envahi la Provence et assiégeait Marseille. Il fit notamment détruire une partie des moulins de la région marseillaise que les impériaux avaient réquisitionnés pour s'approvisionner en farine. Charles Quint dut enfin se retirer piteusement de Provence, ses puissantes troupes ayant été décimées par les épidémies de dysenterie et la malnutrition (les Français avaient pratiqué la politique de la terre brûlée en détruisant les récoltes et en empoisonnant de nombreux points d'eau).
Recommandé à Anne de Montmorency l'année suivante, Monluc reçut le commandement d'une compagnie de la garde du dauphin, futur Henri II, puis rejoignit l'armée du roi en Italie. Après avoir alterné séjours à la cour et campagnes militaires en Artois, dans le Roussillon, en Dauphiné et en Piémont, Blaise de Monluc joua un rôle important dans la bataille victorieuse de Cérisoles, en 1544. Le comte d'Enghien, frère d'Antoine de Bourbon, qui commandait en chef, le fit chevalier sur le champ de bataille. L'année suivante, il participa au siège de Boulogne,où il fut nommé maître de camp, ainsi qu'à plusieurs opérations autour de Calais.
Entre chaque campagne, il revint en Gascogne panser quelques blessures reçues au cours des combats : il en reçues de fort sévères. D’un premier mariage en 1526 avec Antoinette Isalguier, sont nés quatre garçons et trois filles. Une deuxième union, en 1564, lui apporta trois filles dont l'une sera religieuse. Or, faveurs et disgrâces royales lui étaient souvent acquises, les unes en fonction de ses mérites, les autres en raison de son tempérament bouillant, de son propre aveu "fort colère", que tempère à l'occasion la diplomatie de son frère cadet Jean, évêque de Valence, esprit fin et brillant ayant choisi la daplomatie plutôt que la carrière des armes.
A la mort de François Ier, en 1547, Blaise de Monluc fut d'abord désavoué par Henri II pour avoir pris le parti de La Châtaigneraie lors du célèbre duel qui opposa ce dernier au baron de Jarnac. Mais dès 1548, il fut promu maître de camp et gouverneur de Moncalieri, en Piémont. Bon administrateur, il multiplia les faits d'armes avec le comte de Brissac, lieutenant général du roi en Piémont. Grièvement blessé lors de la prise de Chieri, en 1551, il défendit Bene, Ceva et Caselle l'année suivante. Devenu familier du duc François de Guise, il fut également fait gentilhomme de la chambre du roi en 1553, ce qui lui permit de se rapprocher d'Henri II. Quand les Espagnols assiégèrent Sienne, en janvier 1554, le roi y envoya aussitôt Monluc comme gouverneur. La défense de Sienne, qui dura de juillet 1554 à avril 1555, fut l'un des faits les plus glorieux de sa carrière, malgré l'échec final. Malade et sans secours, il tint longtemps tête aux Espagnols qui durent pour ce siège mobiliser de nombreuses troupes qui lui rendirent les honneurs à sa capitulation. A son retour, Blaise de Monluc fut accueilli en triomphe par Henri II qui le reçut dans l'Ordre de Saint-Michel. Vite retourné à la vie militaire, Monluc prit Volpiano aux Espagnols et défendit Rome en 1556. En 1556 et 1557, il eut pour mission de défendre la petite république de Montalcino, créée par une grande partie des Siennois qui avaient préféré s'exiler à Montalcino plutôt que de subir à Sienne le joug espagnol. Henri II le fit peu après colonel général des gens de pied. En cette qualité de chef de l'infanterie, il participa au siège de Thionville, en juin 1558, et poursuivit avec les Guise une campagne qu'interrompit la trêve de Cercamp le 17 octobre 1558. La conclusion des traités du Cateau-Cambrésis, qui sacrifiait l'Italie, et la mort accidentelle de Henri II en 1559 furent durement ressenties par Blaise de Monluc.
Dans la période qui suivit la mort de Henri II, Monluc eut en Gascogne une attitude attentiste. Il assista aux débuts de la propagation de la Réforme dans le Sud-Ouest et fut scandalisé par la désobéissance des huguenots au roi, désobéissance accompagnée de mots de mépris envers la monarchie et les catholiques. Les réformés cherchèrent d'abord à l'acheter. Mais devant l'intransigeance de Monluc, et redoutant que ses compétences de chef de guerre ne se retournent un jour contre eux, ils cherchèrent à l'assassiner.
Dès 1561, il prêta main-forte au lieutenant-général de Guyenne, Charles de Coucis, seigneur de Burie. Il fut chargé officiellement par la reine de lever des troupes pour renforcer les défenses en Guyenne, région particulièrement troublée. La campagne de 1562 fut la plus terrible de la vie de Monluc. De son propre aveu, il dut malgré lui "user non seulement de rigueur, mais de cruauté". Accompagné de deux bourreaux, il procéda à de nombreuses exécutions. Il ne se cachait pas de la terreur qu'il inspirait chez les huguenots, seul moyen selon lui de faire pression sur eux : "on pouvoit cognoistre par là où j'estois passé, car par les arbres, sur les chemins, on en trouvoit les enseignes. Un pendu estonnoit plus que cent tuez". De grands excès furent commis des deux côtés : Monluc rivalisait de violence avec le capitaine protestant Symphorien de Duras. Les villes et villages pris étaient généralement livrés au pillage de la soldatesque, moyen efficace et peu coûteux de motiver des troupes qui étaient chichement soldées. Destructions, pillages, viols et exécutions sommaires furent pratiqués dans les deux camps. Monluc défit Duras à Targon le 15 juillet, puis avec Burie à Vergt le 9 octobre 1562. Il ne fut pas récompensé pour son action, obtenant seulement de partager la lieutenance de Guyenne avec Burie.
En 1563, fut signée la paix d'Amboise dont les conditions mécontentèrent Monluc et de nombreux catholiques. Il participa à la formation des ligues de gentilshommes catholiques dans le sud-ouest, ce qui lui valut d'être désavoué par la reine, qui lui demanda de les dissoudre. En 1565, la mort de Burie lui permit de devenir seul lieutenant-général et de récupérer le titre de vice-amiral de Guyenne. Dès 1563, Blaise de Monluc avoua ne pouvoir appliquer la politique royale de conciliation et offrit sa démission à deux reprises,sans succès.
Blaise de Monluc entra à nouveau en guerre dès la fin de septembre 1567, averti des préparatifs d'un soulèvement protestant en Guyenne. Avec la même énergie que par le passé, il conserva de nombreuses villes au roi, ceci avec de faibles forces. Il reçut l'ordre de reprendre La Rochelle,qui lui paraissait peu exécutable, la monarchie n'ayant pas mis à sa disposition les fonds nécessaires pour lever suffisamment de troupes. Il prit cependant l'île de Ré en mars 1568, quelques jours avant la paix de Longjumeau, le 23 mars 1568.
Après une courte trêve, la troisième guerre de religion fut une lourde épreuve pour Monluc, qui ne put s'opposer à la marche d'une armée protestante menée par Montgomery venue du Dauphiné et de Provence au secours de La Rochelle et de l'Aunis. De violents dissentiments l'opposèrent à Henri Ier de Montmorency, comte de Damville, fils du connétable Anne de Montmorency et gouverneur du Languedoc, auquel il reprocha un manque de volonté à combattre les réformés, voire de mener double jeu. Monluc infligea néanmoins des échecs à Montgomery, qui venait de faire une dure campagne en Béarn et en Navarre. En septembre 1569, Monluc marcha sur Mont-de-Marsan, place protestante devant laquelle les catholiques avaient échoué à plusieurs reprises. Ayant réussi à s'emparer de la ville, il ordonna le massacre de la garnison pour venger la mort de nombreux catholiques qui avaient été exécutés lors de la prise de Navarrenx par les protestants. En juillet 1570, il eut le nez et les joues arrachés par un coup d'arquebuse alors qu'il montait à l'assaut lors de la prise de Rabastens-de-Bigorre. Cette terrible blessure, qui ne guérit jamais tout à fait, l'obligea à porter un masque de cuir jusqu'à sa mort, afin de cacher son visage mutilé, et mit un terme à ses exploits militaires.
La paix de Saint-Germain, signée le 8 août 1570, fut suivie pour Monluc de grands déboires. La monarchie s'engageait alors dans une politique de réconciliation avec les protestants. Le vieux capitaine, haï de tous les protestants, en fit les frais et Charles IX le sacrifia sur l'autel de la politique : la lieutenance de Guyenne lui fut retirée, sans doute sous l'influence des Montmorency, dont il s'était attiré l'inimitié, et une vérification de ses comptes fut engagée par ses ennemis. On l'accusait d'avoir pillé les caisses de l'État, prélevé sur les fonds destinés à la levée des troupes et à l'entretien de la guerre et de s'être approprié les biens de certains huguenots. Le duc d'Anjou, futur Henri III, qui avait, pendant la campagne de 1569, écouté ses avis avec référence et avait un peu de sympathie pour Monluc, intervint pour que le procès sur ses comptes se terminât de manière favorable pour lui. Dans sa retraite, Monluc avait commencé, avec l'aide de secrétaires, à rédiger ses Commentaires, qu'il dédia au duc d'Anjou, héritier du trône de France en cas de décès de son frère Charles IX. D'abord entreprise pour se défendre des accusations portées contre lui, la rédaction de ses mémoires devint ensuite pour Monluc une façon de conseiller les capitaines des générations futures et de justifier certaines de ses actions. S'il s'appuya avant tout sur sa mémoire légendaire pour relater sa carrière, Monluc consulta également les ouvrages historiques de son temps ainsi que les archives. Riches en détails concrets et en conseils pratiques, les Commentaires sont loués dès leur parution, le roi de Navarre et futur Henri IV n'hésitant pas à les qualifier de "Bréviaire du soldat". Appelé par le duc d'Anjou au début de 1573 pour le conseiller lors du siège de La Rochelle, il prit place dans son état-major.
En septembre 1574, Monluc se rendit à Lyon pour l'arrivée de Henri III qui, suite au décès de son frère Charles IX, venait juste d'abandonner son éphémère trône de Pologne pour monter sur celui de France. Le nouveau roi, qui appréciait Monluc, consacra la carrière de celui-ci en l'élevant à la dignité de maréchal de France. L'année suivante, Blaise de Monluc abandonna tout commandement militaire après avoir mené le siège de Gensac et tenté en vain pendant trois semaines de s'emparer du château de Madaillan (à une dizaine de kilomètres au nord d'Agen). Définitivement retiré, partageant désormais son existence entre son hôtel particulier d'Agen et le château d'Estillac, Monluc acheva la rédaction de ses Commentaireset mourut le 26 août 1577.
Sa demeure, le château d'Estillac
Le château dont les éléments les plus anciens datent du XIIIe siècle siècle, appartint à Blaise de Monluc et à ses frères et sœur par héritage de ses oncles en 1544 et il a racheté progressivement leurs parts. De ses guerres en Italie il a rapporté la construction bastionnée. Il entreprend, probablement en 1570 (une lettre de Monluc datée de 1567 indique qu'il fait venir du bois pour construire son château, mais a dû commencer les travaux après la mort de sa première femme), de modifier le château pour le mettre en défense pendant les troubles des guerres de religion. Il a augmenté les défenses du château en ajoutant des bastions protégeant l'entrée. Il avait prévu de construire une chapelle dans le bastion pour y être enterré et il a fait construire un monument funéraire qui se trouve à l'extérieur du château.
Le château a un plan trapézoïdal très fermé donnant à la cour intérieure un plan presque triangulaire. Les travaux ont englobé les anciens bâtiments. Les ailes et les bastions sud et est reprennent un plan qui a été introduit par les ingénieurs militaires italiens et dont on peut voir la première mise en pratique en France à Navarrenx, que Fabricio Siciliano a fortifié pour Henri d'Albret. Les défenses de l'entrée comme les parties hautes du bastion ont dû être démolies en 1793.
Blaise Monluc s'y retira en 1575 pour écrire ses Commentaires mais il mourut en 1577 à Condom dont son fils était évêque ; il a été enterré dans la cathédrale. Sa famille a conservé le château jusqu'en 1753, date à laquelle il fut vendu à René-Louis de Montadouin. Lui-même céda le château à François-Louis de Brondeau d'Urtières, en 1787. Depuis le château est resté dans la même famille.
Ce château fait l'objet d'un classement au titre des monuments historiques depuis le 5 mars 1958.
Sa demeure natale : le château de Monluc
L'endroit où se situe le château est fréquenté depuis l’époque néolithique. Plusieurs outils de pierre polie façonnés à cette époque ont été trouvés sous la terrasse qui sera plus tard la Haute cour du château fort.
Les Gaulois en ont fait un oppidum et le nom de Saint-Puy vient du latin summum podium (le point culminant). Le nom de leur tribu, les GARITES, donnera plus tard son nom au Comté qui aura sa capitale au Saint-Puy : le Comté de GAURE
Quant à la maison, c’est une des plus anciennes de la Gascogne puisqu’elle est citée dans l’Histoire des Gaules avant 929. Elle a depuis ce moment toujours été habitée.
Après les invasions barbares, au cours du règne des Mérovingiens puis des Carolingiens, un premier donjon en bois est construit, puis en pierre. Une ville va se former petit à petit autour du château fort et sur le flanc de la colline.
Saint-Puy (ou Sempuy) devient la capitale du comté de Gaure.
Avant 929, Saint Puy appartient au Duc de Gascogne. En 929 partage est fait entre ses 3 petits-fils : le 1er a le Comté d’Armagnac avec Lectoure, le 2ème a le Fezensac avec Vic-Fezensac et le 3ème, le Comte Frédelon a le Comté de Gaure avec Saint-Puy.
En 1272, sous le règne de Géraud de Casaubon, Comte de Gaure, le château et la ville sont assiégés, brûlés en partie par le Comte d’Armagnac (Lectoure), et ensuite restaurés sur l’ordre du Roi de France, Philippe le Hardi.
A cette époque il y a une garnison anglaise à Saint-Puy car du 12ème au 15éme siècle, nous sommes dans la mouvance du Roi d’Angleterre.
En 1425 le roi Charles VII (le roi de Jeanne d’Arc) donne le comté de Gaure à son cousin Charles d’Albret. Celui-ci, sans doute en 1470, offre le château avec quelques terres à son fidèle "Maistre d’Hostel" : Pierre de Lasseran-Massencome, Seigneur de Monluc, arrière grand-père de Blaise de Monluc.
Blaise de Monluc (1500-1577) grand guerrier sera nommé Maréchal de France. Chargé par le Roi de pacifier la Gascogne pendant les troubles religieux, il dictera ses mémoires qu’il appellera "Commentaires".
Au 17ème siècle, les fortifications de la ville et du château seront démantelés, certainement sur l’ordre de Louis XIV.
En 1720, les héritiers de Monluc vendent au Comte de Morlan, dont une petite fille, Gabrielle-Minette épousera Victor Lassus, un membre de la famille du propriétaire actuel, à la fin du 18ème siècle.
Le domaine ayant été vendu en 1900, René Lassus le rachète en 1961 pour y développer son domaine viticole.
les Romains qui développent la culture de la vigne et les communications, apportant du même coup la richesse à cette région qui allait devenir la GASCOGNE. Un peu plus tard, passent les Sarrazins qui amènent avec eux l'alambic.
Le décor est planté, les éléments sont en place pour permettre à l'esprit inventif des Gascons de s'exprimer pleinement.
Ajoutons que les Anglais, occupants repoussés du pays gascon au 14° siècle, voient d'un très mauvais oeil le commerce des marchands Hollandais avec leurs anciens domaines et vous avez la naissance de l'Armagnac. En effet, les bateaux Hollandais n'étaient autorisés à franchir l'étape de Bordeaux, toujours Anglais, et à remonter la Garonne pour venir charger les vins du Haut-Pays Gascon qu'à partir du printemps suivant la récolte. Il était alors déjà trop tard pour bon nombre des vins de cette époque, qui, plus ou moins bien stockés, n'avaient pas la patience d'attendre de longs mois et se trouvaient abîmés à l'arrivée des marchands Hollandais. Ceux-ci eurent alors l'idée de faire distiller une partie de ces vins pour incorporer l'alcool obtenu aux vins restants. Ce vinage avait pour effet de garantir une bonne conservation des vins.
Quelque vigneron distrait oublia-t-il un peu de cette eau-de-vie au fond d'un fût de chêne? Nul ne le sait avec certitude. Mais quoiqu'il en soit, à partir de cette époque on se mit, en Armagnac, à distiller du vin pour produire un alcool de bouche. C'était, au 15° siècle, une grande originalité, puisque jusqu'alors, l'alcool était réservé aux médecins, aux parfumeurs et aux alchimistes.
Les siècles passant, la renommée de l'Armagnac et des Gascons grandit peu à peu, tandis que les villages médiévaux comme Saint-Puy, perchés sur leurs collines à l'écart des routes et des rivières, commençaient à perdre de leur influence et s'endormaient. Cependant, le génie créatif des Gascons, bien vivant lui, fut transmis de génération en génération. Il n'est donc pas surprenant que les vignerons locaux et, parmi eux, l'arrière grand-père de René Lassus, aient toujours pensé à expédier leurs vins hors de leur région: ils ne faisaient que suivre en cela une tradition séculaire. Et les viticulteurs gascons qui, à la fin du siècle dernier, vendaient leurs vins en Champagne ne s'y étaient pas trompés: terroir et qualité des vins de nos côteaux se prêtent admirablement à l'élaboration de vins vifs, secs et de race. C'est ainsi que René Lassus, approfondissant tout naturellement la démarche de son aïeul, eut l'idée de champagniser les vins de son vignoble tout en continuant à en distiller une partie. Le Château de Saint-Puy est en Ténarèze, une des régions fortes de l'Armagnac et la distillation a toujours tenu une grande place dans l'activité de ses vignerons. La juxtaposition de l'esprit inventif des Gascons et de leur admirable eau-de-vie devait, on l'imagine, entraîner le foisonnement de recettes familiales dont certaines étaient tout à fait originales. L'idée du Cocktail POUSSE-RAPIERE ne vint pas autrement et René Lassus, améliorant la recette familiale, associa la liqueur d'Armagnac au Brut qu'il produisait en méthode traditionnelle champenoise pour créer le Cocktail POUSSE-RAPIERE que nous connaissons. Le succès, jamais démenti, de ce Cocktail tient au fait que les deux composants sont élaborés, dès l'origine, dans le souci de réaliser un mélange équilibré. Le vin et la liqueur sont faits l'un pour l'autre, à partir du même terroir, du même vignoble et leur mariage est le plus heureux, le plus harmonieux et le plus naturel qui soit.
"L'ennui, qui dévore les autres hommes au milieu même des délices, est inconnu à ceux qui savent s'occuper par quelque lecture. Heureux ceux qui aiment lire".
Fénelon, né le 6 août 1651 au château de Fénelon à Sainte-Mondane, était issu d'une famille noble du Périgord, ancienne mais appauvrie. Plusieurs des ancêtres de Fénelon s'étaient occupés de politique, et sur plusieurs générations certains avaient servi comme évêques de Sarlat. Comme il était un cadet, le deuxième des quatorze enfants que son père, Pons de Salignac, comte de La Mothe-Fénelon, avait eu de deux mariages (dont trois enfants de son mariage avec Louise de La Cropte), il fut destiné de bonne heure à une carrière ecclésiastique.
Dans son enfance Fénelon reçut l'enseignement d'un tuteur au château de Fénelon, qui lui donna une solide connaissance du grec ancien et des classiques. En 1667, à l'âge de douze ans, on l'envoya à l'université de Cahors où il étudia la rhétorique et la philosophie. Quand le jeune homme exprima son attirance pour une carrière dans l'Église, son oncle, le marquis Antoine de Fénelon (un ami de Jean-Jacques Olier et de saint Vincent de Paul) l'envoya étudier au collège du Plessis, dont les étudiants en théologie recevaient le même enseignement que ceux de la Sorbonne. Il s'y lia avec Louis Antoine de Noailles, qui plus tard devint cardinal et archevêque de Paris. Fénelon montra un tel talent au collège du Plessis qu'il y prêcha avec succès dès l'âge de quinze ans.
Après avoir, à partir de 1672, étudié au séminaire Saint-Sulpice, également proche des jésuites et qu'il eut en tant que jeune prêtre attiré l’attention sur lui par de belles prédications, il fut nommé en 1678 par l'archevêque de Paris directeur de l’Institut des Nouvelles Catholiques, un internat parisien consacré à la rééducation de jeunes filles de bonne famille dont les parents, d’abord protestants, avaient été convertis au catholicisme.
Ses fonctions l'inspirèrent et dès 1681 il consigna son expérience pédagogique dans son Traité de l'éducation des filles (qui ne fut publié qu’en 1687). À la fin de 1685, après la révocation de l'Édit de Nantes de 1598, sur la recommandation de Bossuet, Louis XIV lui confia la direction d'une mission. Pendant ces années-là il faisait partie du cercle qui entourait Bossuet, le fougueux porte-parole de l’épiscopat français. En 1688 il fut présenté à Madame de Maintenon, épouse morganatique de Louis XIV. Celle-ci sympathisait à l’époque avec Madame Guyon, femme mystique et pieuse, et avec son quiétisme. Elle l’impressionna profondément quand ils firent connaissance .
Saint-Simon le décrit ainsi : "Plus cocquet que toutes les femmes, mais en solide, et non a misères, sa passion étoit de plaire, et il avoit autant de soin de captiver les valets que les maîtres, et les plus petites gens que les personnages. Il avoit pour cela des talents faits exprès: une douceur, une insinuation, des grâces naturelles et qui couloient de source, un esprit facile, ingénieux, fleuri, agréable, dont il tenoit, pour ainsi dire, le robinet pour en verser la qualité et la quantité exactement convenable à chaque chose et à chaque personne; il se proportionnoit et se faisoit tout à tous. "
Dans l’été 1689, sur la proposition de Madame de Maintenon dont il était entre temps devenu le conseiller spirituel, il fut nommé précepteur du duc de Bourgogne, âgé de sept ans, petit-fils de Louis XIV et son éventuel héritier. Il sut enseigner à son élève toutes les vertus d'un chrétien et d'un prince, et lui inspira pour sa personne une affection qui ne se démentit jamais.
Il acquit ainsi une position influente à la cour et fut admis à l’Académie française (1693) comme les autres précepteurs princiers. Cependant, il fut écarté de l'éducation princière d'abord par un éloignement temporaire à l'archevêché de Cambrai (1695)avant d'être disgrâcié. Il fut alors nommé "le Cygne de Cambrai".
Pour son élève royal (qui cependant devait mourir en 1712 sans être devenu roi, pas plus que son père mort l’année précédente), Fénelon écrivit plusieurs œuvres amusantes et en même temps instructives : d'abord une suite de fables, les Aventures d'Astinoüset les Dialogues des morts modernes, mais surtout, en 1694-1696, un roman éducatif d'aventures et de voyages Les Aventures de Télémaque, fils d'Ulysse.
Dans ce roman à la fois pseudo-historique et utopique, il conduit le jeune Télémaque, fils d’Ulysse, flanqué de son précepteur Mentor (manifestement le porte-parole de Fénelon) à travers différents États de l’Antiquité, qui la plupart du temps, par la faute des mauvais conseillers qui entourent les dirigeants, connaissent des problèmes semblables à ceux de la France des années 1690, plongée dans des guerres qui l’appauvrissent, problèmes qui cependant peuvent se résoudre (au moins dans le roman) grâce aux conseils de Mentor par le moyen d’une entente pacifique avec les voisins, de réformes économiques qui permettraient la croissance, et surtout de la promotion de l'agriculture et l’arrêt de la production d’objets de luxe.
Le plus grand adversaire de Fénelon à la cour fut Bossuet, qui l’avait d’abord soutenu. Déjà en 1694 il s’était opposé à lui dans l’affaire du quiétisme, querelle théologique, et en 1697 il avait essayé de le faire condamner par le Pape pour son Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, où il prenait la défense de Madame Guyon (celle-ci avait fini par être presque considérée comme une ennemie publique, au point qu’elle avait été arrêtée en 1698).
Fénelon se soumit avec humilité et abjura publiquement ses erreurs. À partir de 1698 Télémaquecommença à circuler à la cour sous forme de copies, et on y vit tout de suite une critique à peine voilée contre la manière autoritaire du gouvernement de Louis XIV, contre sa politique étrangère agressive et belliqueuse et contre sa politique économique mercantiliste, orientée vers l'exportation. Cet ouvrage, que Fénelon n'avait pas voulu rendre public, lui avait été soustrait par un domestique infidèle.
Au début de 1699, Fénelon perdit son poste de précepteur et quand, en avril, son Télémaque fut publié (d'abord anonymement et sans son autorisation), Louis XIV y vit une satire de son règne, arrêta l'impression et disgracia l'auteur : Fénelon fut banni de la cour.
Vers 1700, il habita alors quelque temps en Belgique dans une demeure, longtemps appelée "la Belle Maison", se trouvant aux limites des communes de Pâturages et d’Eugies, puis il se retira dans son archevêché de Cambrai où, cessant toute activité en théologie et en politique, il essaya de se conduire de façon exemplaire, conformément aux enseignements de son personnage de Mentor (qui, dans le roman, n’était autre que Minerve alias Athéna, déesse de la Sagesse qui s’était ainsi déguisée). Retiré dans son diocèse, Fénelon ne s'occupa que du bonheur de ses fidèles; il prit soin lui-même de l'instruction religieuse du peuple et des enfants, et se fit universellement chérir par sa bienfaisance.
Pendant le cruel hiver de 1709, il se dépouilla de tout pour nourrir l'armée française qui campait près de lui. La réputation de ses vertus attira à Cambrai nombre d'étrangers de distinction, entre autres Andrew Michael Ramsay qu'il convertit et qui ne le quitta plus. Il mourut en 1715 à l'âge de 64 ans.
Un chapitre des mémoires de Saint-Simon est consacré à sa mort, en des termes plutôt élogieux.
Dans la France des XVIIIe et XIXe siècles, Télémaque fut un des livres pour les jeunes les plus lus (Aragon et Sartre l'avaient lu dans leur jeunesse). On le considère parfois comme un précurseur de l'esprit des Lumières.
On lui doit un assez grand nombre d'ouvrages, dont quelques-uns sont perdus, Louis XIV ayant fait brûler, à la mort du duc de Bourgogne, plusieurs de ses écrits qui se trouvaient dans les papiers du prince.
Sa demeure : le château de Sainte Mondane
Le château de Fénelon, situé sur les hauteurs de Sainte-Mondane d’où il surplombe toute la vallée de la Dordogne, allie élégance et puissance défensive et constitue assurément une étape obligée pour les amoureux de vieilles pierres et de meubles anciens ou tout simplement pour ceux qui cherchent un endroit apaisant.
Apaisant et paisible, le château de Fénelon l’est aujourd'hui, mais ça n’a pas toujours été le cas – la guerre de Cent Ans est passée par là : en 1360, conséquence du traité de Brétigny, les seigneurs de Fénelon, qui possédaient Sainte-Mondane et d’autres terres alentour depuis l’an mil, deviennent vassaux du roi d’Angleterre Edouard III. Peu de temps après, en 1375, les Français s’en emparent, mais il faut attendre 1445 pour que la seigneurie de Fénelon devienne la pleine propriété des Salignac. La Révolution transforme le château en métairie et on y élève des vers à soie. Ce n’est qu’au XIXe siècle que le calme revient lorsque les Maleville reprennent le château et le restaurent.
Cependant, ce qui distingue Fénelon des autres châteaux du Quercy ou du Périgord, ce n’est pas tant son histoire, commune à beaucoup, que son architecture originale. Tout d’abord signalons que l’endroit a été tôt fréquenté : en effet, le puits du château, d’une profondeur remarquable de 90 mètres, a été creusé dans le roc à l’époque mérovingienne (vers le VIIe siècle). Tout le château s’est ensuite bâti autour du puits de sorte qu’il occupe aujoud’hui la cour intérieure.
Le château lui-même est ceint de doubles remparts : une fois franchie la première muraille, garnie de larges créneaux et de meurtrières, l’assaillant se trouvait face à une deuxième enceinte qu’il devait entièrement contourner en s’exposant aux tirs ennemis (la porte d’accès est à l’opposé de celle du premier rempart). S’il parvenait à forcer le passage de la seconde enceinte, l’attaquant se trouvait au pied du château, plus découvert que jamais sur cette vaste esplanade, et devait à nouveau contourner les murs du château pour enfin se trouver face à l’escalier d’accès. On voit que la tâche n’était pas aisée.
Mais si le nom de Fénelon est célèbre aujourd’hui, c’est, plus encore qu’à cette double enceinte, grâce à la naissance de l’archevêque de Cambrai François de Salignac de la Mothe Fénelon ici-même en 1651, plus connu simplement sous son nom d’écrivain : Fénelon. La visite du château nous conduit donc à travers les appartements du grand homme ; toutefois seule sa chambre conserve ses meubles, chaque autre pièce illustrant la mode d’un siècle passé : antichambre aux boiseries d’époque Louis XIII et meublée Louis XIV (XVIIe siècle), chambre Louis XIV, salon Louis XV, une autre chambre Louis XVI (XVIIIe) et enfin une dernière au mobilier Empire avec pattes de lion et motifs égyptiens (début XIXe).
On verra aussi un cabinet de curiosités, petite pièce capharnaüm où s’entassent toutes sortes d’objets auxquels le propriétaire attribue des vertus légendaires : dent de géant, morceau du cheval de Troie, tapis de Pénélope, sabot de centaure, etc. Ces cabinets de curiosités ont connu une grande vogue aux XVIe et XVIIe siècles parmi les nobles et la bourgeoisie, et ce n’est qu’avec les Lumières que leur succès s’estompera.
Non moins curieuse est la chapelle, dont l’abside épouse une tour toute guerrière, et surtout dont la nef a été tronquée de manière à aménager une terrasse à l’étage supérieur : la beauté de la vue sur la vallée l’a emporté sur le souvenir du baptême de l’archevêque de Cambrai. Signalons encore la superbe salle d’armes (avec deux lourdes lances de joute, et moult couleuvrines, hallebardes et épées, dont une dont la garde seule pourrait servir de massue et une autre qui porte ciselée dans sa lame l’inscription fougueusement évangélique : "Soli deo gloria", c’est-à-dire "À dieu seul la gloire") ainsi que les magnifiques cuisines au superbe sol en pisé et à la belle cheminée en anse de panier, qui regorgent d’ustensiles traditionnels en étain et cuivre.
"Si j'avais le pouvoir d'oublier, j'oublierais. Toute mémoire humaine est chargée de chagrins et de troubles."
Charles Dickens naît le 7 février 1812 à Landsport, à proximité de Portsmouth. Son père, John Dickens, issu d'une famille de domestiques, est employé dans l'administration de l'Amirauté, tout comme son beau-père. En 1816, il est nommé à Chatham, près de Rochester, puis à Londres en 1822. L’enfance de son fils Charles est rythmée par les déménagements successifs des Dickens, qui se fixent à Camden Town, un faubourg ouvrier du Nord de la capitale. Ceux-ci connaissent des difficultés financières et l’enfant doit interrompre ses études en 1823. Son père s’est en effet endetté. Il passe même quelques semaines à la prison de Marshalsea en 1824, tandis que Charles, du mois de février au mois de septembre, doit travailler dans une fabrique de cirage. Cette expérience du monde du travail issu de la Révolution industrielle le marquera pour le restant de sa vie. Il est ensuite placé dans une pension, la Wellington House Academy.
Au mois de mai 1827, l’adolescent trouve à s’employer au service d’un avoué, Edward Blackmore de Gray's Inn. Là également, dans l’étude de l’homme de loi, il mémorise quelques scènes qui l’inspireront par la suite. Dès l’année suivante cependant, Charles Dickens est engagé par le Collège des Docteurs en tant que sténographe, un art qu’il a appris en autodidacte au cours des années passées. Il fréquente en effet avec assiduité les salles de lecture pendant son temps libre. En 1831, Dickens fait son entrée dans le monde de la presse écrite. Divers journaux londoniens, comme The Mirrorof Parliament ou True Sun, l’emploient afin de prendre en notes les débats parlementaires à la Chambre. A la même époque, le banquier Beadnells envoie sa fille Maria, dont Charles Dickens était tombé amoureux, achever ses études en France. Ce départ sonne la fin de leur liaison, socialement mal assortie. Au mois d’août 1834, le jeune homme devient journaliste auprès de l’Evening Chronicle.
Cependant, il se fait avant tout remarquer en publiant des récits humoristiques dans les pages du quotidien, sous le pseudonyme de " Boz ". Ces scènes de la vie urbaine, rédigées sur le mode grotesque ou satirique, connaissent un énorme succès populaire. Présenté au directeur du journal, Georges Hogarth, et à sa famille, Charles Dickens tombe amoureux de sa fille aînée, Catherine. Une promesse secrète de fiançailles lie bientôt les deux jeunes gens. La notoriété lui vient alors de la parution, à partir du mois d’avril 1836, des Pickwick Papers. La même année, le 2 avril, il épouse enfin Catherine Hogarth, dont il héberge la jeune sœur Mary à son domicile de Furnival’s Inn, à Holborn. La mort de celle-ci, âgée de seize ans à peine, le 7 mai 1837, affecte profondément Dickens qui l’idolâtrait. Jusqu’en 1852, dix naissances rythmeront la vie du couple, qui s’installe à présent au 48, Dougty Street.
Charles Dickens accepte bientôt le poste de rédacteur en chef du Benthley’s Miscellany, une revue littéraire mensuelle. Celle-ci fait paraître "Oliver Twist", son premier roman, dans ses pages, avant qu’il ne soit publié en volume au mois de novembre 1838. Avec cette première œuvre, l’écrivain montre notamment les effets néfastes de la Poor Law (loi sur les pauvres), qui vient d’être réformée en 1834. Il rédige ensuite "Nicolas Nickleby". Par la suite, ses textes seront publiés dans L’Horloge de Maître Humphrey, un hebdomadaire lancé par Dickens, dont le premier numéro est en vente le 4 avril 1840. Ainsi, en est-il pour "The Old Curiosity Shop" (Le Magasin d’antiquités) quelques mois plus tard et "Barnaby Rudge"en 1841. Au cours de ces années, l’écrivain accède à la célébrité auprès du public anglais. Ses écrits lui assurent de confortables revenus, comme en témoigne l’installation des Dickens près de Regent Park, au 1, Devonshire Terrace, York Gate.
Pendant l’été 1841, Charles Dickens effectue un premier voyage en Écosse. L’année suivante, il est reçu avec enthousiasme aux États-Unis, où il rencontre Edgar Poe, puis au Canada. L’écrivain se fait l’avocat du copyright, le droit d’auteur alors peu respecté outre-Atlantique. Cependant la publication de ses "Notes américaines"à son retour, puis celle de "Martin Chuzzlewit" en 1843, un nouveau roman où il critique le matérialisme américain, susciteront de vives réactions chez ses anciens hôtes. Dès cette époque et jusqu’en 1848, Charles Dickens rédige des "Contes de Noël". Se succèdent ainsi : "A Christmas Carol" (Le Carillon de Noël), "The Chimes", "The Cricket on the Hearth"(Le Grillon du foyer), "The Battle off the Life" (La Bataille de la Vie), "The Haunted Man". L’homme de lettres, fêté par ses contemporains, séjourne fréquemment en Italie, en Suisse et en France, où il rencontre les grands écrivains de l'époque.
Débordant toujours d’activité, Dickens crée une troupe de théâtre en 1845. L’année suivante, il fonde un journal, le Daily News, qui paraît à partir du 21 janvier. Ses préoccupations sociales l’amènent à soutenir également l’initiative d’Angela Burdett-Coutts, qui aide dans son institut d’Urania Cottage les prostituées à commencer une nouvelle vie. Après "Dombey and Son" en 1848 commence la parution de "David Copperfield", un roman qui compte comme toujours quelques épisodes autobiographiques. L’écrivain lance également Household Words. Cet hebdomadaire, dont le premier numéro paraît le 30 mars 1850, obtient un grand succès auprès du public. "Bleak House"en 1852, puis "Hard Times" en 1854, deux œuvres où la critique du capitalisme se fait plus virulente, paraissent dans ses pages. En 1851, les Dickens s’installent à Tavistock House. Pendant l’été 1853, ainsi que l’année suivante, l’écrivain effectue un séjour en famille sur la côte française, à Boulogne-sur-Mer. Au mois de mars 1856, il fait l’acquisition d’une maison de campagne à Gad’s Hill Place, près de Rochester. Ceci permet aux couples et à leurs enfants de s’éloigner de Londres.
Au cours de l’été 1857, c’est à Gad’s Hill que l’écrivain reçoit la visite d’Hans Christian Andersen, qui l’admire. Peu après, il fait la rencontre d’Ellen Ternan, une jeune actrice qui a rejoint sa compagnie de théâtre. Celle-ci joue à cette époque à Manchester The Frozen Deep, une pièce écrite en collaboration avec Wilkie Collins. En 1858, Charles Dickens se sépare de sa femme. L’événement a un tel retentissement qu’il doit s’expliquer publiquement sur leur incompatibilité d’humeur. En 1853, paraît "A Child’s History of England" (Histoire d'Angleterre à l'usage des enfants). La même année, Dickens commence à organiser des lectures publiques de ses œuvres. Au mois de décembre, il donne ainsi rendez-vous à ses lecteurs à Birmingham. Cette initiative, qui se fera de plus en plus fréquente, rencontre un immense succès, tant en Angleterre qu'à l’étranger, aux États-Unis notamment, où l’écrivain se rend de nouveau en 1868.
Toujours à son travail d’écriture, Charles Dickens achève "Little Dorrit" en 1855. Quatre années plus tard, son périodique, qui est une réussite artistique et commerciale, change de titre : Household Words(" Paroles familières ") devient ainsi All the Year Around (Tout le long de l’année). Dès le 15 novembre 1859, "A Tale of Two Cities" (Histoire de deux villes) commence à paraître en feuilletons dans ses colonnes. Viennent ensuite "Great Expectations" (Grandes Espérances) l’année suivante puis "Our Mutual Friend"(L’ami commun) en 1864. L’année suivante, au retour d’un de ses fréquents voyages à Paris en compagnie d’Ellen Ternan, Dickens échappe à la mort lors d'un grave accident ferroviaire à Staplehurst, le 9 juin. L’écrivain en demeure choqué pendant quelques temps. S’il poursuit inlassablement ses lectures publiques, devenues payantes en 1858, sa santé se dégrade à présent et ces séances doivent être fréquemment interrompues en 1869, sur l’avis des médecins.
Épuisé, il entame néanmoins un nouveau roman, "The Mystery of Edwin Drood"qui restera inachevé. Contraint de se reposer dans sa propriété de Gad' s Hill, Charles Dickens décède le 9 juin 1870. Il repose à l’abbaye de Westminster, dans le " coin des poètes ".
Sa maison à Londres.
Au 48 Doughty Street, dans le quartier de Bloomsbury à Londres, se trouve le musée Charles Dickens. Ce musée, qui a ouvert ses portes en 1925, se trouve dans la seule maison encore debout de nos jours où l'écrivain a séjourné de 1837 à 1839. Sur quatre étages, les visiteurs peuvent admirer des peintures, des éditions rares, des manuscrits et des meubles originaux ayant appartenu à la famille Dickens, ainsi que de nombreux articles retraçant la vie de l'une des personnalités les plus populaires et les plus aimées de l'ère victorienne.
Charles Dickens et sa famille ont vécu au 48 Doughty Street, d'avril 1837, exactement un an après son mariage avec Catherine à décembre 1839. Ce qui correspond à une période de grande prospérité pour le jeune nouvelliste. La parution des "Pickwick Papers" était un tel succès que c'est grâce aux rentrées d'argent que le couple pu quitter Furnival’s Inn, à Holborn et s'installer à Bloomsbury.
A cette époque, Doughty Street était une rue privée, isolée aux deux extrémités par des portes gardées. Il ne vécut que deux ans et demi en ces lieux, période très courte par rapport à ses autres domiciles, mais c'est durant cette période qu'il écrivit et publia certains de ses plus célèbres travaux, tels que "ThePickwick Papers", "Oliver Twist" et "Nicholas Nickelby". Ce fut une période extrémement active et productive pour lui.
La famille de Dickens augmentait avec sa renommée ; après la naissance de son troisième enfant, il devint nécessaire de rechercher un logement plus spacieux, c'est ainsi qu'ils déménagèrent pour le 1 Devonshire Terrace à Regents Park, demeure qui fut détruite en 1959. La maison de Doughty Street, quant à elle, faillit disparaître en 1923, mais fut sauvée par l'association "the Dickens Fellowship" créée en 1902, qui a soulevé l'hypothèque et racheté la propriété. La maison fut rénovée et le musée Charles Dickens créé. Notons que de son vivant Charles Dickens avait été l'un des principaux instigateurs de la création du musée Shakespeare à Stratford upon Avon.
Dans tous les livres de Dickens, Londres occupe une part importante de l'oeuvre. On découvre au fil des histoires des descriptions remarquablement vivantes des vieilles auberges, de la Tamise, de la City et de l'East End. Dickens travaillait étroitement avec les artistes qui illustraient ses livres, leur donnait un résumé général de ses histoires dès le départ, et approuvait les dessins, s'assurant que les personnages et les décors apparaissaient tels qu'il se les représentait.
Le "Grand Londres" comptait une population de seulement 2,2 millions de personnes en 1841 (contre 7 millions aujourd'hui), et la vie quotidienne était très difficile pour la majorité des habitants. L'espérance de vie pour le Londonien moyen à l'époque de Dickens n'était que de 37 ans et un grand nombre de choses que nous tenons à présent pour acquises, comme de l'eau pure, étaient une rareté. L'air de Londres était très pollué et tout était noir de suie, sauf les immeubles les plus récents. Les rues étaient inondées de boue et d'eaux usées et les piétons devaient faire attention aux pickpockets qui vivaient de leurs larcins.
D'après le Dr Florian Schweizer, du London's Dickens Museum : "Si un Londonien d'aujourd'hui pouvait remonter dans le temps jusqu'à l'époque victorienne, il aurait l'impression que ses cinq sens sont littéralement pris d'assaut. Londres était bruyante, sombre et malodorante, la saleté était repoussante et il régnait une extrême pauvreté dans les quartiers qui sont maintenant les plus à la mode."
Aux yeux d'un visiteur venu d'une petite ville ou de la campagne, le Londres de Dickens serait apparu comme un immense chantier de construction. La City, jusqu'alors quartier résidentiel, était en train de devenir un centre bancaire et financier, et ses anciens résidents se déplaçaient vers les banlieues, faisant chaque jour le trajet vers le centre, les transports en commun avaient fait leur apparition.
La gare ferroviaire de Paddington avait déjà été construite, mais il n'y avait pas encore de métro, et les gares importantes de Waterloo et de King's Cross n'existaient pas.
Buckingham Palace et Trafalgar Square existaient, et la colonne de Nelson fut érigée l'année où parut "A Christmas Carol", mais les quatre lions de bronze qui sont au pied ne seraient sculptés et coulés que plus tard, tout comme la statue d'Eros à Piccadilly. Le Royal Albert Hall n'existait pas (il fut bâti en l'honneur du mari très aimé de la reine Victoria, le prince Albert, après la mort de celui-ci, pour devenir un centre des arts et des sciences, grâce aux recettes de la Grande Exposition de Crystal Palace qu'Albert avait organisée en 1851). Tower Bridge non plus n'existait pas.
La tour de l'horloge qui abrite Big Ben était en construction, tout comme le palais de Westminster, les bâtiments originaux ayant été détruits par le feu en 1834. Le musée de cire de Madame Tussaud, qui est encore aujourd'hui l'une des attractions touristiques les plus populaires de la ville, a ouvert ses portes en 1835 à l'emplacement actuel, dans Baker Street. Dickens vécut tout près de là et se rendait fréquemment au musée.
A l'époque de Dickens, les rues de Londres étaient éclairées au gaz, par des réverbères, et des centaines d'allumeurs de réverbères sillonnaient la ville pour les allumer à la tombée de la nuit.
Il n'y avait pas de voiture du temps de Dickens, et pour les riches, la façon la plus rapide de se déplacer était à cheval ou en voiture à cheval. On estime aux environs de 250 000 le nombre de chevaux travaillant dans la ville au milieu du XIXe siècle. Le célèbre métro de Londres, l'Underground, fit de timides débuts en 1863 avec l'ouverture d'une ligne longue de six kilomètres reliant Paddington à Farringdon Street. Les trains de cette ligne souterraine étaient tous à vapeur.
Les riches de l'époque victorienne se reposaient sur des domestiques - femmes de chambre, majordomes, bonnes d'enfant, jardiniers et cuisiniers - pour subvenir à leurs moindres besoins, et il y avait environ 120 000 domestiques à Londres à l'époque de Dickens. Les hommes employés dans les ateliers et fabriques de la ville travaillaient dans des conditions difficiles et souvent dangereuses, parfois pendant douze heures d'affilée. Les enfants travaillaient eux aussi, dès l'âge de cinq ans, nettoyant les cheminées, faisant les commissions, balayant les rues, cirant les chaussures, et vendant des allumettes ou des fleurs. Dickens lui-même travailla dans une fabrique de cirage quand il avait douze ans, alors que son père était en prison pour dettes.
Ce n'est qu'en 1870 que l'école est devenue obligatoire pour les enfants de cinq à douze ans. On utilisait alors des ardoises pour écrire, et les leçons se concentraient essentiellement sur les bases de la lecture, de l'écriture et de l'arithmétique. Les professeurs pouvaient punir les enfants qui n'apprenaient pas bien leurs leçons en les obligeant à porter un bonnet de cancre en classe. Ils pouvaient aussi recevoir des coups de canne. Les enfants attendaient avec impatience leurs deux semaines de congés à Noël, une semaine à Pâques et trois à quatre semaines en juillet et août.
La Metropolitan Police, la police métropolitaine de Londres, fait son apparition dans les rues en 1829. Ses 3000 membres devaient porter l'uniforme bleu et le haut-de-forme en toutes circonstances, même lorsqu'ils n'étaient pas en service. Les pendaisons publiques étaient encore chose courante à l'époque de Dickens et l'auteur lui-même a assisté à une pendaison dans une prison de Londres en 1849. Il a écrit par la suite plusieurs lettres au Times en réclamant l'abolition de tels spectacles publics.
Au moment où Dickens écrivit Un chant de Noël, les restaurants étaient encore rares à Londres et n'étaient accessibles qu'aux riches. Les moins nantis préparaient leurs repas chez eux sur un foyer ouvert. Le "range" (fourneau), ancêtre victorien de la cuisinière moderne, n'a été inventé que dans les années 1840 et est resté un article de luxe pendant plusieurs années. Les Londoniens les plus pauvres vivaient souvent dans des maisons ne possédant aucune installation pour cuisiner et devaient acheter leurs repas dans les échoppes et les magasins ou aux vendeurs ambulants. Certains commerçants peu scrupuleux mélangeaient de la sciure de bois, des cendres, de la craie ou même de la poudre d'os à la nourriture qu'ils vendaient.
Le lait était un plaisir rare pour la plupart des Londoniens parce qu'il n'existait aucun moyen de le conserver au frais et avant le développement du chemin de fer, il était impossible d'en livrer en ville tous les jours. Même le thé était cher parce qu'il était lourdement taxé. Il n'est donc pas surprenant que nombre de Londoniens du XIXe siècle se soient tournés vers l'alcool. Le gin et la bière étaient très bon marché et il a été calculé qu'il y avait un pub ou un magasin vendant de l'alcool tous les cent mètres dans la plupart des rues de Londres.
Les Victoriens ne comptaient que sur eux-mêmes pour se divertir. On jouait beaucoup à des jeux de cartes comme le whist ou le bridge, aux échecs et au backgammon, et à des jeux de salon comme les charades ou le Blindman's Buff (colin-maillard). Les enfants jouaient aux billes, à la toupie, au cerceau ou à la poupée. La lecture était aussi très populaire, et Dickens a écrit certains des plus grands best-sellers de son époque.
Dans les années 1840, on avait abandonné les modes flamboyantes de la génération précédente et on portait souvent des vêtements de couleur sombre, en partie à cause de la suie omniprésente. Les riches faisaient faire leurs vêtements par des tailleurs ou des couturières. Tous les autres achetaient leurs habits dans des boutiques d'occasion. Le premier costume en prêt-à-porter ne sera disponible qu'au milieu des années 1850.
La meilleure source d'information sur la vie à Londres à l'époque de Dickens reste l'œuvre elle-même de ce grand écrivain. Très souvent, Dickens allait faire de grandes promenades à pied, pouvant aller jusqu'à 15 ou 20 kilomètres, dans les rues de la ville, et il racontait ensuite ce qu'il avait vu et entendu dans ses livres.
Fils du peintre John Butler Yeats, William Butler Yeats, est un poète irlandais, né le 13 juin 1865 à Sandymount (Dublin) et mort le 28 janvier 1939 à Roquebrune-Cap-Martin, en France. Yeats est l'un des instigateurs du renouveau de la littérature irlandaise et co-fondateur de l'Abbey Theatre.
Ses premières œuvres aspiraient à une richesse romantique, ce que retrace son recueil publié en 1893 "Crépuscule celtique", mais la quarantaine venant, inspiré par sa relation avec les poètes modernistes comme Ezra Pound et en lien avec son implication dans le nationalisme irlandais, il évolua vers un style moderne sans concession. Yeats fut aussi un sénateur de l'État libre d'Irlande (Seanad Éireann).
Quand Yeats avait deux ans, sa famille déménagea d'abord de Sandymount, Comté de Dublin, au Comté de Sligo, puis à Londres pour permettre à son père John de poursuivre sa carrière d'artiste. Les enfants Yeats furent éduqués à la maison. Leur mère, nostalgique de Sligo, leur racontait des histoires et des contes de leur comté d'origine.
En 1877, il entre à la Godolphin School pour quatre ans et n'y brille pas particulièrement. C'est là que s'éveille son nationalisme irlandais. Pour des raisons financières, la famille retourne à Dublin vers la fin des années 1880, d'abord dans le centre de la ville puis dans la banlieue de Howth.
En octobre 1881, Yeats termine intègre la Erasmus Smith High School de Dublin. L'atelier de son père est situé non loin et il passe une grande partie de son temps à fréquenter de nombreux artistes et écrivains de la ville. Il reste dans cette école jusqu'en décembre 1883.
C'est pendant cette période qu'il commence à écrire des poèmes et en 1885, ses premiers poèmes, ainsi qu'un essai titré "La poésie de Sir Samuel Ferguson", sont publiés dans la Dublin University Review. De 1884 à 1886, il étudie à la Metropolitan School of Art (actuellement le National College of Art and Design).
Déjà avant d'écrire de la poésie, Yeats associait celle-ci à des idées religieuses.
La poésie de Yeats à cette période est largement imprégnée de mythes et de folklore irlandais mais aussi de la diction des vers pré-raphaélites. C'est Percy Bysshe Shelley qui exerce alors sur lui la plus grande influence et cela demeurera ainsi tout au long de sa vie.
En 1889, Yeats rencontre Maud Gonne, une jeune héritière qui commençait alors à se consacrer au mouvement nationaliste irlandais. Maud Gonne aimait le poème de Yeats "The Isle of Statues".
Deux ans plus tard, Yeats lui propose une vie commune, mais elle refuse. Et ainsi trois fois par la suite en 1899, 1900 et 1901. Elle épouse finalement en 1903 le nationaliste catholique John MacBride. Cette même année Yeats séjourne quelques temps en Amérique et y rencontre Olivia Shakespeare.
En 1896, il est présenté à Lady Gregory par leur ami commun Edward Martyn. Lady Gregory encourage le nationalisme de Yeats et le persuade de continuer à écrire des pièces de théâtre. Bien qu'influencé par le Symbolisme français, Yeats se concentre sur des textes d'inspiration irlandaise, ce penchant est renforcé par l'émergence d'une nouvelle génération d'auteurs irlandais.
Avec Lady Gregory, Martyn et d'autres écrivains parmi lesquels J M Synge, Sean O'Casey, et Padraic Colum, Yeats fonde le mouvement littéraire connu sous le nom de Irish Literary Revival (ou encore Celtic Revival).
Ce groupe acquiert une propriété à Dublin où ils ouvrent l'Abbey Theatre le 27 décembre 1904. La pièce de Yeats "Cathleen Ni Houlihan" et celle de Lady Gregory, "Spreading the News", sont données lors de la soirée d'ouverture. Yeats continuera à s'occuper de ce théâtre jusqu'à sa mort, à la fois comme membre du comité de direction et comme dramaturge.
Contemporain de Wilde, il oscille longtemps entre le Londres décadent de la fin du XIXe siècle et l'Irlande en pleine ébullition indépendantiste. Ses premières poésies se caractérisent par un usage marqué de symboles repris de traditions diverses (irlandaise, kabbale, catholicisme, grecque et romaine). Les œuvres de la maturité forment une véritable cosmogonie. William Butler Yeats conçoit son œuvre comme un tout organique. Chaque poème correspond à une pièce du système général, sensé expliquer l'univers dans son entier. Ce travail aboutit à une trame élaborée, principalement inspirée par une passion pour l'occulte et des souvenirs de la mythologie de Blake. Cependant, les figures bibliques de Blake sont remplacées, chez Yeats, par des motifs tels que la Grande Roue, symbole de toutes les phases de l'Histoire et de toutes les incarnations de l'homme. Ce canevas fournit au poète une imagerie riche, regorgeant de sens symboliques.
William Butler Yeats reçoit le Prix Nobel de littérature en 1923. Le Comité Nobel qualifie alors son œuvre de "poésie toujours inspirée, dont la forme hautement artistique exprime l'esprit d'une nation entière".
Cependant ses chefs-d'œuvre, "La Tour" (1928) et "L'Escalier en spirale" (1933), sont postérieurs à cette reconnaissance suprême.
Thoor Ballylee sa maison.
En 1917, William Butler Yeats fit l'acquisition de cette tour fortifiée du 16ème siècle, afin de se rapprocher de Coole Park, résidence de Lady Gregory, avec qui il fonda l'Abey Theater de Dublin.
Cette maison forte qui servit onze ans de résidence d'été à William Butler Yeats sa femme et ses deux enfants, est un symbole très présent dans son oeuvre poétique, comme en témoigne l'inscription sur le mur qui fait face à la route.
Il passa le plus clair de ses étés à réaménager les 4 étages de la tour. Il dut l'abandonner en 1928. En 1964, la Kiltartan Society entreprit la restauration du bâtiment, avec le cottage de meunier et la roue de moulin attenants.
Cette tour était un ancien château normand, construit par la famille de Burgo au 16ème siècle. Elle comporte quatre étages, d'une pièce chacun, reliés par un escalier de pierre en spirale, construit dans l'épaisseur du mur externe massif. Chaque étage possède une fenêtre donnant sur la rivière attenante. Sur le toit, une terrasse, que l'on peut atteindre par un escalier très raide partant du dernier étage.
Ce donjon, qui inspira nombre de ses oeuvres, fut restauré en 1961 et inauguré, en même temps que le musée en 1965, l'année du centenaire de la naissance du poète. On peut y voir une collection très intéressante rassemblant les premières éditions des oeuvres de William Butler Yeats, ainsi que des objets, des meubles et des photographies ayant appartenu à la famille.
Ne pas oublier de passer voir à Coole Park, l'arbre aux autographes, où les plus grands auteurs irlandais ont gravé leurs initiales (W. B. Yeats, G. B. Shaw, J.M. Synge, S. O'Casey...)
"Le silence est fait de paroles que l'on n'a pas dites".
Marguerite Yourcenar est née le 8 juin 1903, avenue Louise, à Bruxelles. Sa mère, Fernande, était belge, son père Michel de Crayencour, français, né à Lille, descendait d'une famille de petite noblesse. Fernande mourut 10 jours après la naissance de son enfant.
Michel revint dans la propriété de campagne de ses parents, un château louis-philippard de dix-huit pièces, à deux pas de la frontière belge, le Mont-Noir, détruit par les bombardements de la Grande Guerre. Une bonne s'occupa de Marguerite mais le grand mérite de ce père sera de ne jamais s'être séparé de sa fille, lui qui avait un goût si prononcé pour l'ailleurs, les voyages, la nouveauté.
Nous connaissons quelques miettes de l'enfance de Marguerite. Elle ne fréquenta aucune école. Des institutrices se succédaient à la maison. Elle passa plusieurs hivers dans le Midi de la France où séjournait son père attiré à Monaco par le tropisme du jeu, la compagnie des jolies femmes, autant d'occasions pour dilapider au fil des ans et jusqu'à la ruine, le bel héritage parental.
Michel de Crayencour et sa fille passèrent la première année de la Grande Guerre à Londres, où l'adolescente apprit promptement l'anglais puis ils s'établirent quelque temps à Paris. Marguerite y poursuivit ses études sous le magister de précepteurs intermittents. La visite des musées, d'églises de confessions différentes, la fréquentation des meilleures salles de spectacles comblaient la curiosité précoce de Marguerite et orientaient ses goûts. À Nice, elle obtint la première partie du baccalauréat latin grec qui restera son seul bagage universitaire. Dès l'âge de 16 ans, elle compose des poèmes reniés plus tard. Par jeu elle fabrique avec son père, l'anagramme qui deviendra son nom légal en 1947, Yourcenar. L'initiale Y, symbole d'un arbre aux bras ouverts ne fut pas pour elle, comme le philosophe autrichien Rudolf Kassner le lui fit remarquer plus tard, le moindre prix de ce pseudonyme. Elle lit beaucoup, fréquemment avec son père, fin lettré. Leur choix se portait sur des ouvrages appartenant à la littérature universelle. Michel de Crayencour mourut en 1929 à Lausanne (Suisse) peu avant la parution du premier roman de sa fille, Alexis ou le traité du vain combat. Et de 1929 à la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, Marguerite Yourcenar livrée à elle-même voyage beaucoup à travers l'Europe. Ces pérégrinations n'excluent pas le travail littéraire. En 1931, elle compose un roman, La Nouvelle Eurydice, une pièce de théâtre, Le Dialogue dans le Marécage, et quelques poèmes. En 1933, Denier du rêve et La Mort conduit l'attelage, recueil de trois nouvelles qui, détachées et complétées, deviendront les chefs-d'œuvre de l'avenir.
Un jeune critique et romancier, son contemporain, André Fraigneau, ne resta pas indifférent à ces premières productions. La jeune femme de lettres de son côté, s'éprit d'un amour fou pour son thuriféraire, passion qui ne fut pas payée de retour. Sous le couvert de mythes empruntés à l'Antiquité mais modernisés, interrompus par de brèves confidences personnelles, le drame de cet amour refusé devint le sujet d'un recueil poétique émouvant, Feux.
Peu après cet échec sentimental, Marguerite Yourcenar se lia d'amitié avec le poète grec André Embiricos, compagnon de voyages dans l'archipel balkanique. Elle composa alors la superbe série des Nouvelles orientaleschaudement accueillies par la critique.
Et en 1937, à Paris, se place une rencontre déterminante pour la vie de Marguerite Yourcenar, celle d'une universitaire américaine de son âge, Grace Frick. Après quelques voyages en Europe, les deux amies se séparent. Grace rentre aux États-Unis tandis que Marguerite compose à Capri, Le Coup de Grâce, roman au titre ambivalent. Sous prétexte de raconter l'histoire tragique de deux jeunes gens pris dans la tourmente des guerres baltiques au début du XXème siècle, le titre et le contenu de l'ouvrage pourraient suggérer la fin des amours passés et l'apparition de Grace dans la vie affective de la romancière.
À la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, Grace Frick invite Marguerite Yourcenar désemparée à se rendre aux États-Unis. Celle-ci s'embarque pour un séjour de six mois qui se prolongera pour devenir toute une vie. En 1942, les deux amies découvrent sur la côte de l'État du Maine au nord-est des États-Unis, l'île des Monts-Déserts où la nature est très belle. Elles y acquièrent une modeste maison en bois toute blanche qu'elles agrandissent, aménagent avec goût et baptisent Petite Plaisance. C'est là, dans cette "cellule de la connaissance de soi" maçonnée de livres (on en a dénombré près de 7000) que la romancière a composé le reste de son œuvre, autrement dit ses chefs-d'œuvre.
Ce n'était pas une entrée en solitude. La porte était ouverte à de nombreux amis. Le voisin le plus proche disait : "Discuter avec Madame, c'était comme ouvrir une encyclopédie". Madame travaillait beaucoup sans assiduité toutefois. Elle s'interrompait pour pétrir le pain, balayer le seuil, après les nuits de grand vent ramasser le bois mort. Le climat subpolaire de l'île poussait les deux occupantes à quitter leur gîte pendant l'hiver. Elles parcouraient l'Europe des pays scandinaves aux îles Canaries, de l'Angleterre à Leningrad. Marguerite Yourcenar donnait des conférences et engrangeait à chaque déplacement des connaissances utiles pour ses œuvres en gestation.
Rôdant à travers le monde, elle justifiait la question posée par Zénon, le protagoniste de L'Œuvre au noir : "Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait au moins le tour de sa prison ?"Hélas ! Un mal incurable frappa son amie qui pendant vingt ans lutta avec un héroïsme acharné, contre le cancer qui la rongeait. Les dernières années de souffrance de la malade, Marguerite Yourcenar condamnée à la claustration écrivit, résignée : "On voyage toujours, on voyage avec la terre". Grace Frick mourut le 18 novembre 1979, manquant de peu la consécration de son amie, l'élection à l'Académie française.
Pendant ces années de compagnonnage, la romancière libérée de toute préoccupation terre à terre, élabora ses deux grands chefs-d'œuvre, longtemps mûris, souvent repris, Mémoires d'Hadrien paru en 1951 et L'Œuvre au Noir en 1968, au moment de la grande crise universitaire et sociale qui secouait la France, des Essais dont le plus important s'intitule : Sous bénéfice d'inventaire, des traductions, hommages rendus les unes à la poésie des Noirs américains, sous le titre Negro Spirituals, les autres à la poésie grecque du septième siècle avant J.C. au sixième siècle de notre ère, La Couronne et la Lyre ainsi que les deux premiers volumes de sa chronique familiale, Le Labyrinthe du monde.
Jean d'Ormesson fut l'artisan principal de l'élection révolutionnaire d'une femme à l'Académie française. Très lié à Roger Caillois, grand admirateur des œuvres de Yourcenar, il proposa tout naturellement celle-ci au fauteuil de celui-là. La lutte pour l'élection fut rude. On reprochait pêle-mêle à la candidate d'être une femme, d'être laide, d'avoir trop lu, d'avoir la nationalité américaine, de mépriser les Juifs, de refuser la visite traditionnelle aux Académiciens cependant pas obligatoire, arguments plus ou moins fallacieux. La cérémonie d'investiture le 27 janvier 1981, fut solennelle; le discours de la récipiendaire d'une haute et brillante tenue.
L'académicienne ne fréquenta guère les bancs de son Académie. Immédiatement reprise par la soif des voyages elle se rendit au Kenya, en Inde avec un jeune et nouveau compagnon, Jerry Wilson, dont la disparition en 1986, laissa un vide irréparable dans l'existence de la romancière désormais lasse et seule. Elle termine en 1982 la rédaction de son dernier livre, Un homme obscur, beau roman testamentaire où l'on retrouve Marguerite Yourcenar célébrant la flore et la faune, l'amour, gloire éphémère, lumière dans la vie, et une fois encore exprimant l'angoisse d'un homme près de mourir.
Elle ne parvient pas à mener à son terme le dernier volume de sa trilogie familiale. Quoi ?L'Éternité, titre emprunté à une poésie de Rimbaud qui répondait à sa propre interrogation :
C'est la mer mêlée au soleil.
Marguerite Yourcenar est décédée le 17 décembre 1987 des suites d'un accident cérébral. Ses cendres serrées dans deux étoles blanches puis enveloppées dans le châle qu'elle portait le jour de sa réception à l'Académie française reposent à côté de celles de Grace Frick au cimetière de Somesville, non loin de Petite Plaisance.
Le 16 janvier suivant, se déroula une cérémonie à la mémoire de la défunte en l'église de l'Union Church à Northeast Harbor. On y lut des textes choisis par ses soins dont un poème d’une religieuse bouddhiste du XIXème siècle :
Soixante-six fois mes yeux ont contemplé les scènes changeantes de l’automne J’ai assez parlé du clair de lune Ne me demandez plus rien Mais prêtez l’oreille aux voix des pins et des cèdres quand le vent se tait.
Puis Walter Kaiser, ami et dernier traducteur de la romancière, prononça un hommage funéraire à la mémoire de celle qui :
"savait que le destin de l’homme est inexorablement tragique et que, comme le chante Job, l’homme, né de la femme, a la vie courte, mais des tourments à satiété. Elle savait aussi, comme Pindare, que l’homme n’est que l’ombre furtive d’un rêve et comme Hamlet, qu’il n’est qu’une transitoire quintessence de poussière. Elle savait les empires éphémères, les amours fugitives, la terre elle-même périssable. (…). Elle pensait avec Keats que ce monde est une vallée où se forge l’âme, où notre intelligence ne devient âme que dans la brûlante alchimie des douleurs et des maux."
Lire l'œuvre de Marguerite Yourcenar, c'est se familiariser avec une méditation approfondie sur la condition humaine, méditation servie par un style d'une perfection exemplaire.
Le Mont Noir sa demeure.
Le Mont Noir est une colline de 152 mètres d'altitude située dans les monts des Flandres à la frontière franco-belge. Il tire son nom de la présence d'une forte concentration de pins noirs dans le bois qui culmine cette colline. Trois communes se partagent le Mont Noir, deux en France (Saint-Jans-Cappel et Boeschepe) et une en Belgique (Westouter). Situé à l'emplacement d'un ancien poste-frontière, le fait d'être à cheval sur deux pays a été un facteur important du développement de l'endroit, en raison des différences entre les taxes belges et françaises : de nombreux commerces, hébergements, restaurants et même un casino s'y sont d'abord installés, suivis par des infrastructures de loisirs.
Quelques mois après le décès de sa mère (en 1903), Marguerite de Crayencour (alors âgée de 6 mois) rejoint le Mont-Noir avec son père, dans la propriété de sa grand-mère paternelle. Elle y passe toute son enfance, jusqu’à la vente du château familial en 1912. Elle mène une vie campagnarde et aisée, entourée d’un immense parc, d’animaux et se lie avec les "gens de maison", tout en étant "la petite fille du château". Son père veille à son éducation. L’hiver se passe à Lille, dans une autre propriété de la grand-mère.
"Je dois pourtant beaucoup au Mont-Noir. J’y ai les plus anciens souvenirs que je puisse réussir à dater, […] je lui dois, ce qui compte beaucoup pour moi, ma première familiarité avec les bêtes et les plantes ; j’y ai entrevu ce qu’était la routine journalière de la vie à la campagne d’autrefois, et mon intimité, si facile pour un enfant, avec les gens de maison, presque tous originaires de Saint-Jans-Cappel ou de villages voisins […]. Les Gilles Rombaut, les vieilles Greete, les Josse Kassel et autres personnages populaires de L’Œuvre au Noir sont souvent pour une part inspirés de lointains souvenirs de ce temps-là. En ce qui me concerne, j’ai toujours regretté que mon père ait vendu cette propriété […]. S’il l’avait gardée, […] ç’aurait été quelque chose que de posséder ce pan de colline sous un très beau ciel".
Cette citation, extraite de la lettre écrite à Daniel Ribet par Marguerite Yourcenar le 25 janvier 1975, souligne l’importance du Mont Noir dans la vie et l’œuvre de Marguerite Yourcenar. Le Mont Noir est l’un des trois monts des Flandres de France. À flanc de cette colline, en 1824, le bisaïeul de Marguerite Yourcenar avait fait construire un château qui fut habité par la famille de Crayencour jusqu’à sa vente en 1912. Détruit en 1917 lors des bombardements, le château ne fut jamais reconstruit. Sur le Mont-Noir, seul subsiste aujourd’hui le pavillon du garde et les écuries qui ont été transformées en Centre de Résidence d’Écrivains Européens "Villa Marguerite Yourcenar".
Suite aux vœux de Marguerite Yourcenar, l’emplacement du domaine est aujourd’hui un parc naturel au sein duquel il est possible d’admirer la floraison des jacinthes en mai, le sous-bois aux oiseaux, la grotte que l’auteur, enfant, fleurissait ; ainsi que les arbres, l’étang et les rhododendrons qui ont entouré les premières années de Marguerite Yourcenar dépeintes dans Archives du Nord.
Le Musée Marguerite Yourcenar a été créé en 1985 à Saint-Jans-Cappel à l’initiative de Louis Sonneville, instituteur du village, pour rappeler que Marguerite Yourcenar a passé son enfance au Mont-Noir. Ce musée communal, ensuite associé à la Fondation Marguerite Yourcenar, a étendu sa vocation à la préservation du patrimoine littéraire et naturel chérit par l’auteur. Le château des Cleenewerk de Crayencour, au sommet du Mont Noir, dépendait administrativement du village de Saint-Jans. Le musée est géré par l’association des Amis du Musée de Marguerite Yourcenar qui promeut le développement culturel et garantit la pérennité du musée. Le Musée de Saint-Jans-Cappel et le CIDMY travaillent en étroite collaboration afin de permettre au public de connaître la vie et l’œuvre de Marguerite Yourcenar. Le musée offre la possibilité d’accéder à une exposition permanente sur l’enfance de l’auteur et son parcours d’écrivain ; une pièce reconstitue un concentré de "Petite Plaisance". Une vidéo retraçant le parcours de Marguerite Yourcenar y est proposée aux visiteurs ainsi que des promenades de groupes sur le "Sentier des Jacinthes".
"Ici, il y a comme en Hollande, comme dans la Flandre belge, je dirais même dans le Danemark, ces immenses paysages plats avec de grands ciels, où les nuages changent sans cesse l'immensité du ciel, l'humilité et la modestie, et en même temps, la solidité des constructions humaines paysannes, la beauté des arbres, la beauté des grandes rangées d'arbres dessinant, en quelque sorte, la ligne de l'horizon et la beauté d'une atmosphère qui change sans cesse, comme dans certains tableaux du XVIIè siècle, qui ont merveilleusement senti cette beauté particulière du Nord. " Seul obstacle naturel - et, à chaque siècle, obstacle stratégique aussi - sur ces terres basses, surgit la quadruple vague de ces monts de Flandre "qu'ailleurs on appellerait des collines".
On entre à pied dans le parc en contournant le "joli pavillon de concierge" mentionné par l'affiche de la mise en vente du château, où habitait Marie Joye, la fille des gardiens. La petite fille du château, que les habitants de Saint-Jans-Cappel appelaient au début du siècle - et que certains évoquent encore ainsi aujourd'hui- "T Meisje van't Kasteel", était sa compagne de jeux. Elles se reverront avec bonheur en 1954, en 1968, en 1980…
En contrebas, la bergerie abritait alors "un gros mouton tout blanc qu'on savonnait chaque samedi dans la cuve de la buanderie" (Quoi ? L'Eternité). Ce bâtiment est en briques rouges, matériau caractéristique de la région et qui fut utilisé pour le château, bien sûr, mais aussi pour les dépendances encore visibles aujourd'hui : le pavillon de concierge, les écuries, le chalet aux chèvres, le chalet aux roses. Derrière le mur, on peut encore emprunter l'allée qu'évoque Marguerite lorsqu'elle retrace le matin joyeux d'une journée de septembre 1866 qui s'achève en tragédie, puisque Gabrielle, la sœur aînée de Michel de Crayencour, y a trouvé la mort : "la petite cavalcade s'ébranle gaiement le long de l'allée de rhododendrons qui mène à la grille"(Archives du Nord). Au-dessus des écuries, une petite clairière : surplombant le théâtre de verdure, le mur de fondation de l'ancien château des Crayencour se devine plus qu'il ne se voit. "Noémi, Michel, Marguerite, Azélie, Barbe, le vieux cocher Achille, le chauffeur César qui réussissait auprès des femmes, … c'était ici. Azélie, la garde experte en puériculture, que Michel a engagée quand sa jeune femme décida de rentrer à Bruxelles accoucher dans le voisinage de ses sœurs, a consenti à venir passer l'été au Mont-Noir pour former Barbe, naguère femme de chambre de la morte, maintenant promue au rang de bonne d'enfant. ces deux personnes, servies par les autres gens de maison, logent avec la petite dans la grande chambre ovale de la tour, fantaisie gothique de ce château louis-philippard " (Quoi ? L'Eternité).
Une lettre qu'adresse Marguerite Yourcenar, le 23 décembre 1980, à son ami de Saint-Jans-Cappel, Louis Sonneville, fait part de l'émotion ressentie après avoir passé quelques heures sur ce Mont-Noir où elle gambadait, petite fille : "dites à Monsieur et Madame Dufour (en 1980, ils étaient propriétaires de la villa édifiée au-dessus des anciennes écuries du château) que l'un des plus beaux moments de la journée a été celui où j'ai pu considérer un peu longuement, d'une fenêtre de leur chambre à coucher, le paysage presque identique à celui que je regardais de ma chambre d'enfant. Le temps était aboli" ; un paysage dessiné comme ceux des albums de Croy avec, au premier plan, un verger, au second plan des prés et des bois, le village de Saint-Jans-Cappel et, à l'arrière-plan, le beffroi de Bailleul, des champs, des terrils du pays minier, les collines d'Artois.
Non loin, se dressent deux édicules : vers le bas, un joli kiosque de briques et de tuiles, le chalet aux chèvres, vers le haut, un surprenant cabinet d'aisance à deux entrées -celle des maîtres et celle des domestiques-, poétiquement baptisé le chalet aux roses, qui porte la date de 1858.
"Le Mont Noir dont j'ai une connaissance intime puisque c'est sur lui que j'ai vécu enfant". (Archives du Nord)
" Mais que voudrais-je revoir ? Peut-être les jacinthes du Mont Noir ou les violettes du Connecticut au printemps ". (Les yeux ouverts)
"L'art est beau quand la main, la tête et le coeur travaillent ensemble".
John Ruskin (8 février 1819 - 20 janvier 1900) est un écrivain, poète, peintre et critique d'art britannique, issu d’une famille d’origine écossaise. Son père, M. John James Ruskin, Écossais d’origine, était à la tête d’une importante maison de vins à Londres. Après des débuts assez difficiles dans la vie, il jouissait d’une large aisance qui devint bientôt une véritable richesse, car, à sa mort, il laissa à son fils une fortune de cinq millions. Il avait épousé sa cousine, Margaret Cox, une de ces presbytériennes à la fois, sévère pour elle et pour les autres. Elle se consacra à son fils avec un entier dévouement, mais sa tendresse maternelle n’influait pas le moins du monde sur l’austérité de son caractère. "Elle semblait n’avoir jamais eu l’idée de faire plaisir à un enfant, en quoi que ce soit", dit Mrs Ritchie Thackeray en parlant d’elle. Le petit enfant recevait régulièrement le fouet chaque fois qu’il était capricieux ou importun, ou même lorsqu’il tombait dans l’escalier. Ceci pour lui apprendre l’adresse.
Il ne lui était pas non plus permis de posséder des jouets. Un jour, cependant, une bonne tante lui avait fait cadeau d’un polichinelle accompagné de sa femme, car en Angleterre ce célèbre personnage ne se présente guère sans son épouse, Juddy. Ces deux pantins étaient articulés, dorés, superbes. Mrs Ruskin fut bien forcée de les accepter, mais lorsque la généreuse parente ne fut plus là, elle déclara à son fils "qu’il n’avait pas besoin de cela ", et l’enfant ne revit plus son beau jouet.
Naturellement, les bonbons n’étaient pas non plus admis. Le jardin de ses parents, racontait Ruskin plus tard, était pour lui un paradis terrestre, avec cette différence que aucun animal n’y était soumis à l’homme et que tous les fruits y étaient défendus, ces fruits, disait-il, "d’une magnifique abondance, vert tendre, ambre doux, pourpre velouté, courbant les branches épineuses ; grappes de perles et pendeloques de rubis qu’on découvrait avec joie sous les larges feuilles qui ressemblent à de la vigne". Lorsqu’on permettait au petit garçon d’en goûter, cette permission se limitait à un seul grain de groseille.
Comme il arrive souvent en pareil cas, et quelquefois au détriment de la tranquillité des parents, l’enfant, privé de jeux, s’en faisait avec ce qui l’entourait, et peut-être ce système contribua-t-il à développer sa faculté d’observation. Il se faisait des spectacles de tout, du mouvement de l’eau courante, des formes changeantes des nuages, des différences de nuances du feuillage dans le jardin.
Cette disposition était, du reste, un don de famille. Tout négociant de vin qu’il fût, M. John James Ruskin était artiste en même temps ; il peignait à l’aquarelle, s’enflammait, s’enthousiasmait. Il aimait beaucoup les voyages, et l’austère Mrs Ruskin partageait ce goût. Tout petit, John accompagnait ses parents dans de longues excursions que l’on faisait dans une petite voiture conduite par M. Ruskin ; l’enfant était devant, assis entre son père et sa mère sur un petit portemanteau, sa bonne derrière.
Vers sa dixième année, ses parents l’emmenèrent dans de véritables et beaux voyages. La vue des montagnes surtout le jetait dans de véritables extases. L’on dit que, lorsque, petit enfant, son portrait avait été fait par James Northcote, on lui avait demandé ce qu’il voulait qu’on lui donnât comme fond de tableau et qu’il avait répondu : "Des collines bleues".
À quatorze ans, il décrit en vers ses sensations à l’approche de ses collines bien-aimées : "Un frisson d’étranges délices le fait trembler lorsqu’il les voit s’élever à l’horizon, comme un nuage d’été".
Ce fut à Schaffhouse, vers cette époque, qu’il éprouva en voyant les Alpes pour la première fois une impression si forte qu’elle lui parut une véritable révélation du beau et une invitation irrésistible à le faire aimer de ses semblables :
"Le soleil allait se coucher lorsque nous atteignîmes une sorte de jardin-promenade fort au-dessus du Rhin, racontait le poète, encore ému, bien des années plus tard. Il était placé de façon à commander toute la campagne, au Sud et à l’Ouest. Nous regardions ce paysage, aux ondulations basses bleuissant dans le lointain, comme nous aurions regardé un de nos horizons du Molvem dans le Worcestershire ou de Dorking dans Kent lorsque soudainement... voyez... là-bas !
Aucun de nous n’eut un seul instant l’idée de les prendre pour des nuages. Leurs contours étaient clairs comme du cristal, elles se dessinaient en s’effilant sur le fond pur du ciel, et le soleil couchant les colorait déjà en rose. Les murs de l’Eden perdu ne nous auraient pas semblé plus beaux, s’ils nous étaient apparus, ni les murailles de la mort sacrée plus imposantes... Alors, dans la parfaite santé de la vie et le feu du cœur, ne désirant rien être autre que l’enfant que j’étais, ne rien avoir de plus que ce que j’avais, connaissant la douleur suffisamment pour considérer la vie comme sérieuse, mais pas assez pour relâcher les liens qui m’attachaient à elle, ayant assez de science unie à mes impressions pour que la vue des Alpes me fût non seulement la révélation de la beauté de la terre, mais aussi l’accès à la première page de son volume, je redescendis de la terrasse de Schaffhouse avec ma destinée fixée en tout ce qu’elle devait avoir de sacré et d’utile".
Il s’enthousiasmait d’un enthousiasme si intense, qu’il arrivait à communiquer à ses disciples ce qu’il sentait, comme par une force magnétique, même quand sa parole, souvent obscure, laissait sa pensée vague et à demi voilée.
Il devait rester fidèle à cette vocation de "poète du beau" telle qu’il l’avait conçue. En attendant, cet enfant rêveur était loin d’être un oisif. Bien que sa santé, déjà délicate, l’ait pendant longtemps empêché de suivre les cours d’une école quelconque, il travaillait beaucoup à la maison, soit avec sa mère, qui lui donnait des leçons avec une régularité parfaite, soit avec divers professeurs.
À partir de 1828, il put jouir de la société d’une petite cousine, Marie Richardson, que M. et Mrs Ruskin avaient recueillie après la mort de sa mère et qu’ils traitaient en fille. À cinq ans, il était déjà un dévoreur de livres ; à six, il commençait à en fabriquer lui-même.
Il les écrivait en lettres d’imprimerie et avait l’ambition de se faire lui-même toute une bibliothèque.
Sa première œuvre fut une imitation de "Harry et Lucy", un des plus célèbres d’entre les ouvrages d’éducation de Miss Edgeworth. Dans celui de John, il se trouve une maman qui fait toujours de la morale, un papa qui aime la littérature, qui sont exactement le portrait des parents de l’auteur.
Il écrivait aussi le récit de ses voyages. Généralement, ses œuvres enfantines étaient destinées à être offertes à son père le jour d’un anniversaire, ou comme cadeau de nouvel an.
John avait seize ans lorsque son père, qui depuis longtemps lui faisait apprendre le dessin, trouva qu’il avait fait assez de progrès pour qu’on pût l’admettre à "la promotion à la botte de couleurs", comme il disait, et peignant lui-même à l’aquarelle, il procura à son fils les leçons d’un excellent maître de ce genre. John n’en profita que peu de temps, il fit pour développer ce nouveau talent ce qu’il avait fait déjà pour la lecture et l’écriture et trouva qu’il arrivait mieux à son but en travaillant lui-même, guidé par son propre instinct, qu’en suivant les méthodes ordinaires d’enseignement.
Il travailla donc seul, avec les grands maîtres pour modèles. De cette époque date son enthousiasme pour le peintre Turner. C’est aussi à ce moment que se place le travail qui fut comme le germe des "Modern-Painters" (Peintres modernes), un des ouvrages qui ont le plus contribué à sa réputation.
Ruskin se sentait en pleine sympathie avec Turner, parce que le principal mérite de celui-ci était de suivre la nature qu’il aimait tant. À ce moment, une revue, le "Blackwood’s Magazine", se permit une critique assez vive sur un tableau du maître bien-aimé. Ruskin avait alors dix-sept ans. Il écrivit immédiatement à l’éditeur du Blackwood une véhémente réfutation, dans laquelle il analyse le tableau attaqué avec une richesse d’imagination qui ne le cède qu’à celle du style. Mais avant tout, il jugea convenable de soumettre cette lettre au principal intéressé et l’envoya à Turner avec un billet courtois, dans lequel il lui demandait la permission de publier son travail.
Turner remercia et refusa, exprimant son dédain pour l’attaque anonyme dont il avait été l’objet. C’était un homme au caractère réservé qui, "dans les premiers temps de sa vie, était quelquefois de bonne humeur", disait plus tard Ruskin en parlant de son peintre préféré, et il ne chercha même pas à voir son jeune défenseur, dont il ne fit la connaissance que longtemps après.
Mais le travail du jeune homme lui restait : repris bien des années plus tard, sous le titre de "Turner et les Anciens", il devait former le premier chapitre des "Peintres Modernes", longue suite d’études et de préceptes sur la peinture dont les cinq volumes ne furent terminés qu’en 1860.
En attendant, John était entré à Oxford et y faisait de brillantes études. Sa famille l’aurait volontiers vu se destiner à l’Église anglicane, et sa mère, nous dit un biographe, espérait le voir évêque. Mais les goûts et les aptitudes du jeune homme ne paraissaient guère le porter vers cette carrière.
John Ruskin avait beaucoup désiré épouser la fille de l’un des associés de son père, M. Domeck. Celle-ci était Française et catholique. Une telle union fut jugée impossible. Le chagrin qu’en éprouva John eut une influence néfaste sur son tempérament déjà faible. Il ne fallut pas moins de deux ans de soins, un long voyage et la vue de ses chères montagnes pour le rétablir, mais sa santé était décidément compromise, et pour toujours. La consomption, dont il venait de ressentir une si terrible atteinte, devait le menacer encore plus d’une fois. Une pénible affection de l’épine dorsale donna aussi de vives inquiétudes et finit par courber légèrement sa grande taille. Enfin, dans l’âge mûr, de graves fièvres cérébrales vinrent à différentes reprises ébranler son organisme.
Dans de telles circonstances, il ne pouvait être question pour John d’entrer ni dans l’Église, ni dans le commerce, et, malgré tout, on est stupéfait devant l’énumération de tout ce qu’il a pu faire.
De quinze à vingt ans, il avait publié, dans le "Magazine of Natural History", des articles scientifiques signés : Kata Phusin (selon la nature). Depuis, entre ses nombreux voyages, installé avec ses parents à la campagne, dans la jolie maison de Herne-Hill, outre les cinq volumes des "Peintres modernes" et une prodigieuse quantité d’études et d’articles de revues qu’il nous est impossible d’énumérer, il compose "The Stones of Venice" (Les pierres de Venise) et "The seven lamps or laws of the Architecture" (Les sept lampes ou lois de l’architecture).
Aux livres et aux articles de revues, Ruskin joignait l’enseignement oral. Il avait quarante ans lorsque les cinq volumes des "Peintres modernes" furent terminés. Depuis, il ne parla plus exclusivement d’art et de science. Il ne les abandonna pas, mais il les éleva en quelque sorte et les fit servir à l’enseignement de sa morale, prêchant le culte du beau et ce que nous pourrions appeler la pratique de l’admiration, de celle de la nature surtout, les prêchant à tous dans des conférences où l’on s’étouffait, pour lesquelles on oubliait l’heure des repas, celle des affaires et même, dit-on, celle du cricket !
Plus d’une fois, sans doute, des esprits élevés y trouvèrent la satisfaction de leur besoin d’idéal et une direction pour des facultés non employées. D’ailleurs, Ruskin était un conférencier merveilleux ; son ton, grave au début, s’animait rapidement ; son geste illustrait en quelque sorte sa parole. Les images hardies et charmantes qu’il employait en abondance, la couleur si riche de son style et surtout son enthousiasme communicatif, tout cela devait éblouir le grand nombre de ses auditeurs et les faire passer sur les défauts de son enseignement.
Ce culte du beau pour lequel il se passionnait et passionnait aussi les autres, il le prêchait encore dans des articles de journaux, des lettres adressées à toutes les classes de la société, aux femmes, aux ouvriers. Conférences, études et lettres ont été réunies en volumes, sous des titres poétiques, un peu recherchés et imprécis, tels que la "Couronne d’oliviers sauvages", Sésames et lis", Courants et marées", "Fors clavigera"(la Clé du sort). Ce dernier recueil s’adresse aux ouvriers et traite d’économie sociale.
Égalitaire à sa manière, Ruskin aurait désiré une plus juste rétribution des biens de ce monde, mais sans secousses et sans violences.
Malheureusement, ses systèmes ne sont guère que des utopies. Faute de mieux, il voulait au moins faire profiter chacun des jouissances élevées que Dieu place autour de nous et que peu savent apprécier. Ce résultat, il l’attendait surtout de l’éducation ; il aurait voulu, disait-il, "que le petit berger apprît à jouir de la beauté de la nature au milieu de laquelle il vivait, jusqu’au dessin délicat des feuilles et à la finesse merveilleuse de la mousse".
Non content de parler et d’écrire pour la diffusion de ces idées, Ruskin payait largement de sa personne et de sa fortune. Il occupa pendant de longues années la chaire des beaux-arts fondée à l’Université d’Oxford par M. Slade. Ne trouvant pas cet enseignement suffisant, il fonda à côté, de ses propres deniers, une école de dessin et organisa une superbe collection d’œuvres des maîtres dont les élèves pussent s’inspirer.
Il ne lui suffisait pas de l’impression produite par l’apparition des "Peintres modernes"sur ses contemporains éclairés, dont beaucoup avaient pu dire, avec Miss Brontë : "Ce livre semble m’avoir donné de nouveaux yeux". Il ne lui suffisait pas non plus d’avoir formé, parmi les architectes et les peintres, de nombreux et fervents disciples, d’avoir donné une forte impulsion au préraphaélitisme et contribué à faire revivre le goût du gothique en Angleterre. Après avoir répété la nécessité de faire pénétrer le sens artistique dans les masses, "pour que chaque ouvrier fasse artistement son métier d’ouvrier", il se mit à l’œuvre lui-même et donna deux fois par semaine, pendant quatre ans, des leçons de dessin dans une école d’adultes, s’occupant avec patience de ses grands élèves. Pour le peuple aussi, il fonda le musée de Sheffield, qui porte son nom, et où les ouvriers purent venir se reposer des laideurs de l’usine en admirant les vitrines pleines de pierres curieuses et brillantes, les planches représentant tous les oiseaux connus, les superbes missels enluminés et les spécimens des plus belles architectures du monde.
Mais le grand rêve de Ruskin, c’était de "proscrire la laideur de la vie". Il aurait voulu supprimer l’affaiblissement et le mal physique, non seulement parce qu’ils produisent la douleur, mais parce qu’ils effacent des joues des enfants et des jeunes filles les belles couleurs de la santé. Les machines, y compris les chemins de fer, lui inspiraient une horreur un peu puérile, mais sincère et vive, comme tout ce qu’il ressentait. Il aurait voulu revenir à l’ancien temps, où l’on n’utilisait pas d’autres moteurs que l’eau et le vent. Pour réaliser ce rêve industriel et essayer ses plans de réforme sociale, il fonda la "St-Georges’ Guild".
"Nous allons essayer de rendre quelque petit coin de notre territoire anglais beau, paisible et fécond. Nous n’y aurons pas d’engin à vapeur, ni de chemin de fer ; nous n’y aurons pas de créatures sans volonté ou sans pensée. Là, il n’y aura de malheureux que les malades et d’oisifs que les morts. Nous n’y proclamerons pas la liberté, mais une prompte obéissance à la loi et aux autorités désignées ; ni l’égalité, mais la mise en lumière de toute supériorité que nous pourrons trouver et la réprobation de toute infériorité.
... Nous aurons abondance de fleurs et de légumes dans nos jardins, quantité de blé et d’herbe dans nos champs, et peu de briques. Nous aurons un peu de musique et de poésie.
... Peut-être même une sagesse, sans calcul et sans convoitise".
Pour fonder ce demi-paradis terrestre, il acheta une ferme, quelques amis de la Guild donnèrent des terres. On dit que c’étaient des landes ou des rochers qu’ils ne pouvaient cultiver, mais ce doit être une calomnie. Seulement, lorsqu’il eut ces territoires, il s’aperçut qu’aucun des membres de la Guild ne s'y connaissait en l’agriculture, si bien que Ruskin se décida à s’adresser à des communistes et à leur prêter son terrain pour y expérimenter leurs idées sociales, à condition qu’ils y essayeraient aussi ses idées esthétiques.
Un rendez-vous fut pris entre le maître et ses nouveaux associés et fixé à Sheffield. Ruskin y arriva en chaise de poste, avec de superbes postillons, pour ne pas contribuer à enrichir ces affreux chemins de fer. Ils ne parvinrent pas à une entente parfaite. Cependant, Ruskin confia solennellement ses terrains aux communistes, remonta dans sa chaise de poste et disparut avec ses éclatants postillons.
Par malheur, les communistes n’étaient pas non plus d’experts cultivateurs. Ils prirent un fermier, comme l’aurait fait le bourgeois le plus terre-à-terre, et, la ferme ne réussissant pas, on établit à sa place une inesthétique guinguette.
Ainsi finit un des beaux rêves de Ruskin. Mais, son prestige ne paraît pas avoir été ébranlé.
Il est vrai que le poète trouva une revanche sur le terrain industriel. Il avait appris que dans les campagnes du Westmoreland on abandonnait les industries locales, on ne tissait plus à la main, on ne filait plus avec la quenouille à la forme élégante, ni avec le joli rouet d’autrefois, qui se prêtaient à de si gracieuses attitudes et faisaient de si bon fil. Un admirateur de Ruskin, qui habitait le pays, finit cependant par découvrir un rouet caché chez une vieille dame. Il rétablit le filage à la main, sous le patronage du maître. La mode s’en mêla, et le linge Raskin fait à lui seul vivre presque tout le village de Langsdale.
Plus heureuse encore fut la restauration du filage de la laine, entreprise aussi par Ruskin et ses disciples dans l’île de Man, où l’on trouve une race spéciale de moutons noirs. Une usine pour le tissage fut établie au moulin de Laxey. Elle était mue par des chutes d’eau, car la "St-Georges’ Guild" acceptait les forces naturelles. Les pauvres femmes de l’île ne furent plus obligées de demander au malsain travail des mines le pain quotidien, et l’industrie du homespun de Laxey prospère encore de nos jours.
En parlant des œuvres philanthropiques de Ruskin, nous ne devons pas oublier qu’en 1870 il fut un des premiers promoteurs des "Funds for food", œuvre qui avait pour but de procurer des secours aux victimes du siège de Paris.
Du reste, les cinq millions que lui avait laissés son père furent entièrement dépensés en fondations destinées à soutenir les beaux-arts et en charités. Vers la fin de sa vie, Ruskin vivait du produit de ses œuvres, lequel était considérable, il est vrai.
La bienfaisance active de Ruskin devait compenser pour lui la privation de bien des joies de famille. Il avait épousé, en 1848, une jeune fille choisie par ses parents avec les meilleures intentions et qui, malheureusement, n’avait avec lui aucune ressemblance d’esprit ni de caractère. Après six ans de vie commune, elle le quitta et fit dissoudre légalement leur union.
Ruskin garda toujours un silence chevaleresque sur des torts qui, tout son entourage en était convaincu, ne pouvaient être de son côté.
Depuis, il vécut avec son père et sa mère jusqu’à la fin de leur vie. Sa cousine Marie était morte jeune, mais il avait trouvé une seconde fois une sœur d’adoption dans une autre cousine, Miss Johanna Agnew, devenue plus tard Mrs Arthur Severn. Elle et son mari entourèrent le poète d’affection après la mort de ses parents, et lorsque, en 1894, la vieillesse l’empêcha complètement de continuer ses travaux, qu’il n’y eut plus pour lui que la vie et les soins de la famille, ce furent eux qui les lui donnèrent jusqu’à ce que le maître s’éteignît doucement dans la chère maison qu’il s’était organisée au bord du lac de Coniston.
Dans sa retraite, l’affection de ses disciples et de ses amis l’avait suivi. Nul peut-être n’en a eu de plus nombreux que lui. Il se les attirait par son extraordinaire puissance de sympathie et les méritait par la vivacité de sa bienveillance. Et cependant sa terrible franchise et la véhémence avec laquelle il exprimait ses indignations lui firent plus d’un ennemi et blessèrent plus d’un ami.
L’on raconte qu’il écrivait une fois à un peintre, sur les œuvres duquel il venait de publier une critique énergique, qu’il espérait que cela n’amènerait aucun changement dans leur amitié, celui-ci répondit :
"Cher Ruskin, la première fois que je vous rencontrerai, je vous renverserai d’un coup de poing, mais j’espère que cela n’amènera aucun changement dans notre amitié".
Moins favorisé encore fut un pauvre clergyman qui, s’étant endetté pour bâtir une église, imaginait de demander des secours à Ruskin. Il n’obtint qu’une réponse foudroyante :
"Pourquoi faites-vous des dettes ? Mourez de faim et allez au ciel, mais n’empruntez pas ! De toutes les églises que l’on bâtit idiotement, celles en fer, comme la vôtre, sont les plus absurdes... Croyez néanmoins que, tout en disant cela, je suis toujours votre dévoué serviteur".
Le clergyman en détresse ne répondit pas à Ruskin qu’à la première occasion il l’assommerait tout en restant son serviteur dévoué. Plus pratique, il vendit cette terrible lettre comme autographe pour dix livres.
On parle encore d’une pauvre dame qui avait prié Ruskin de présider un Congrès féministe et qui en reçut cette réponse, pleine de franchise, mais dénuée de courtoisie :
"Vous êtes toutes également sottes en de telles matières".
L’histoire ne dit pas ce qu’elle répondit, mais, pour l’honneur du féminisme, nous aimons à croire qu’elle ne resta pas bouche close.
Peu à peu gagné par des crises de folie, il mourut à Coniston Lake, près de Brantwood, laissant une autobiographie inachevée, Praeterita (1885-1889). Après sa mort, Marcel Proust donne des traductions de ses livres, en particulier la "Bible d'Amiens", et rédige sa biographie.
Brantwood House, Lac de Coniston.
Située dans le plus grand parc national d'Angleterre, dans le Lake District, la ville de Coniston abrite le domaine de Brantwood.
Brant est un mot d'origine scandinave signifiant "colline", la maison est en effet sise sur un promontoire boisé surplombant le lac de Coniston. Bien avant que la maison soit érigée, le site au 18ème siècle était bien connu des promeneurs en tant que "point de vue remarquable".
La maison a été construite à la fin du 18ème siècle par Thomas Woodville et comportait six à huit pièces. Plusieurs propriétaires se succédèrent jusqu'à Josiah Hudson, père de Charles Hudson qui fut un prêtre anglican renommé ainsi qu'un des tout premiers alpinistes d'Angleterre, en fit l'acquisition en 1833 et agrandit la maison et les terrains allentours.
En 1852, William James Linton (poète, réformateur social et graveur sur bois victorien), devient le propriétaire cette demeure. Entre 1858 et 1864, Linton vit à Londres et loue le domaine à Gerald Massey, poète et Egyptologue réputé. Linton récupère sa maison, y séjourne trois ans puis part pour les Etats Unis. En 1871 il vend sa propriété à John Ruskin qui signa sans jamais être venu la voir. Avant de venir y vivre l'année suivante, Ruskin y fait quelques travaux, comme l'addition d'une tourelle, un bâtiment pour son valet et sa famille et des aménagements dans le jardin.
Au début de son installation, Ruskin organisait trois fois par semaine (chaque soir un sujet différent) des "conférences" que l'on nommerait de nos jours "séminaires" sur l'Art, la Littérature et la Sociologie. Quand il était absent, un de ses anciens élèves, Richard Hosken, le remplaçait.
Ruskin a rempli sa demeure d'oeuvres d'art, notamment de peintures de Gainsborough, Turner et des Pre-Raphaelites, ainsi qu'une vaste collection de minéraux, poteries et coquillages.
Ruskin a accueilli en sa demeure sa petite cousine Joan Agnew, qui avait grandi avec lui, son mari Arthur Severn, ainsi que toute sa petite famille.
William Gershom Collingwood, peintre, archéologue et traducteur des Sagas Nordiques, était un visiteur assidu de Brantwood.
En 1878, une nouvelle salle à manger a été établie dans l'aile sud de la maison. Un second étage fut construit en 1890, pour la famille Severn, de même qu'un studio à l'arrière de la maison pour l'usage personnel d'Arthur Severn. C'est aussi à cette époque que d'autres terrains furent acquis.
A la mort de John Ruskin en 1900, la famille Severn hérite du domaine et de ses biens. Dans le testament de Ruskin, il était stipulé expressément que la maison devait être ouverte 30 jours par an aux visiteurs, pour que ceux-ci puissent admirer les oeuvres d'art s'y trouvant. Malheureusement, Arthur Severn n'a pas honoré ce souhait, et a vendu rapidement les plus belles oeuvres.
A la mort d'Arthur Severn, en 1931, le domaine et ses biens furent vendus aux enchères. La maison fut sauvée par John Howard Whitehouse, fondateur de la "Bembridge School" et de la "Birmingham Ruskin Society". Il y établit en 1951 le "Brantwood Trust" afin de perpétuer la mémoire et les collections de John Ruskin.
De nos jours, seules quelques pièces sont ouvertes au public. La salle de réception où se trouve le secrétaire de Ruskin, sa bibliothèque, sa collection de coquillages. La papier peint est une copie d'une création de Ruskin, on peut également admirer un de ses dessins représentant le porche nord de la cathédrale St Marc à Venise. Dans le bureau de Ruskin se trouve un tableau de Samuel Prout. La salle à manger construite en 1878 possède une vue sans pareil sur le lac et les montagnes de Coniston. On peut y voir un portrait de Ruskin à l'âge de trois ans peint par James Northcote. Dans l'ancienne salle à manger, se trouvent des dessins de Ruskin. Enfin, à l'étage, dans la tourelle, la chambre de Ruskin.
Ruskin avait aménagé ses jardins de façon à y expérimenter diverses formes de cultures et de drainages, on y trouve toute une série de collines et de sentiers. Après sa mort, de nombreux arbustes ornementaux ainsi que des arbres ont été plantés. Puis, le tout à été laissé à l'abandon jusque dans les années 1980, puis reconstitué. Le domaine s'étend sur plus de 250 acres et comporte un accès au lac, des pâturages, un bois de chênes et de la lande.
"Un alcoolique est quelqu'un que tu n'aimes pas et qui boit autant que toi".
Dylan Marlais Thomas, né à Swansea (pays de Galles), le 27 octobre 1914 fut un écrivain précoce mais ne connut qu'une assez brève carrière.
Au cours de ses études (1925-1931) au lycée de sa ville natale, où son père enseignait l'anglais, il compose déjà d'habiles poèmes. Certains d'entre eux (et ce sera aussi le cas pour quelques autres jusqu'en 1934) sont écrits en collaboration, notamment avec Daniel Jones, les deux "mystificateurs" composant alternativement vers pairs et impairs.
La période suivante, qui le voit travailler pour le South Wales Daily Post et tenir des rôles au Swansea Little Theatre, est riche en activité poétique : après quelques pièces qui paraissent dans le New English Weekly et le Sunday Referee, elle culmine avec la publication en décembre 1934 du recueil "Eighteen Poems". En 1936, année de l'exposition surréaliste de Londres, à laquelle il participe, Thomas fait paraître la nouvelle série des "Twenty-Five Poems".
En 1937, il se marie avec Caitlin MacNamara (1913-1994) et aura trois enfants avec elle, malgré une relation houleuse et entachée par des écarts conjugaux, Caitlin étant proche du peintre Augustus John. Un premier garçon nommé Llewelyn naît en janvier 1939 (décédé en 2000), puis une fille en mars 1943, prénommée Aeronwy, et enfin un autre garçon, Colm Garan, naît en juillet 1949.
A la veille de la guerre (août 1939) il donne "La Carte du Tendre" (The Map of Love), qui comprend une quinzaine de poèmes et sept petites œuvres en prose (dont celle à laquelle le volume doit son titre), et, en avril 1940, "Portrait de l'artiste en jeune chien" (Portrait of the Artist as a Young Dog), dans lequel il évoque des souvenirs marquants de son enfance.
Réformé, il écrit de 1940 à 1944 plusieurs scénarios de films documentaires, et apporte de 1945 à 1950 sa collaboration à la B.B.C. Après la publication, en 1946, du recueil de poèmes "Morts et entrées" (Deaths and Entrances), il s'oriente davantage vers la prose et la production d'œuvres dramatiques : scénario d'un long métrage, "Le Docteur et les démons" (The Doctor and the Devils, 1953), et une pièce "vocale", le célèbre "Au bois lacté" (Under Milk Wood-A Play for Voices) qui paraîtra en volume après sa mort, en 1954.
Il se fait aussi lecteur de poèmes, c'est au cours de son quatrième voyage aux États-Unis, où il rencontrait à ce titre un très vif succès, qu'il meurt quelques jours après son trente-neuvième anniversaire.
Dylan Thomas aimait se vanter de sa consommation d’alcool. Durant un accident survenu le 3 novembre 1953, il retourna au Chelsea Hotel de New York et déclara: "I've had 18 straight whiskies, I think this is a record" (j’ai bu 18 whisky, je pense que c’est un record). Six jours plus tard, pendant sa tournée promotionnelle new-yorkaise à la White Horse Tavern, de Greenwich Village (Manhattan), il s’évanouit après avoir trop bu.
Un peu plus tard, Thomas s'éteint au St Vincent Hospital de New York. La cause première fut une pneumonie, accompagnée d'une faiblesse du foie et d'une hypertension intra-crânienne (souvent causée par un hématome ou un œdème cérébral, mais aussi par une défaillance du foie) en causes aggravantes. D’après Jack Heliker, ses derniers mots ont été : "After 39 years, this is all I've done" (Après 39 ans, c’est tout ce que j’ai fait). À la suite de sa mort, son corps fut rapatrié au Pays de Galles pour être enterré à Laugharne, ville qu’il appréciait. En 1994, sa femme Caitlin fut mise en terre à ses côtés.
En dehors des œuvres poétiques rassemblées en 1952 (Collected Poems), on notera, en publication posthume : "Très tôt un matin" (Quite Early one Morning, 1954), qui réunit diverses causeries faites à la B.B.C., "Une vue de la mer" (A Prospect of the Sea, 1955), où l'on trouve de brèves histoires et des essais que l'auteur souhaitait conserver et qui constitue pour une part un complément à l'autobiographie du "Portrait", quant au curieux "Aventures dans le commerce des peaux" (Adventures in the Skin Trade, 1955), dont certains passages avaient paru séparément en 1941 et en 1953, c'est une fantaisie romanesque, demeurée inachevée, qui mêle constamment rêve et réalité.
Dylan Thomas est unanimement reconnu comme l’un des plus brillants poètes du XXe siècle de langue anglaise, on le considère comme le leader de la littérature anglo-galloise. Son univers vif et fantastique était un rejet des conventions de son siècle. À l’inverse de ses contemporains qui tendaient vers des sujets politiques et sociaux, Thomas exprimait ses émotions avec passion et cela se ressent dans son style, à la fois intime et lyrique.
Sa maison à Laugharne.
En 1934 Dylan Thomas en compagnie du poète Glyn Jones, visite Laugharne et tombe sous le charme de cette ville côtière du Pays de Galles. Il l'a décrite comme "la ville la plus étrange du Pays de Galles". Située au sud du pays, cette tranquille bourgade, d'expression anglaise, donc isolée en terre galloise, était réputée pour l'exenticité de ses habitants. Parmi eux un célèbre passeur sourd-muet et un original ayant converti une Rolls en "Fish & chips" ambulant.
C'est aussi dans cette ville qu'il retrouva Caitlin, sa future femme, en juillet 1936. A cette époque celle-ci était la compagne du peintre Augustus John. Caitlin et Dylan s'étaient rencontrés au début de l'année et il en était tombé aussitôt amoureux. Il va sans dire que l'arrivée du poète n'enchanta guère le peintre. C'est pourtant bien Dylan que Caitlin épousera en 1937, c'est sans doute aussi pour ces raisons que Laugharne était chère à leurs coeurs.
Cette ville "intemporelle, douce et séduisante" devint par la suite, plus par hasard que par choix profond, le lieu de résidence du couple. En 1938, Richard Hugues, un habitant de Laugharne que le poète comptait parmi ses amis, leur a trouvé un logement à prix abordable. Cette maison appellée Eros, située rue Gosport était modeste mais convenait parfaitement aux besoins du couple.
Le couple est très vite devenu un sujet de curiosité pour les habitants de Laugharne, Paul Ferris écrit dans sa biographie du poète "les voisins jettaient des coups d'oeil à travers les rideaux dans l'espoir d'apercevoir la jeune Madame Thomas en robe d'intérieur pourpre, ou bien observaient son mari, qui était supposé être un écrivain où quelque chose dans le genre, trottiner jusqu'en bas de la colline pour aller chercher de l'eau à la fontaine publique vêtu de son pyjama et d'un pardessus".
Trois mois après leur installation à Eros, ils ont déménagé pour Sea View, une maison plus spacieuse mais tout autant spartiate. Pendant que Caitlin attendait leur premier enfant, Dylan travaillait sur son troisième volume de poésie "La Carte du Tendre", mais les dettes et l'incertitude, alliés au besoin de stabilité du à la naissance de leur fils, ont fait qu'en mai 1940 ils ont quitté Sea View et Laugharne.
Ils y sont retournés en 1949, lorsque Margaret Taylor, épouse de l'éminent historien AJP Taylor, et bienfaitrice de Dylan a acheté pour eux Boathouse pour la somme de 3000 £. Le poète adorait cette maison avec une vue imprenable sur la mer au spectacle toujours renouvelé. A cette époque, Caitlin attendait leur troisième enfant qui devait naître en juillet.
Boathouse fut la dernière demeure du poète. Après son décès à New York, son corps fut rapatrié en Grande Bretagne, il repose dans le cimetière de St Martin's Church, où son épouse le rejoint en 1994.
La maison est devenue un lieu de pélerinage pour tous les admirateurs du poète. En 2003, elle a été transformée en musée et on peut voir les pièces comme au temps de Dylan, lorsqu'il y habitait et y écrivait ses oeuvres, avec une multitude de papiers, jonchant même le sol.
Non loin de la maison se trouve la mairie de Laugharne avec son horloge et sa girouette, image que l'on retrouve dans sa célèbre pièce"Au bois lacté" :
"We are not wholly bad or good Who live our lives under Milk Wood, And Thou, I know, will be the first To see our best side, nor our worst"
"Nous ne sommes pas totalement mauvais ou bon Nous qui vivons nos vies au bois lacté, Et toi, je le sais, tu seras le premier Qui verra notre côté le meilleur, et non le pire"
"Le bonheur compense en intensité ce qui lui manque en durée".
Les meilleurs critiques américains s'accordent à reconnaître que Robert Frost occupe, aux côtés de T. S. Eliot, une place centrale dans la poésie américaine du XXe siècle. On lui reproche parfois le caractère exclusivement champêtre de son œuvre, qui semble condamner toute notre civilisation. Il n'en est pas moins poète, parce qu'il a tenté de communiquer avec sincérité, d'une manière à la fois lyrique et impersonnelle, l'émerveillement qu'il éprouvait à vivre.
Il est le seul poète américain à obtenir quatre fois le prix Pulitzer.
Ce poète de la Nouvelle-Angleterre est né à San Francisco, le 26 mars 1874, et a passé en Californie les dix premières années de sa vie. À la mort de son père, journaliste politique passionné, il fut ramené par sa mère, qui était institutrice, dans la Nouvelle-Angleterre de ses ancêtres. Il y fit de très bonnes études secondaires et, après avoir enseigné pendant quelque temps dans une école primaire, il suivit des cours de latin, de grec et de philosophie à l'université Harvard. Il en partit sans diplôme au bout de deux ans et essaya alors, sans grand succès, de gagner sa vie comme fermier. Il lui fallut redevenir instituteur, mais sa vocation, depuis son adolescence, était d'être poète. Aussi, en 1912, à trente-huit ans, las d'enseigner, de végéter et d'être incompris dans son pays, il rompit avec son passé et s'installa en Angleterre avec sa femme et ses quatre enfants, dans une petite ferme du Buckinghamshire, puis dans le Gloucestershire. Pour la première fois de sa vie, il y rencontra des poètes tels que Lascelles Abercrombie, W. W. Gibson, Rupert Brooke, Edward Thomas. Encouragé par eux, il publia en 1913 à Londres son premier recueil, "A Boy's Will" (Ce que veut un garçon), qui fut très favorablement accueilli par les critiques anglais. L'année suivante, "North of Boston" (Au nord de Boston) eut encore plus de succès que le précédent recueil.
La guerre ayant dispersé ses amis anglais, il rentra aux États-Unis au début de 1915. Il en était parti inconnu, faisant même figure de raté aux yeux des siens. Il y revenait célèbre. "North of Boston" était presque devenu un best-seller. Tout autre aurait été grisé et se serait fait une situation à New York : Frost acheta une ferme à Franconia dans le New Hampshire, puis plus tard à Ripton dans le Vermont. Enfin, il partageait son temps entre ses fermes et les universités où on l'invitait à venir lire ses poèmes ou donner des cours de littérature, ce qu'il fit très régulièrement à Amherst et occasionnellement à Dartmouth et à Harvard. Il n'enseignait pas vraiment : sa fonction était de faire sentir aux étudiants ce qu'est la poésie. Il se définissait lui-même comme "une sorte de radiateur poétique"et comme "un professeur d'oisiveté".
Son éditeur aurait aimé qu'il lui remît chaque année le manuscrit d'un nouveau livre ; mais Frost ne voulait pas être une "usine d'automobiles" et il se contenta de faire paraître un recueil tous les cinq ou six ans : "Mountain Interval" (Entre les monts), 1916, dont le titre évoque sa ferme de Franconia, New Hampshire (1923), "West-Running Brook" (Le Ruisseau qui coule vers l'ouest), 1928, "A Witness Tree" (Un arbre témoin), 1942, "A Masque of Reason" (Masque de la raison), 1945, où il fait dialoguer Dieu, Job et Satan, et qui sera suivi de "A Masque of Mercy" (Masque de la miséricorde), 1947, où il met en scène un libraire, Jonas et saint Paul, enfin "Steeple-Bush" (1947), du nom d'une fleur de Nouvelle-Angleterre qui ressemble à la reine-des-prés. Aux poèmes lyriques et narratifs de ses débuts, qui répondaient à des émotions réellement ressenties, succédèrent peu à peu des œuvres composées et souvent spirituelles. Ce qui ne l'empêche pas d'être inspiré jusqu'au bout, comme en témoigne son dernier recueil, "In the Clearing" (Dans la clairière), 1962.
Poète limpide, apparemment sans mystère, il fut populaire et très fêté. Il devint en quelque sorte le poète lauréat des États-Unis, et, lorsqu'il mourut à Boston, le 29 janvier 1963, il était au comble de la gloire.
Poète de la Nouvelle-Angleterre, et non pas de tous les États-Unis, il a chanté la vie rude de cette région, les hivers interminables et la solitude oppressante des fermes perdues dans la montagne, mais aussi le soudain réveil de la nature au printemps et les joies que procurent les travaux des champs. Sans tomber cependant dans le régionalisme : il s'est lui-même proclamé "universalist"; son sujet n'est pas le fermier de Nouvelle-Angleterre, mais l'homme face au monde. Ses poèmes sont des métaphores, ou des "synecdoques", disait-il. Chacun d'eux est "une partie prise pour le tout", un fragment du puzzle universel dont le poète essaie de reconstituer le dessin.
Il n'écrivait pas par jeu, mais pour voir plus clair en lui-même et dans le chaos du monde. "Tout poème clarifie quelque chose". Par "clarifier", il entendait "faire prendre conscience" d'horizons infinis sans donner pour autant dans le mysticisme ou la sentimentalité. Il ne s'apitoie jamais sur l'homme ni ne se lamente sur son insignifiance. Mais son stoïcisme n'exclut pas l'angoisse. Pour lui, comme pour les plus désespérés des poètes, la vie peut-être débouche sur le néant ou l'absurde plutôt que sur Dieu et l'harmonie, mais ironie et humour à tout moment freinent ses envolées lyriques et l'empêchent de sombrer dans le désespoir. Toute son œuvre mériterait le titre d'un de ses poèmes : "Feu et Glace". Un feu caché y couve ; la glace de son scepticisme ne l'empêche pas de promener sur le monde un regard curieux et de décrire avec amour le décor dans lequel évoluent ces étranges créatures qu'on appelle les hommes et qui ne savent pas très bien ce qu'elles font là. Ses poèmes commencent par l'émotion (begin in delight) et s'achèvent par la sagesse (end in wisdom).
Homer Noble Farm sa maison à Ripton dans le Vermont.
Robert Frost a acheté cette ferme un an avant le décès de sa femme en 1938, afin d'avoir un pied à terre dans le Vermont car il enseignait la poésie à la "Bread Loaf School of English of Middlebury College".
La propriété est composée d'un large corps de ferme et d'une grange.
De nos jours, la propriété appartient au Middlebury College, le corps de ferme est utilisé par les enseignants.
Robert Frost utilisait la petite grange située sur une petite colline un peu à l'écart du bâtiment principal. C'est là qu'il écrivait. Il aimait aussi recevoir dans cette grange, ses amis et ses admirateurs pour de longues discussions qui finissaient tard dans la nuit. Plusieurs de ses amis, dont Peter Stanlis, Reginald Cook et Larry Thompson, ont mentionné cette grange dans leurs écrits.
De nos jours, cet endroit fragile, n'est ouvert que pour de grandes occasions.
Les conférences de la Bread Loaf Writter's qui ont commencé dans les années 20, ont toujours lieu de nos jours. En 1999, à l'occasion du 125ème anniversaire du poète, un grand rassemblement d'universitaires, d'amis de Robert Frost a eu lieu pendant trois jours à la Homer Noble Farm.
Ce lieu de mémoire a été saccagé le 31 décembre 2007 :
"Le sergent Lee Hodsen a déclaré qu'une cinquantaine de personnes devait se trouver sur les lieux durant cette soirée improvisée.
Ayant fracturé un carreau pour entrer, tables et chaises ont été brisées pour faire le ménage par le chaos. Appareils ménagers, plats, meubles en osier et buffets ont subi également les foudres des jeunes frigorifiés, qui auront mis le feu à tout ce bois pour se réchauffer, le bâtiment n'étant pas chauffé.
Autre détail fort agréable, des bouteilles de bière et des canettes vides, autant que des gobelets en plastiques jonchaient le sol. On appréciera leur degré d'alcoolémie en notant qu'ils ont vomi dans le salon...
Aucune arrestation à ce jour, même si la traque s'est organisée. Les dégâts n'ont de fait été constatés que plusieurs jours après par un randonneur. Il a ensuite averti la police de Middlebury College, chargée de la surveillance du site".
Le 18 janvier 2008, vingt-huit personnes ont été interpellées et reconnues coupable d'avoir participé à ce saccage.
Dégats causés par une surpise partie sauvage le 31 décembre 2007
"Qui que tu sois, ta main gardera ma marque. Je te reconnaîtrai. Et si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi".
Paul-Henri-Corentin Féval naît le 29 septembre 1816, à Rennes, dans l'hôtel de Blossac, une demeure cossue édifiée au siècle précédent. Son père, originaire de Troyes et conseiller à la Cour d'Appel, est membre de la petite magistrature locale. La famille Féval, nombreuse – Paul a trois sœurs et deux frères – connaît la gène quand le père de Paul décède en 1827. A l’âge de dix ans, l’enfant entre au collège royal de la ville, en tant que qu’interne et boursier, sa mère bénéficiant même à l’occasion des libéralités de la Dauphine.
Suivant les idées familiales - sa mère, Jeanne-Joséphine-Renée Le Baron, est de noblesse bretonne - Paul Féval affirme au Lycée ses sympathies légitimistes. En 1830, lors de la révolution de Juillet, il arbore ainsi la cocarde blanche, contrairement aux idées républicaines en cours. Retiré du lycée, Paul Féval fait alors retraite chez un oncle maternel, au château de Cournon, près de Redon, un lieu qu’il connaît bien pour y avoir passé de nombreux séjours durant ses années d’enfance.
Enfin Bachelier en 1833, le jeune homme s'inscrit à la Faculté de Droit. Licencié trois années plus tard, il entre dans la magistrature. Inscrit au barreau, Paul Féval prête serment en qualité d'avocat. La première affaire qu'il plaide cependant, le cas d'un voleur de poules, dénommé Planchon, le couvre de ridicule, ce dernier décidant de prendre sa propre défense devant les bégaiements de Féval. Ces débuts maladroits l'incitent à monter à Paris au mois d’août 1837.
Il s’installe chez un oncle banquier et devient son commis, un emploi qui ne lui convient guère. Jusqu'en 1843, Paul Féval va mener une existence tourmentée, connaître la misère et exercer toutes sortes de petits métiers : secrétaire d'un couple d'écrivains, amis de sa famille, les Duverdieux, inspecteur dans une compagnie d'affichage, correcteur d'épreuves au Nouvelliste, employé d'un spéculateur immobilier peu scrupuleux qu’il croquera dans "Madame Gil Blas".
Dès cette époque cependant, Paul Féval s’essaie à la littérature, rédigeant quelques textes dans La Législature, Le Parisien, La Quotidienne, La Lecture. En 1841, "Le Club des phoques", son premier texte publié, le fait remarquer par un patron de presse, Anténor Joly, directeur de L'Epoque. Ce dernier, au moment où naît la vogue du roman-feuilleton, lui demande d’achever l'oeuvre d'un auteur anglais, "Les Aventures d'un émigré". Après un court séjour à Londres, Paul Féval rédige, sous le pseudonyme de Sir Francis Trolopp, un ouvrage pittoresque sur le modèle du succès d’Eugène Sue, "Les Mystères de Londres", qui paraît en feuilletons dans L'Epoque en 1843.
Après une vingtaine de réédition, Paul Féval, désormais célèbre, adopte le train de vie d’un dandy. Il se fait journaliste et fonde un périodique au mois de février 1848. Dans les colonnes du Bon sens du peuple et des honnêtes gens, il milite alors pour l'instauration de l'instruction primaire, gratuite et obligatoire. Plus tard, les événements se précipitant dans la capitale, l’écrivain se demandera alors s’il n’a pas contribué à réveiller la conscience populaire et donc amené la révolution dans la rue. Le conservateur qu’il demeure ne peut supporter cette coupable interrogation.
Dans les années qui suivent, l’écrivain s’essaie à tous les genres littéraires : le roman historique ("Le Bossu" en 1857), le roman policier ("Les Compagnons du silence"en 1857, "Jean Diable" en 1863), le roman fantastique ("Les Revenants"en 1853, "Le Chevalier ténèbre"en 1862) et même le roman régionaliste et bretonnant ("La Forêt de Rennes" en 1851, "Le Loup blanc" en 1856). Il s’oblige ainsi à se mettre régulièrement à sa table de travail pour fournir aux quotidiens parisiens deux à trois œuvres romanesques dans l’année. Un travail harassant digne de Balzac.
Ces excès de labeur, des déboires amoureux, tout se conjugue pour précipiter Paul Féval vers une dépression nerveuse. Bientôt guéri, l’écrivain se marie à la propre fille de son médecin, Marie Pénoyée. Il a trente-huit ans et la jeune femme vingt-quatre. Le couple Féval aura huit enfants, dont Paul-Auguste-Jean-Nicolas Féval, né en 1860, qui continuera l’œuvre de son père. Celui-ci est un auteur en vogue sous le Second Empire, ce qui le conduit au château de Compiègne. Invité en compagnie d’autres familiers de la cour impériale, Mérimée et Offenbach notamment, il est bientôt convié aux réunions littéraires et artistiques de l'Impératrice Eugénie.
Paul Féval est même chargé d'un "Rapport sur le progrès des lettres" en France, publié par l'Imprimerie impériale en 1868. Mais l’écrivain populaire ne sera jamais élu à l'Académie française. Il préside à cinq reprises aux destinées de la Société des Gens de Lettres, à trois reprises à celles de la Société des Auteurs dramatiques. Chevalier de l'Ordre de la Légion d'honneur en 1865, sous l'Empire, l’écrivain sera promu officier quatre années plus tard.
En 1870, l’écrivain est mobilisé en tant que capitaine de la Garde nationale, à Rennes. Ceci le tient éloigné des événements parisiens, le siège de la capitale par les Prussiens comme la Commune. Pendant l’année terrible, il pêche à la ligne, se consacre à l’avancement de son immense cycle romanesque, "Les Habits noirs", quatorze volumes faisant pièce à "Rocambole". Le succès aidant, il est à la tête d'une coquette fortune qu'il va perdre en 1875 dans le gouffre de l'Empire ottoman.
Ruiné, il est fortement influencé à cette période de sa vie par sa femme, fervente catholique, et se convertit, allant jusqu'à vouloir racheter et expurger ses romans pour qu'ils puissent être lus par des enfants. Il s'ensuit un procès avec Dentu, l'un de ses éditeurs, procès qu'il perd. Le romancier entreprend même la rédaction de brochures destinées à l'édification spirituelle, fait construire chez lui un oratoire, participe financièrement à l’élévation du Sacré-Cœur. En 1880, alors qu'il a reconstitué sa fortune, il connaît un nouveau désastre financier. Son voisin, censé faire fructifier ses économies, s'est enfui avec elles.
Ses amis écrivains s'émeuvent de sa situation. Un comité d'aide, composé notamment d’Alphonse Daudet, Alexandre Dumas fils, Charles Gounod, Hector Malot, Victorien Sardou, et présidé par Edmond About, de l'Académie française, recueille des souscriptions. Sa femme meurt en 1884 et la santé de l’écrivain décline. Atteint de crises d'hémiplégie, il se retire chez les frères de Saint Jean de Dieu, à Paris, et meurt le 8 mars 1887. Ses obsèques sont célébrées en l'église Saint François Xavier et il est inhumé au cimetière de Montparnasse. De son œuvre, le cinéma au siècle suivant, réssucite "le Bossu" qui devient un grand succès populaire.
Sa maison à Rennes.
En 1728, La Bourdonnaye de Blossac, président à mortier au parlement de Bretagne, fait édifier un hôtel particulier sur une parcelle en L qui jouxte l'hôtel de Brie, construit en 1624.
Le mur qui le sépare de la rue est dans son parti médian percé d'un portail à deux vantaux sculptés et comprend une imposte percée d'une ouverture ovale au monogramme du propriétaire. Bordé par deux pilastres à chapiteau ionique, il est surmonté d'un fronton triangulé dans lequel sont inscrites les armes et la couronne du marquis L. G. de La Bourdonnaye de Blossac.
L'hôtel particulier est placé entre la cour flanquée du porche et le jardin. La parcelle en L fait que la façade est alignée sur cour et sur jardin. Une grille de fer séparait autrefois ces deux fonctions.
La première bâtisse est rythmée par le granit au rez-de-chaussée, le tuffeau à l'étage et un toit à la Mansart. Elle compte sept travées. La seconde, toute en tuffeau, comporte un avant-corps central et deux ailes comptant neuf travées également réparties. Le travail en bossage du calcaire, en chaînage d'angle du pavillon médian, se retrouve aux extrémités des deux ailes. Sur les balcons du premier niveau, figure le monogramme du maître des lieux.
C'est le 30 septembre 1816 au second étage de cet hôtel, rue du Four du Chapitre à Rennes, que naît Paul Féval. Son père est conseiller à la Cour Royale de la ville, mais cette charge ne procure pas des revenus suffisants pour faire vivre une femme et cinq enfants, d’autant plus que Féval-père décède en 1827.
À la suite d'une première expérience peu encourageante comme avocat, il avait été diplômé à Rennes en 1836, il part pour Paris l'année suivante. A partir de ce moment là, on lui connaît de nombreuses adresses, mais aucune à l'heure actuelle, n'est restée en l'état ou accueille un musée en sa mémoire. Citons en quelques unes : rue de la Cerisaie, près de la Bastille, 138 rue du Faubourg Saint-Denis (1854), le 7 rue d’Orléans à Saint-Cloud (1858), le 69 boulevard Beaumarchais (1860), le 80 rue Saint-Maur (1863), nn 1868, il emménage 88 avenue des Ternes, puis 129 rue Marcadet. En 1870, il s’exile à Rennes. Six ans plus tard, mal remis de la défaite de 1870, de deux échecs à l’Académie Française, d’une baisse de popularité et d’une débâcle financière qui met sa famille aux abois, il broie du noir et se relève en se reconvertissant haut et fort à la religion catholique. Ses dernières années, à partir de 1882, se déroulent dans la maladie. Il est accueilli aux Incurables, chez les frères Saint-Jean de Dieu, 19 rue Oudinot à Paris, où il meurt le 8 mars 1887.
"Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi... " La fameuse réplique du Bossu résonne encore dans nos imaginaires d'enfant. C'est que le roman de cape et d'épée, dix fois porté à l'écran par d'illustres réalisateurs, a traversé son siècle et demi sans défaillir. N'oublions pas que Paul Féval qui fut plus lu que Balzac de son vivant et le rival incontesté d'Alexandre Dumas, est encore abonné au box-office.
Merci à Terres d'écrivains, pour les adresses de Paul Féval à Paris.